samedi 16 mai 2009

Un général usaméricain met sur pied une armée palestinienne

par Robert DREYFUSS, 10/5/2009. Traduit par Marcel Charbonnier. Édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original : US General Builds A Palestinian Army

Jeudi dernier, lors de ce qui a été considéré comme son premier discours destiné au public, le général trois étoiles Keith Dayton, coordinateur de sécurité pour Israël et l’Autorité palestinienne s’est adressé au Symposium Soref 2009 organisé par le Washington Institute for Near East Policy (WINEP). Le Winep, bien entendu, est la principale boîte à idées (thinktank) du lobby israélien basé à Washington.
Dans son discours, le général Dayton a formulé une importante mise en garde.
Voyons, tout d’abord, le contexte. Depuis trois ans et demi, Dayton habite et travaille à Jérusalem et dans toute la Cisjordanie, où il supervise la création de trois bataillons palestiniens recrutés en Cisjordanie, puis formés dans une école militaire en Jordanie, après quoi ils sont déployés dans le territoire occupé (par Israël, NdT).
Ces trois bataillons (ce cinq cents hommes chacun) sont appelés à se multiplier : l’on parle de dix bataillons analogues. Ils ont pour mission, dit Dayton, « de créer un État palestinien ». Conscient que beaucoup des membres de son auditoire, au Winep, n’étaient pas particulièrement entichés de l’idée d’une Palestine indépendante, Dayton usa de précaution oratoire : « Si vous ne trouvez pas l’idée d’un État palestinien sexy, alors vous n’allez pas aimer ce qui va suivre… »
A en juger du tableau détaillé dépeint par Dayton, il est clair que les forces armées palestiniennes qu’il est en train d’instituer risquent fort de se voir accuser de faire le boulot de gendarme, en Cisjordanie, au profit des Israéliens. Après tout, la Cisjordanie est occupée par Israël, et vérolée de colonies illégales, de surcroît – sans oublier qu’elle est cernée par une muraille qui en fait le tour, que ses routes sont coupées par plus de six cents check-points au cœur de son territoire, celui-ci étant sillonné par un réseau d’autoroutes réservées exclusivement aux juifs : les troupes palestiniennes sont donc à la merci totale des Israéliens. Chaque nouvelle recrue palestinienne est interrogée par les forces de sécurité usaméricaines (comprendre : la CIA), puis par le Shin Bet, le service du renseignement intérieur israélien, puis, à nouveau, par les services de renseignement hyper-efficients de la Jordanie, avant de pouvoir entamer sa formation militaire en Jordanie. Dayton a été très clair : les unités palestiniennes entraînées jusqu’ici sont prioritairement déployées contre deux cibles en Cisjordanie : les bandes criminelles et le Hamas.
Jusqu’ici, cette armée palestinienne a bénéficié d’un financement usaméricain d’un montant de 161 millions de dollars.
Dayton a décrit la manière dont, durant l’opération armée israélienne contre Gaza, en décembre et en janvier derniers, la Cisjordanie est restée calme – même si certains analystes prévoyaient une explosion de sympathie pour le Hamas, qui contrôle Gaza, accompagnée de violence, voire même une troisième Intifada. « Aucune de ces prédictions ne s’est réalisée », a dit le général, qui a ajouté que les bataillons palestiniens ont autorisé des manifestations pacifiques de solidarité avec le Hamas, mais en maintenant le couvercle sur d’éventuelles actions violentes. « Israël », a-t-il dit, « a gardé profil bas », et aucun Palestinien n’a été tué en Cisjordanie durant le carnage, pendant trois semaines à Gaza.
Dayton a indiqué que le plus gros du boulot qu’il a accompli a concerné la Cisjordanie, après la prise de contrôle de Gaza par le Hamas, en juin 2007. « Ce que nous avons créé, ce sont des ‘hommes nouveaux’ », a-t-il ajouté sobrement.
Venons-en à l’avertissement. Reconnaissant qu’en organisant et en entraînant des milliers de soldats palestiniens, encadrés par de vrais professionnels, il est en train de créer, de fait, une armée nationaliste, Dayton a averti ses quelque cinq cents auditeurs du Winep que ces troupes ne pourront être contrôlées que pendant un certain temps. « Avec les grands espoirs viennent les gros risques », a-t-il dit. « On peut vous amuser pendant un maximum de deux ans en vous disant que vous êtes en train de créer un État, si ça n’est pas réellement le cas,». A mes oreilles, tout au moins, ce subtil avertissement veut dire que si un progrès concret n’était pas réalisé dans la voie de la création d’un État palestinien, les troupes palestiniennes que Dayton est en train de mettre sur pied pourraient elles-mêmes entrer en rébellion.
Dayton répondait à une question de Paul Wolfowitz, l’ancien secrétaire adjoint à la Défense néoconservateur, qui est devenu un pilier de l’American Enterprise Institute, une institution sous emprise néoconservatrice. Celui-ci lui avait demandé : « Quelle proportion des Palestiniens voit en vos hommes des collaborateurs ? » Répondant à Wolfowitz, le général a reconnu que le Hamas et ses sympathisants accusent les bataillons palestiniens d’être des « supplétifs de l’occupation israélienne ». Mais il a souligné que chacun de ses hommes est persuadé de lutter pour une Palestine indépendante. Le message subliminal : les USA et Israël ont intérêt à tenir leurs promesses. D’où le compte à rebours de deux ans… Ce qui, à mes yeux, colle pile-poil avec le calendrier de l’administration Obama.
Ah, et puis, aussi, ceci : le Général Dayton rempile, en Cisjordanie. Vous avez deviné pour combien de temps ? Exactement : deux ans !
> Lire aussi La République Palestinienne de Dayton, par Abdelbari Atwan, 9/2/2009

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire