dimanche 1 février 2009

« Là aussi, on est en train d’exterminer un peuple » : la guerre oubliée du Sri Lanka

Source : Von der internationalen Gemeinschaft vergessen, Zeit-Fragen, 26/1/2009. Traduit par Michèle Mialane et révisé par Fausto Giudice, Tlaxcala

Oubliés par la communauté internationale


Interview du Professeur S.J. Emmanuel, Président de la Fédération internationale des Tamouls



Le Dr. S.J. Emmanuel, ancien vicaire général du diocèse de Jaffna


Zeit-Fragen : Professeur Emmanuel, on entend peu ou pas du tout parler du Sri Lanka dans les médias occidentaux. Vous conservez à ce jour en tant que prêtre catholique un contact étroit avec votre patrie. Quelle est la situation dans les zones tamoules ?


Le chef de gouvernement actuel du Sri Lanka est le pire qu’on puisse imaginer. Il gouverne avec ses trois frères, et ce sont des extrémistes bouddhistes cinghalais. Le gouvernement ne recherche pas de solution politique, mais une solution militaire, il nie le conflit ethnique et parle de combattre le terrorisme. Il y a à l’heure actuelle 300 000 réfugiés de l’intérieur dans la région de Vanni et chaque jour les civils sont bombardés et déplacés. Le 25 décembre les troupes gouvernementales ont même bombardé une église, tuant ou blessant plusieurs fidèles. La situation des réfugiés est catastrophique ; ils ne reçoivent aucune aide humanitaire car le gouvernement cinghalais a expulsé les organisations humanitaires internationales. La guerre doit se dérouler sans témoins. S’y ajoute depuis plusieurs semaines une longue période de pluie à laquelle les personnes déplacées sont exposées, sans autre abri que les arbres. Les blessures des civils atteints, car la plupart des blessés sont des civils, sont épouvantables : on emploie des bombes à fragmentation et des bombes thermobares, comme lors de la guerre du Liban.



Eranga Jayawardena/AP Photo


Le gouvernement a déclaré qu’il aurait réglé« le problème tamoul » avant la fin de l’année 2008. Qu’est-ce que cela signifie pour la population civile ?


Parler de problème tamoul revient pour le gouvernement à l’assimiler à du « terrorisme ». Le gouvernement sait que le conflit nécessite une solution politique, mais il n’a fait jusqu’ici aucune proposition sensée. Il a prétendu que dans la province de l’Est il y avait eu des élections législatives et que cette région avait un Premier ministre, mais la vérité est tout autre. C’est un des frères du Président qui est au pouvoir là-bas, et la population est le dernier de ses soucis. Chaque jour des Tamouls sont tués ou enlevés. Les gens au pouvoir veulent faire la même chose dans le Nord, dès qu’ils auront anéanti les Tigres tamouls. Leur solution au « problème tamoul » consiste à nommer deux membres du gouvernement ministres - un dans la province de l’Est, un au Nord - et à placer la totalité du peuple tamoul sous le contrôle de l’armée cinghalaise. Nous resterons donc sous la férule de l’impérialisme cinghalais, et cela après 450 ans de domination coloniale !


Qu’est-ce que cela veut dire ?


Oppression arbitraire. Pour moi, un ecclésiastique qui a une grande expérience du monde et de la guerre, la situation des Tamouls est choquante. Nous avons affaire à un vieux conflit ethnique qui dure depuis 60 ans. D’emblée la réponse du gouvernement aux protestations non-violentes des Tamouls a été le terrorisme d’État. C’est en réaction que s’est formée l’organisation des Tigres tamouls, afin de défendre le peuple tamoul et ses terres ancestrales. Le résultat est une guerre qui dure depuis 30 ans et a fait plus de 20 000 victimes et plus d’un million de réfugiés. Mais ce conflit n’a toujours pas éveillé l’attention mondiale. Un conflit long, une guerre qui fait des victimes sur une île perdue dont le sous-sol ne recèle pas de richesses, est presque devenu une guerre oubliée. Nous autres Tamouls sommes lourdement déçus, non seulement par les derniers évènements au Sri Lanka, mais aussi de l’attitude de la communauté internationale, de sa double morale et de sa politique qui ne sert que ses propres intérêts.


Premièrement, les Anglais ont commis une énorme faute, le « British blunder », lorsqu’ils ont quitté l’île à la fin de l’ère coloniale. Les Tamouls, qui avaient autrefois un royaume indépendant, sont devenus une minorité face aux Cinghalais. Les Anglais ont en effet réuni les deux peuples en un seul État et donné le pouvoir à la majorité. Et maintenant les Anglais font comme s’ils n’avaient aucune responsabilité dans cette guerre et soutiennent le gouvernement de Colombo.


Deuxièmement le Sri Lanka et ses ports offrent un intérêt géopolitique pour de grandes puissances, par exemple l’Inde et les USA. Ils se placent donc du côté du gouvernement et nous traitent comme des terroristes.


Troisièmement, le Sri Lanka est une démocratie où la majorité est bouddhiste et cinghalaise. Cette majorité peut se permettre de discriminer et d’opprimer les Tamouls par voie parlementaire. Et en plus elle a une armée pour imposer son pouvoir. Pendant les trente premières années nous autres Tamouls avons lutté, espéré et résisté pacifiquement. On nous a répondu par le terrorisme d’État. Nous savons que la solution ne peut être que pacifique, mais il faut bien que nous nous défendions contre ce terrorisme d’État, dont la violence ne connaît pas de bornes.


Quel est actuellement le quotidien des Tamouls ?


La plus grande partie du Nord et de l’Est du Sri Lanka - les terres ancestrales des Tamouls- est sous le contrôle strict de l’armée cinghalaise, ce qui signifie des interdictions quotidiennes de circuler, des centaines de check points, chaque jour des déportations, des assassinats etc. Au Nord-Est, dans la région dite de Kilinochchi se déroule une guerre particulièrement brutale ; les civils et les bâtiments publics, écoles et hôpitaux par exemple, subissent des bombardements. Les gens vivent dans une terreur permanente, ils n’ont ni travail ni nourriture. 40 000 enfants ne peuvent être scolarisés. Toutes les ONG internationales ont quitté le district. Il n’y a pas de médecins, les études sont interdites aux Tamouls. Il y a bien des hôpitaux, mais qui ne disposent ni de médicaments, ni de pansements.


Il y a plus de deux ans que le gouvernement de Colombo soumet les zones tamoules à un embargo économique total, et c’est un miracle que les gens puissent survivre. Même cette année, 60 ans après la condamnation du génocide par les Nations Unies, le Sri Lanka figure sur la liste des huit pays qui en sont menacés. Quand on parle de génocide, on pense immédiatement au « Troisième Reich », mais là aussi on est en train d’exterminer un peuple, avec sa langue, sa culture et ses traditions, sous couvert de démocratie.


Quelle solution proposent les Tamouls ?


Le Tamouls ont toujours voulu une solution politique, et depuis 60 ans ils ont déposé plusieurs propositions. Au début on avait pensé à un État fédéral pour l’ensemble du Sri Lanka.


Mais le gouvernement a rejeté catégoriquement cette éventualité. C’est contre le terrorisme d’État que les Tamouls ont pris les armes. Ils ne croyaient pas que le terrorisme pouvait être la solution.


La Communauté internationale, elle aussi, parle sans cesse de « terrorisme tamoul» et de « solution politique », mais elle continue à fournir Colombo en armement et à soutenir son offensive militaire. Il y a peu de temps encore on a envoyé des représentants militaires de certains pays (dont les USA, le Pakistan, la Chine, le Bangladesh et l’Inde) dans le Nord-Est du pays, où ils ont bien vu les succès militaires, mais pas les 300 000 réfugiés.


Début décembre s’est tenu en Hollande un séminaire où Europol a débattu des Tigres. Quels Tamouls avaient été invités à cette conférence ?


Aucun représentant du peuple tamoul n’avait été invité, en revanche le gouvernement de Colombo était là, qui a fait pression pour interdire les associations tamoules en Europe et restreindre leurs activités.


Quelle est votre réaction ? ,


Il est absurde d’inviter à une conférence des terroristes d’État responsables de l’exil vers l’Europe de 500 000 réfugiés tamouls pour discuter avec eux de la manière dont l’Europe doit se comporter envers ces réfugiés.


Rien de tel pour que ceux que l’on pourchasse continuent à l’être. Beaucoup d’entre eux ont pris, comme moi, la nationalité de leur pays d’accueil et se sont intégrés. Qu’attendre d’une pareille démarche ? L’objectivité exige que l’on invite les Tamouls et qu’on leur demande quelle est la situation dans leur pays.


Que peuvent faire les citoyens européens pour aider à désamorcer la situation ?


Les Tamouls sont reconnaissants d’avoir été accueillis en Europe et d’y vivre en sécurité. Le Sri Lanka exerce une influence sur les gouvernements européens, mais personne ne consulte les Tamouls, bien que nous soyons citoyens de nos pays d’accueil ; projettent-ils quelque chose contre nous ?


Les citoyens européens doivent exiger de leurs gouvernements qu’ils s’engagent en faveur d’une paix juste et n’appuient pas l’option militaire.


Monsieur le Professeur, nous vous remercions de nous avoir accordé cette interview et souhaitons beaucoup de succès à vos efforts en faveur d’une solution pacifique.



Membre des commandos de forces spéciales qui mènent la guerre sale dans le Nord du Sri Lanka. Reuters Pictures


Urgence : mettre fin au génocide des Tamouls !


par Dieter Sprock


Au Sri Lanka un génocide se déroule dans une indifférence quasi-totale.Il y a des décennies que les Tamouls y sont opprimés et traités en citoyens de seconde zone. Mais depuis le début de l’année 2008, où le gouvernement sri-lankais a rompu unilatéralement l’armistice et expulsé les observateurs internationaux, ce dernier mène contre la population tamoule une guerre ouverte, qui a pris progressivement les proportions d’un génocide. Le gouvernement n’autorise pas la présence sur l’île d’observateurs de l’ONU. Les journalistes et les organisations d’aide humanitaire n’ont pas accès aux zones de combat, et toute critique est brutalement réprimée. Le bain de sang doit se dérouler sans témoins.


Un article du « Neue Zürcher Zeitung » en date du 10 janvier montre à quel point il est dangereux d’être un journaliste critique au Sri Lanka, : la même semaine Lasantha Wickrematunge , rédacteur en chef du journal d’opposition Sunday Leader, a été abattu par deux motocyclistes en armes alors qu’il se rendait en voiture à son travail. Deux jours plus tôt les bureaux de la plus importante chaîne de télévision privée du pays, MTV, avaient été pris d’assaut et dévastés par une douzaine d’hommes armés de mitraillettes et de grenades.



Les funérailles de Lasantha Wickrematunge, à Colombo, le 12 janvier 2009, ont été l'occasion d'une grande manifestation de protestation contre son assassinat. Photos Gemunu Amarasinghe/
AP Photo


Wickrematunge, 52 ans, avait critiqué le week-end précédant son assassinat « l’ euphorie sanguinaire » du Président Mahinda Rajapakse. Celui-ci avait célébré la conquête de la ville de Kilinochchi , au Nord du Sri Lanka, tombée le 2 janvier, comme « une victoire sans exemple » des troupes gouvernementales. Or Wickrematunge avait plaidé pour une solution politique incluant des concessions du gouvernement aux Tamouls. Le Sunday Leader est l’un des rares journaux qui ose encore parler de la guerre. Le groupe MTV/MBC, détenteur de trois émetteurs de télévision et de quatre canaux radiophoniques, s’efforce lui aussi de couvrir le conflit de manière objective.


Le gouvernement attise volontairement la haine à l’encontre des voix critiques du pays, créant ainsi un climat de violence et de non-droit. « Selon Juan Perera, du National Peace Council, l’assassinat de Wickrematunge sonne le glas de la liberté de la presse au Sri Lanka. Après ce meurtre retentissant chaque journaliste se demande qui sera le prochain. Dans de pareilles conditions, il n’est tout simplement plus possible de travailler librement. Au cours de ces dernières années, de larges pans de la presse ont déjà cédé à la pression du gouvernement et « suivent la ligne ». Les rares journalistes qui continuent à fournir une couverture indépendante du conflit ethnique sont en butte à une campagne calomnieuse de dénigrement systématique de la part du « Daily News », l’organe de presse du gouvernement, qui les accuse d’être des sympathisants des Tigres et des ennemis de l’État. Selon Amnesty International, dix journalistes ont été assassinés au Sri Lanka rien que durant les deux dernières années et de très nombreux autres ont disparu ou bien ont été enlevés ou emprisonnés.


Il est désormais du devoir de la communauté internationale d’exiger du gouvernement sri-lankais le respect du droit international et de toutes les conventions internationales. Il y a urgence à faire cesser le génocide des Tamouls ; une Commission onusienne doit pouvoir veiller au respect des droits humains ; il faut garantir sans restriction l’accès de l’aide humanitaire, par exemple sous l’égide de la Croix Rouge, , ainsi que la liberté de la presse et la sécurité des journalistes. Madame le Docteur en droit Karen Parker, militante américaine des droits humains, exige qu’on raye immédiatement les Tigres tamouls de la liste des organisations terroristes. Selon elle, le droit international leur accorde le statut de combattants.( Pour en savoir plus à ce sujet, voir Zeit-Fragen N°34 du 27 août 2007). Le gouvernement sri-lankais doit revenir à la table des négociations, car seule une solution négociée prenant en compte tous les groupes ethniques du pays peut aboutir à une paix durable.

Forum des Tamouls de Suisse

« Aidez nos frères et nos sœurs de Vanni, victimes de violations des droits humains »


Monsieur Shan Thavarajah, et Monsieur Thambipillai Namasivayam, respectivement vice-président et secrétaire du Forum des Tamouls de Suisse, ont écrit à Madame le Docteur Naventham Pillay, Haut Commissaire aux Droits humains à Genève, pour la prier de faire cesser la catastrophe humanitaire à Vanni.

Ils en appellent au Haut Commissariat aux Droits humains pour :

- demander au gouvernement sri-lankais de mettre fin immédiatement à son offensive militaire dévastatrice ;

- garantir la fourniture de vivres et autres denrées de première nécessité à Vanni ;

- mettre à la disposition des habitants de Vanni les médicaments indispensables et autres équipements hospitaliers ;

- demander au gouvernement sri-lankais de déclarer « zone protégée »les hôpitaux de Vanni ;

- demander au gouvernement sri-lankais d’autoriser l’accès du district de Vanni aux organisations humanitaires locales et internationales ;

Nous vous demandons respectueusement d’intervenir sans délai dans cette affaire et d’user toute votre influence sur les États démocratiques et les organisations humanitaires pour sauver le peuple tamoul du génocide.

Source : InfoTamil du 15/1/2009

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire