mardi 24 février 2009

La leçon guadeloupéenne/Lison gwadloup la

Au soir du 14 juillet 1789, la Bastille est aux mains des insurgés parisiens. Le Duc de Liancourt vient en informer le Roi Louis XVI. Celui-ci lui demande : "Mais, c'est une révolte ?" ; et Liancourt de répondre au Roi : "Non Sire, c'est une révolution !"


La Guadeloupe vit depuis le début du mois de décembre 2008 un mouvement d'insurrection pacifique absolument original dans l'histoire des colonies françaises, et qui n'est pas sans rappeler le mouvement déclenché en Oaxaca, au Mexique, il y a trois ans. Comme en Oaxaca, les organisations sociales, politiques et culturelles qui constituent le peuple en marche, sont parvenues à surmonter leurs divergences et égoïsmes pour fusionner en une coordination au nom magnfique : Lyannaj kont pwofitasyon (LKP). Le terme "coordination" traduit mal la dimension érotique du mot créole, qui vient du mot lyann - liane en français -, qui signifie aussi sexe masculin. Le terme évoque donc une unification fusionnelle dans la lutte qui s'apparente à l'acte amoureux. Quant à pwofitasyon, qu'on pourrait traduire par profitation, il évoque à la fois l'exploitation, et le profit qui est le but de cette exploitation.
Les Guadeloupéens donnent en ce moment une leçon à tous, à commencer par les habitants de l'hexagone, sur la seule voie à emprunter pour répondre à la crise que nous ont infligé les profiteurs et exploiteurs, camouflée en "crise hypothécaire" puis en"crise financière", alors qu'il s'agit purement et simplement d'une gigantesque opération visant à maintenir les taux de profits des capitalistes, fortement menacés par les luttes des plus exploités : migrants et prolétaires nomades, précaires, femmes, jeunes.
Ces luttes des dernières années n'ont pas eu l'honneur des médias planétaires. Citons-en quelques-unes : les grèves à répétition des jeunes travailleurs russes et roumains de l'industrie automobile, les grèves à répétition des 30 000 travailleurs de l'usine textile de Mahalla Al Koubra, en Égypte - la plus grande usine du Moyen-Orient -, les grèves à répétition de dizaines de milliers de travailleurs indiens et bangladeshis sur les chantiers des gratte-ciels de Dubaï. On pourrait ainsi allonger la liste indéfiniment.

Mais revenons-en à la France, où nos valeureux syndicats se préparent à une grandiose journée d'action pour le 19 mars. Qui vont-ils mobiliser ? Les chômeurs ? Les précaires et autres intermittents et intérimaires ? Non. Les jeunes ? Non. Le smigrants ? Encore moins. Les femmes ? Un peu. Ils vont comme d'habitude mobiliser principalement les fonctionnaires et les retraités. Le "cartel des 8" organisations syndicales représente toutes ensemble au maximum 7% des salariés de l'hexagone. C'est ici qu'intervient la leçon guadeloupéenne : le LKP a su regrouper 50 organisations et mouvements et pas seulement celles censées représenter les salariés garantis ou les revendications des seuls salariés. Si les organisateurs du mouvement s'étaient limités à ces derniers, ils auraient exclu le gros des troupes, constitué par des jeunes, chômeurs, précaires, intérimaires (24% des jeunes sont officiellement au chômage, en réalité, ils approchent les 50%), qui se regroupent par affinités, et autogèrent leurs besoins culturels, artistiques, vitaux tout simplement. L'Assemblée populaire des Peuples d'Oaxaca avait fait de même, regroupant tout ce que l'État comptait de gens qui bougent, des sociaux-démocrates de gauche aux anarchistes, en passant par les troupes de danse folklorique.
Le mouvement guadeloupéen est l'expression de la vitalité de ce peuple. C'est un mouvement qui chante et qui danse. Français, encore un effort pour devenir guadeloupéens ! Syndicalistes, apprenez à jouer du gwoka !


Ce que l'auteur de cette carte postale de 1920 appelle "Tam-Tam" est un typique gwoka, le même tambour guadeloupéen qui rythme la grève générale de 2009

Lisez ci-dessous l'historique du mouvement, repris du site du LKP. Pour lire le programme des 149 revendications du LKP, cliquez ici. Une lecture très instructive...


Le 5 décembre : première réunion à l’appel de l’UGTG avec une proposition de manifestation le 16 décembre pour la baisse du prix de l’essence. Proposition acceptée par l’ensemble des organisations présentes.
Le 16 décembre 2008 : Manifestation dans les rues de Pointe à Pitre contre la vie chère à l’appel de 31 organisations syndicales, politiques et associatives. 7000 personnes défilent dans les rues de Pointe à Pitre. Le sous Préfet reçoit une délégation de 15 personnes et affirme qu’il n’a rien à dire sur les revendications qui lui sont présentées.Meeting devant la mairie de Pointe à Pitre, au cours duquel une analyse de la situation est présentée à la foule. Succès : unité du peuple guadeloupéen en marche.
Le 17 décembre 2008 : Manifestation à Basse Terre – 4000 personnes Refus du Préfet, occupé à un « chanté nwel », de recevoir les dirigeants des organisations.
Entre le 17 décembre 2008 et le 20 janvier 2009 : nombreuses réunions de préparation de la plate-forme de revendications de LIYANNAJ KONT PWOFITASYON (LKP).
Le 19 janvier : Grève illimitée des gérants de station service.
Le 20 janvier 2009 : Grève générale lancée à l’appel de toutes les organisations syndicales, membres du LKP – Nombreux piquets de grève dans les entreprises - Grande Manifestation dans les rues de Pointe à Pitre – 15 000 manifestants.
Le 21 janvier 2009 : Déboulé vers le Centre commercial MILENIS et l’Aéroport Pôle Caraïbe. Grande tension à l’aéroport où un millier de manifestants font face à 400 gendarmes pendant près de deux heures. Tous les services d’enregistrement de bagages sont occupés par les manifestants. Nombreux vols retardés.Le LKP demande l’ouverture de négociations globales avec l’Etat, le Conseil Général, le Conseil Régional et le patronat sur la base de sa plateforme de revendications.
Le 22 janvier 2009 : Invitation du Préfet à une table ronde. Refus du LKP qui réaffirme sa ferme volonté et sa disponibilité immédiate, pour l’ouverture de négociations globales. Il exhorte les travailleurs et le peuple de Guadeloupe, à poursuivre le mouvement de Grève Générale et à accentuer la mobilisation tou patou an Péyi la.
Le 23 janvier 2009 : Réponse à l’invitation du Préfet concernant l’ouverture de négociations globales entre toutes les parties. Les Présidents des conseils Régional et Général et de l’association des maires étant absents, les négociations ne seront pas ouvertes. Le LKP regagne Pointe à Pitre après un passage sur le piquet de grève des transporteurs de passagers devant le Conseil Général.
Le Samedi 24 janvier : Grand DEBOULE dans les rues de Pointe à Pitre – 25 000 manifestants.Invitation à des négociations avec toutes les parties à 16h30 au World Trade Center. Après des négociations ardues avec les forces de l’ordre pour se rendre devant le World Trade Center avec la foule, les échanges commencent effectivement à 18h00 en présence de toutes les parties, (Etat, Collectivités, Patronat et LKP). Discussion ouverte sur l’accord de méthode. Présence exceptionnelle de Canal 10 qui retransmet en léger différé.
Le dimanche 25 janvier : Gran Déboulé « MAS A KONSYANS » « MAS A PWOFITASYON » - 40 000 participants.
Le lundi 26 janvier : Reprise des négociations sur l’accord de méthode – Signature de l’accord de méthode proposé par le LKP. Les échanges sont retransmis en direct par RFO, Canal 10 et les radios.Le mardi 27 janvier : Discussion sur les points de la Plate-forme concernant le niveau et les conditions de vie. Révélations du LKP concernant les pratiques de la SARA. Les échanges sont retransmis en direct par RFO, Canal 10 et les radios.
Le Mercredi 28 janvier : Rupture des négociations par le Préfet après lecture d’un message du Secrétaire d’Etat Yves JEGO. Les échanges sont retransmis en direct par RFO, Canal 10 et les radios.Message d’Yves JEGOA insérer
Le jeudi 29 janvier : Groupes de débrayage qui parcourent Pointe à Pitre et sa périphérie.
Le vendredi 30 janvier : Gran déboulé dans les rues de Pointe à Pitre - 65 000 manifestants.
Le samedi 31 janvier : Concert de solidarité Dominik COCO, Admiral T, Iman, Sainsily, Timalo
Le dimanche 1er février : Gran Déboulé « MAS A KONSYANS » « MAS A PWOFITASYON »Arrivée d’Yves JEGO en Guadeloupe.
Le lundi 2 février : Groupes de débrayage qui parcourent Pointe à Pitre et sa périphérie.Rencontre Jeunesse Guadeloupéenne et LKP à LaKasa
Le mardi 3 février : Groupes de débrayage qui parcourent Pointe à Pitre et sa périphérie.
Le mercredi 4 février 2009 : 1ère rencontre avec Yves JEGO aux Affaires maritimes à Pointe à Pitre– Présentation de la plate-forme de revendications. Les échanges sont diffusés en direct par Radyo Tanbou.
Le jeudi 05 février 2009 : Reprise des négociations à Basse Terre. Yves JEGO demande le départ de la presse et des journalistes après les interventions liminaires.
Le vendredi 06 février 2009 : Poursuite des négociations
Le samedi 07 février 2009 : Déboulé à Basse Terre - 18 000 manifestants.13h00 : reprise des négociations sur la question des salaires. Négociations qui durent toute la nuit.A Pointe à Pitre : concert de soutien avec Patrick Saint Eloi, Simenn’ kontra, Smiley, Timalo, SOFT,...
Le dimanche 08 février 2009 : à 8h00 du matin, après 20 heures de négociations, un accord est trouvé sur les modalités de mise en œuvre de l’augmentation des salaires de 200 €. La partie patronale refuse de signer si cet accord n’est pas assorti d’un engagement formel de l’Etat confirmant sa contribution au financement de l’augmentation de salaire réclamée (cf déclaration d’Yves Jego du 28 janvier 2009). Un rendez-vous est pris à 16h00 afin de procéder à la signature de cet accord après réception de l’engagement de l’Etat.
Départ précipité d’Yves JEGO vers la France alors même que le LKP se rend à la réunion de 16h00 comme prévu à Basse Terre.
Le 09 février : Grand déboulé dans les rues de Basse Terre, Pointe à Pitre en Marie galante. Plus de 100 000 guadeloupéens dans les rues.
Le 10 février : Conseil interministériel à Paris sur la situation en Guadeloupe. François FILLON s’adresse à la nation en déclarant que l’Etat ne peut intervenir dans les relations sociales ni participer à l’augmentation des salaires. François FILLON invalide les engagement de l’État, présentés le 28 janvier par Yves JEGO.Retour d’Yves JEGO en Guadeloupe accompagné de deux médiateurs MM Bessières et Lopez.
Le 11 février : Reprise des négociations à Basse Terre concernant la question des salaires. LKP réclame que les discussions se poursuivent sur la mise en œuvre de l’accord convenu le dimanche 8 février 2009.
Le 12 février : Après avoir rencontré les six délégations patronales, les médiateurs constatent que leur mission est impossible. LKP considère qu’il ne peut s’agir de négociations sur les salaires puisque l’accord du dimanche 8 février est acquis. Il reste à l’Etat à s’entendre avec la partie patronale sur les modalités de financement. LKP ne peut dorénavant que discuter des conditions de mise en œuvre de l’accord. LKP attend une convocation à cet effet.
Vendredi 13 février : Le soir, devant le Palais de la Mutualité, diffusion du documentaire "Les derniers maîtres de la Martinique. Suivi du soutien d'artistes comiques de Guadeloupe.
Samedi 14 février : Le matin > "Happening" de plasticiens devant le Palais de la Mutualité. Vente de matériel médical à destination des handicapés.
L'après-midi : "Déboulé" au Moule et commémoration des travailleurs Guadeloupéens tués au Moule, le 14 février 1952.
Le soir : "Swaré léwòz" avec Akiyo Ka.
Dimanche 15 février : "Mas an konsyans" à Pointe- à - Pitre
Du 16 au 21 : Durcissement de la mobilistation, barrages.
Mardi 17 février : Décès par balle de Jacques BINO (employé des impôts, syndicaliste à la CGTG, membre du "Mouvman Kiltirèl AKIYO",...)
Jeudi 19 février : Rencontre entre les élus parlementaires d'Outre - Mer et le président de la République, Nicolas Sarkozy. Intervention télévisée du président.
Vendredi 20 février : Reprise des négociations entre les réprésentants syndicaux, les "socio-professionnels" et les médiateurs...
Samedi 21 février : Suspension des négociations, en vue d'une reprise le lundi 23. Le matin : Présentation au public, du corps de Jacques BINO au Palais de la Mutualité.
L'après - midi : Présentation du corps de Jacques BINO au Hall des sports de Petit - Canal.
Le soir : Veillée mortuaire de Jacques BINO à Petit - Canal.
Dimanche 22 février : L'après - midi > Enterrement de Jacques BINO.

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