mardi 4 novembre 2008

Le livre que Nicolas Sarkozy et Henri Guaino ne liront pas

par Fausto Giudice
Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la
civilisation, tel est le problème. L'Europe le résoudra.Allez, Peuples! emparez-vous de cette terre. Prenez-la. A qui? à personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l'Afrique à l'Europe. Prenez-la. Où les rois apporteraient la guerre, apportez la concorde. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue; non pour le sabre, mais pour le commerce; non pour la bataille, mais pour l'industrie; non pour la conquête, mais pour la fraternité. Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même
coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires.
Allez, faites! faites des routes, faites des ports, faites des villes; croissez, cultivez, colonisez, multipliez; et que, sur cette terre, de plus en plus dégagée des prêtres et des princes, l'Esprit divin s'affirme par la paix et l'Esprit humain par la liberté!
Victor Hugo, Paris, 18 mai 1879, discours au banquet commémorant l’abolition de l’esclavage en présence de Victor Schoelcher (Intégralité du discours ici )
Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l’idée de progrès.
Nicolas Sarkozy, Dakar, 26 juillet 2008

Le 26 juillet 2007 Nicolas Sarkozy a livré au monde un véritable manifeste-programme du néoconservatisme à la française, le tristement célèbre « Discours de Dakar », un monument de rhétorique rédigé par son Nègre en chef, Henri Guaino, qui est une longue litanie d’horreurs, d’insanités et de mensonges éhontés sur l’Afrique et ses rapports au monde, à l’histoire, au passé et aux défis du futur.
Dans l’enceinte de l’Université Cheikh Anta Diop, le nouveau président français a donné à entendre un concentré hautement toxique de tous les préjugés, de tous les stéréotypes produits depuis plus de deux siècles par les idéologues du « devoir de civilisation », du « fardeau de l’homme blanc ».
Ce discours, accueilli par une légitime levée de boucliers d’intellectuels africains et africanistes, n’était pas un simple exercice de rhétorique. Il était une tentative de justification de la nouvelle mouture du pacte néocolonial concoctée par le club des maîtres de la Françafrique, rebaptisée « Eurafrique ». Un produit idéologique par excellence, donc.
Chaque phrase, chaque paragraphe de ce discours boursouflé, répétitif, redondant, a de quoi susciter des hurlements d’indignation et de colère.
Mais au-delà de l’indignation, il faut réfuter l’enchaînement de syllogismes meurtriers censé fournir aux jeunes Africains une vision du monde dégagée à la fois du « mirage du collectivisme et du progressisme » et de la « la mondialisation telle qu'elle se fait. »
Ce défi est relevé avec brio dans un ouvrage paru aux éditions La Découverte le 16 octobre, dont la lecture et la diffusion seront un devoir pour tout militant et sympathisant de Survie (quant à Sarkozy et Guaino, on doute qu’ils lisent jamais ce livre, bien trop ardu pour eux). Il s’agit du Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy (348 p., 22 €).L’ouvrage est né d’un appel lancé en septembre 2007 par Mme Adame Ba Konaré, historienne malienne et épouse de l’ancien président Alpha Omar Konaré, auquel ont répondu 400 historiens africains, africanistes et citoyens. Sur 45 contributions, 25 ont été sélectionnées par un comité scientifique pour figurer dans le livre. Les autres peuvent être consultées sur le site
http://www.memoireafrique.com.
Les contributions retenues ont été regroupées en quatre parties qui abordent chacune un versant particulier du discours de Dakar. La première - « Qui a dit que l'Afrique n'avait pas d'histoire ? » - s'attache directement à réfuter l'idée absurde de l'anhistoricité et de l'immobilité du continent. La seconde - « Un discours d'un autre âge 1 » - s'efforce de comprendre l'ori­gine des stéréotypes et les raisons de la pérennité des préjugés concernant l'Afrique en France. La troisième - « Qui est responsable des "difficultés actuelles" de l'Afrique ? » - déconstruit l'entreprise de restauration du mythe de la mission civilisatrice de la France et de son action bienfaitrice et souligne les séquelles de l'esclavage puis de la conquête coloniale. Enfin, la dernière partie - « Qui a parlé de Renaissance africaine ?» - interroge l'avenir que Nicolas Sarkozy est « venu proposer » à l'Afrique et lui oppose les pistes que les Africains s'efforcent de développer pour leur propre compte.
(article paru dans
Billets d’Afrique, n°174, novembre 2008)

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