dimanche 14 septembre 2008

L’Afrique, continent-poubelle

par Vladislav MARJANOVIC. Traduit par Michèle Mialane, révisé par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’Afrique ne réussit toujours pas à décoller sur le plan économique. Des crises politiques internes, souvent attisées de l’extérieur, et un endettement élevé sont les deux chaînes qui la rivent à sa pauvreté. C’est pourquoi l’Afrique est livrée sans défense aux nouveaux maîtres du monde et dépendante d’eux, comme elle l’était naguère des colonialistes, on pourrait presque dire qu’elle est toujours colonisée.


À la différence des anciens colonialistes, qui ont mis en place au moins quelques vagues infrastructures dans leurs colonies, les nouveaux maîtres du monde ne s’en soucient pas. Seules les intéressent l’exploitation des matières premières et des bizness permettant la maximisation des profits en un minimum de temps. L’un de ces bizness est l’exportation de déchets nucléaires. C’est lui et ses retombées en Afrique que nous allons maintenant aborder.

Ce fut un coup de tonnerre dans un ciel serein. Moins de deux semaines après l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre et peu de temps avant la Journée mondiale de la Protection civile, le PNUE, le Programme des Nations Unies pour l’environnement, publia son compte-rendu des conséquences du tsunami du 26 décembre 2004. Les quelque 100 ministres de l’Environnement réunis à Nairobi entre le 21 et le 25 février 2005 pour la 23ème séance du Comité directeur du Forum mondial des ministres de l’Environnement apprirent de la bouche de son président, Klaus Töpfer, une nouvelle inquiétante : le tsunami avait poussé sur les côtes somaliennes non seulement des ordures « normales », mais aussi des déchets nucléaires.Dans les zones touchées par le tsunami nombre de gens souffraient de problèmes de santé insolites. Selon le rapport du PNUE, on rencontrait des infections respiratoires aiguës, des saignements gastriques, des réactions cutanées chimiques atypiques et des cas de mort subite.

Pour beaucoup des participants les renseignements fournis par le PNUE étaient inouïs. Mais pas pour le PNUE lui-même. À la page 134 du rapport, dont le titre en allemand est « Premières évaluations environnementales après le tsunami», on peut lire que la Somalie est l’un des nombreux pays sous-développés destinataires depuis les années 80 d’innombrables cargaisons de déchets nucléaires et autres résidus dangereux, qui ont été stockés le long de ses côtes. On y trouve entre autres de l’uranium, du cadmium, du plomb et du mercure. Bien sûr on tançait d’importance les coupables, sans toutefois les désigner précisément : on avait là une violation des accords internationaux sur l’exportation de tels déchets vers la Somalie, et il semblait bien peu éthique de conclure des accords de ce type avec un pays en proie à une guerre civile.

La colère du PNUE semble légitime. Reste la question : Si de tels faits se produisent depuis les années 80, comment se fait-il que le PNUE n’ait pas déjà pris des mesures énergiques pour les empêcher ? Comment est-il possible que le PNUE les ait ignorés pendant 25 ans ? « Il est impossible d’en discuter avec les dirigeants du PNUE, présents à Nairobi. Ils répondent invariablement : ‘Nous n’étions pas au courant, nous allons nous en occuper plus tard’, regrettent les autorités somaliennes du district d’El Dehere. Selon le journaliste italien Massimo Alberizzi , aussi bien l’ONU que l’UE ont reçu de nombreuses plaintes relatives aux conséquences pour l’homme et l’environnement des déchets nucléaires et toxiques en Somalie. Jusqu’ici personne n’a bougé dans aucune de ces deux instances.

Même si l’on ne se soucie guère des plaintes d’un malheureux État africain en déshérence, comment expliquer qu’on ait fermé les yeux sur les sommes gigantesques offertes par les États industrialisés à des États pauvres en échange du stockage de leurs déchets nucléaires, précisément à partir des années 80 ? Les favoris sont, avec la Somalie, la Guinée-Bissau, le Nigéria et la Namibie. Il a fallu attendre 1988 et le scandale du navire syrien « Zenobia » qui erra pendant des mois à la recherche d’un port où décharger sa cargaison d’environ 20 000 tonnes de déchets nucléaires pour que les Nations Unies se fassent enfin entendre. En 1989 elles prirent l’initiative de proclamer la Convention de Bâle relative au contrôle des transports de déchets nucléaires. Les écologistes protestèrent. Selon eux, contrôler les transports de déchets nucléaires ne signifie pas empêcher leur embarquement à destination du Tiers Monde. Ceci ne fut garanti qu’en 1995, lorsqu’on rajouta à la Convention une interdiction aux membres de l’Organisation pour le Coopération et le Développement Économiques, plus connue sous le nom d’OCDE, d’exporter des déchets dangereux vers des pays non membres de l’organisation. Mais cet ajout déplut aux USA. Washington refusa de signer le protocole additionnel.


Quant aux autres producteurs de déchets, ils trouvèrent des moyens de le contourner. La firme ODM de Lugano publia même sur Internet une liste des meilleurs endroits où stocker ses déchets nucléaires. La Somalie, complètement minée par la guerre civile, venait en tête. Le directeur de la firme ODM, Giorgio Comerio, aurait, dit-on, offert un million de dollars US à un certain Ali Mali pour pouvoir stocker ces déchets dans le Nord-Est de la Somalie. Deux journalistes de télévision italiens, Ilaria Alpi et Miran Hrovatin, tentèrent d’en savoir plus sur ces trafics. Le 18 mars 1994 ils se rendirent dans la ville somalienne de Bosasso, y interviewèrent un fonctionnaire local et le 20 mars de la même année, quelques heures seulement avant d’avoir pu diffuser sur la RAI le résultat de leur enquête, annoncé par téléphone, ils furent assassinés en pleine rue à Mogadiscio par un commando de tueurs.

Pour Massimo Alberizzi , leur collègue du Corriere della Sera, il n’y a pas l’ombre d’un doute : le commerce des déchets nucléaires et autres résidus dangereux qui achèvent leur course principalement en Somalie est aux mains du crime organisé. Mais des intérêts plus haut placés semblent y être mêlés. Le président d’une commission d’enquête du Parlement italien, Massimo Scalia, a déclaré à l’Agence Inter Press Service que l’Italie retire du seul commerce des déchets nucléaires 7 milliards de dollars US par an. Pour la seule année 2001 600 000 tonnes de déchets nucléaires ont été embarqués à destination de l’Afrique. Et la Somalie n’est pas le seul pays impliqué. Le Zaïre, le Malawi, l’Érythrée, l’Algérie et le Mozambique figurent aussi sur la liste. Face aux proportions atteintes par l’embarquement illégal de déchets nucléaires à destination de l’Afrique, Moustapha Tolba, alors directeur exécutif du PNUE, protesta dès septembre 1992 auprès des gouvernements italien et suisse et exigea qu’il soit mis un terme à l’exportation de déchets nucléaires vers l’Afrique.La Suisse réagit poliment : on allait examiner cette demande. L’Italie, elle, rejeta sèchement ces accusations. Le ministre de l’Environnement en poste, Carlo Ripa di Meana, prétendit qu’aucune entreprise italienne n’était impliquée dans de pareils trafics. Et l’affaire en resta là. Mais celles qu’on fait avec les déchets nucléaires ne firent que croître et embellir. Selon des témoignages somaliens, la décharge nucléaire située à proximité d’Obbia est surveillée, non par milices somaliennes, mais par des « soldats étrangers. » Selon des sources fiables, la France et les USA avaient déjà obtenu le feu vert pour construire une décharge nucléaire dans cette région dans les années 80. Le général Morgan, un seigneur de la guerre opérant dans le Sud de la Somalie, affirme lui aussi avoir reçu à Nairobi la visite de plusieurs représentants de puissances étrangères désireux d’obtenir son visa, qu’il dit avoir refusé, pour déposer leurs déchets nucléaires.

Mais les représentants du lobby de l’atome ne lâchèrent pas prise. Certains affirment que ce sont eux qui empêchèrent la conclusion rapide d’un accord de paix entre les divers mouvements de la guerre civile somalienne. Le PNUE n’échappa pas à leurs pressions. Johannes et Germana Dohnany affirment dans leur livre de 2002, Schmutzige Geschäfte und heiliger Krieg. Al-Qaida in Europa [Affaires louches et Guerre sainte. Al-Qaida en Europe], que le PNUE ne peut se passer des moyens financiers que les États membres mettent à sa disposition tous les deux ans.C’est pourquoi, disent les auteurs, il serait trop risqué pour le PNUE de se dresser ouvertement contre les pays industriels, ses principaux bailleurs de fonds. Cette affirmation est difficile à contester. De fait le PNUE n’a infléchi son attitude concernant le stockage illégal de déchets radioactifs en Somalie après la catastrophe du tsunami que sur un point : il a mis plus nettement l’accent sur les dangers que faisait peser sur l’environnement et l’être humain le stockage inconsidéré des déchets nucléaires. Effectivement le rapport du PNUE examine en détail les diverses retombées qu’a sur les forêts de mangrove, les récifs coralliens, la pêche et les nappes phréatiques, la dérive vers les côtes, au premier chef, des déchets nucléaires,. Les dommages causés aux hommes - certains en sont morts - ne sont, en revanche, que brièvement évoqués. Les rédacteurs se plaignent du reste de ne pas avoir pu enquêter sur place. C’est aussi une justification indirecte des conclusions bénignes du rapport, qui étudie surtout les conséquences des dégâts environnementaux et des effets du réchauffement climatique sur la biodiversité somalienne. Quant à ce qu’il doit advenir des êtres humains victimes d’une activité commerciale sans scrupule et orientée vers le seul profit - ce problème n’est pas abordé dans le rapport du PNUE. Condamner ceux qui tirent les ficelles, n’ont aucun scrupule à sacrifier des hommes et s’apprêtent aujourd’hui à transformer un pays, demain peut-être un continent entier, en poubelle radioactive, n’est même pas envisageable.

Mais que faire, quand le stockage des résidus dangereux coûte 250 dollars US la tonne en Europe et seulement 2,5 dollars en Afrique ? C’est du reste ce qu’on peut conclure du rapport du PNUE. Ce que l’on nomme « Agence internationale pour l’Énergie Atomique (AIEA) ne publie aucune donnée relative à la quantité de déchets produits par les plus de 430 centrales en activité. Mais c’est bien compréhensible. L’économie privée qui s’est emparée des organisations internationales a elle aussi ses règles. Et parmi elles, celle de « l’omertà »...

Source : http://www.castor.de/material/gorlebenrundschau/2006/quartal1/ausg1.html#Mülldeponie%20Afrika

Le Probo Koala
En août 2006, le Probo Koala, navire transporteur polyvalent, affrété par Trafigura, débarque 400 tonnes de déchets pétroliers à forte toxicité (résidus de raffinage trèss riches en composés soufrés volatiles) sur le port d’Abidjan, la Côte d’Ivoire est alors en situation de guerre civile. Ces déchets sont ensuite répartis sur 17 sites sans aucune protection à proximité d’habitations. Ils provoquent le décès de 12 personnes et plus de 5.000 sévères intoxications.
L’affaire devient alors une crise internationale : il faut agir et vite ! Sur intervention de l’ONU et du commissaire européen à l’environnement, les déchets sont rassemblés et ramenés en France, seul pays acceptant de les prendre en charge ; ils seront incinérés dans une usine spécialisée installée dans l’Isère. (cf.
rapport de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques)
Trafigura est une société internationale de négoce en matières premières dont le siège social est à Lucerne, l’adresse fiscale à Amsterdam, le centre opérationnel à Londres ; en somme une société européenne qui devrait bien connaître les réglementations mais dont la stratégie semble conduire en fait à les contourner à tout prix, l’itinéraire rocambolesque du Probo-Koala, avant d’aboutir en Côte d’Ivoire, en atteste. Cette même société a certainement une très bonne assise financière puisqu’elle n’a pas hésité à négocier directement avec le président de la Côte d’Ivoire (mars 2007) le versement d’une indemnité de 152 millions d’Euro contre l’arrêt immédiat de toute poursuite judiciaire.
Comment sera utilisé cet argent censé servir à indemniser les victimes et à améliorer la sécurité sur les sites ? Nul ne le sait et la situation politique de ce pays n’offre aucune garantie pour une juste répartition. Dans cette affaire, Trafigura s’en sort pour l’instant beaucoup trop bien ! Comment en effet admettre en droit que ceux qui ont permis et autorisé de tels agissements ne soient pas poursuivis et sanctionnés ? Maintenant, seules les victimes sont en capacité de porter plainte, le feront-elles ?
Source : Pierre Thomé,
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=21223, mars 2007

Sources : Zeit-Fragen, Radio Afrika International & agoravox et Tlaxcala

Article original publié en 2006

Sur l’auteur

Michèle Mialane et Fausto Giudice sont membres de
Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner les auteur, la traductrice, le réviseur et la source.

URL de cet article sur Tlaxcala :
http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=5862&lg=fr

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