dimanche 23 août 2009

Palestine : "On pille les organes de nos fils"

Les révélations du journaliste suédois Donald BOSTRÖM dans Aftonbladet
Traduit par MG/
ISM, révisé par Fausto Giudice, Tlaxcala.
Original :
”Våra söner plundras på sina organ”
Anglais : “Our sons plundered for their organs”

Des Palestiniens accusent l’armée israélienne de voler des organes à ses victimes. Donald Boström raconte le scandale international des transplantations d’organes – et comment lui-même a été le témoin d’une atteinte au corps d’un Palestinien de 19 ans.

Vous pouvez m'appeler un "entremetteur", a déclaré Levy Izhak Rosenbaum, de Brooklyn, USA, sur un enregistrement secret réalisé par un agent du FBI qu'il croyait être un client. Dix jours plus tard, fin juillet de cette année, Rosenbaum a été arrêté et un vaste trafic d’organes et de blanchiment d'argent, digne des Soprano, a été démasqué dans le New Jersey, impliquant des rabbins, des élus et des fonctionnaires.


Unga palestinska män kastar sten och glasflaskor mot israeli Des jeunes Palestiniens jetant des pierres et des cocktails Molotov sur des soldats israéliens dans le nord de la Cisjordanie. C'est dans cette région que Bilal Ahmed Ghanan a été tué. Photo: Donald Boström


Bilal Ahmed Ghanan, 19 ans, a été tué par les soldats israéliens, qui ont emporté son corps. Le corps a été rendu à sa famille avec une suture allant de l'abdomen au menton - Photo: Donald Boström

Levy Izhak Rosenbaum förs bort av FBI-agenter. Rosenbaum ska Levy Izhak Rosenbaum lors de son arretsation par le FBI. Photo : AP


Le travail d’entremetteur de Rosenbaum n'a rien à voir avec le romantisme. Il s'agissait d'achat et de vente au marché noir de reins provenant d’Israël. Rosenbaum affirme qu'il achète des reins à des gens modestes pour 10,000 $ et les revend ensuite à des patients désespérés aux USA pour 160.000 $. Le temps d’attente pour un rein obtenu par les voies légales est en moyenne de 9 ans.

Les accusations ont ébranlé l’industrie américaine de la transplantation. Si elles sont vraies, c’est la première fois qu’un trafic d'organes est documenté aux USA, ont déclaré des experts au New Jersey Real-Time News.

A la question de savoir combien d'organes il a vendu, Rosenbaum répond: «Pas mal. Et je n'ai jamais échoué», se vante-t-il. Son commerce a duré pendant très longtemps.

Francis Delmonici, un professeur de chirurgie de transplantation à l'Université d’Harvard et membre du conseil d'administration de la National Kidney Foundation (Fondation nationale du rein), indique au même journal que le trafic d'organes, semblable à celui signalé en provenance d’Israël, a lieu dans d'autres endroits de la planète. On estime qu’environ 10% des 63 000 transplantations de reins dans le monde sont illégales, selon Delmonici.

Les pays soupçonnés de ces activités sont le Pakistan, les Philippines et la Chine, où les organes seraient prélevés sur des prisonniers exécutés. Mais les Palestiniens soupçonnent aussi fortement Israël de capturer des jeunes hommes qui lui serviraient à leur corps défendant, comme au Pakistan et en Chine, de réserves d’organes avant d’être tués. Une accusation très grave, avec suffisamment de points d’interrogations pour motiver la Cour internationale de Justice (CIJ) à ouvrir une enquête sur d'éventuels crimes de guerre.

Israël a été à maintes reprises critiqué pour sa gestion contraire à l’éthique des organes et des greffes. La France a été parmi les pays qui ont cessé la collaboration d'organes avec Israël dès les années 90. Le Jerusalem Post a écrit que «les autres pays européens devraient suivre l'exemple de la France prochainement."

Depuis le début des années 2000, la moitié des reins greffés à des Israéliens ont été achetés illégalement en Turquie, en Europe de l'Est ou en Amérique latine. Les autorités sanitaires israéliennes sont totalement au courant de ce commerce, mais ne font rien pour l'arrêter.

Lors d'une conférence en 2003, il a été démontré qu’Israël est le seul pays occidental dont le corps médical ne condamne pas le commerce illégal d'organes et qui ne prend aucune mesure légale contre les médecins qui participent à ce commerce illégal. Au contraire, les médecins-chefs des grands hôpitaux israéliens sont impliqués dans la plupart des transplantations illégales, selon le quotidien suédois Dagens Nyheter du 5 Décembre 2003.

Au cours de l'été 1992, Ehud Olmert, alors ministre de la Santé, avait tenté de régler la question de la pénurie d'organes en lançant une grande campagne visant à trouver des volontaires israéliens pour des dons d'organes post mortem. Un demi-million de tracts furent diffusés dans les journaux locaux, invitant les Israéliens à s’inscrire pour des dons d’organes après leur mort. Ehud Olmert avait été lui-même la première personne à s'inscrire.

Deux semaines plus tard, le Jerusalem Post signalait que la campagne avait été un succès. Pas moins de 35.000 personnes s’étaient inscrites, contre 500 par mois auparavant.

Toutefois, dans le même article, la journaliste Judy Siegel écrivait que l'écart entre l'offre et la demande était toujours important. 500 personnes étaient sur liste d’attente pour une greffe de rein, mais que seules 124 transplantations pourraient être réalisées. Sur les 45 personnes ayant besoin d'un nouveau foie, trois seulement pouvaient être opérées en Israël.

Pendant cette campagne, de jeunes hommes palestiniens ont commencé à disparaître dans les villages de Cisjordanie et de Gaza. Des soldats israéliens les ramenaient morts au bout de 5 jours, le corps ouvert.

Parler de ces corps charcutés terrorisait la population des territoires occupés. Il y avait des rumeurs d'une augmentation spectaculaire du taux de disparition de jeunes hommes, avec des enterrements nocturnes de corps autopsiés.

J'étais dans la région à l'époque, je travaillais sur un livre. À plusieurs reprises, j'ai été contacté par le personnel de l'ONU préoccupé par l'évolution de la situation. Les personnes qui me contactaient disaient que des vols d’organes avaient certainement lieu, mais qu'ils étaient empêchés d’agir contre cela.

Ayant trouvé un réseau de diffusion pour le reportage, je me suis alors déplacé dans le secteur pour interroger un grand nombre de familles palestiniennes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza : j’ai rencontré des parents qui ont raconté comment les organes de leur fils avaient été prélevés, avant d'être tués.

Un des exemples que j'ai trouvé lors de ce sinistre voyage fut celui le jeune lanceur de pierres, Bilal Ahmed Ghanan.

Il était près de minuit quand retentit le rugissement d'un moteur d’une colonne de l’armée israélienne à la périphérie d’Imatin, un petit village dans le nord de la Cisjordanie. Les deux mille habitants ont été réveillés. Ils se tenaient, ombres silencieuses dans l'obscurité, certains couchés sur les toits, d'autres cachés derrière les rideaux, les murs ou les arbres qui fournissaient une protection pendant le couvre-feu, mais offraient toujours une vue complète de ce qui allait devenir la tombe du premier martyr du village. Les militaires avaient coupé l'électricité et le secteur était maintenant une Zone Militaire Fermée – pas même un chat ne pouvait sortir sans risquer sa vie.

L'insupportable silence de la nuit noire était seulement interrompu par des sanglots silencieux. Je ne me souviens pas si nos frissons étaient dus au froid ou à la tension. Cinq jours plus tôt, le 13 Mai 1992, une force spéciale israélienne avait utilisé l'atelier de menuiserie du village pour tendre une embuscade. La personne pour qui l’action avait été mise en place était Bilal Ahmed Ghanan, l'un des jeunes lanceurs de pierres palestiniens qui menait la vie dure aux soldats israéliens.

En tant que l’un des principaux lanceurs de pierres, Bilal Ghanan, était recherché par l’armée depuis quelques d'années. Avec d'autres garçons lanceurs de pierres, il se cachait dans les montagnes de Naplouse, sans toit au-dessus de sa tête. Se faire prendre signifiait la torture et la mort pour ces garçons : ils devaient donc rester dans les montagnes, à tout prix.

Le 13 Mai, Bilal a fait une exception, lorsque pour une raison inconnue, il est passé sans protection devant l'atelier de menuiserie. Pas même Talal, son frère aîné, ne sait pourquoi il a pris ce risque. Peut-être les garçons étaient-ils sortis pour se réapprovisionner, leurs réserves de nourriture étant épuisées.

Tout s'est déroulé selon le plan de la force spéciale israélienne. Les soldats ont écrasé leurs cigarettes, posé leurs canettes de Coca-Cola, et ont visé calmement à travers la fenêtre brisée. Quand Bilal a été suffisamment proche, ils n’ont eu qu’à tirer sur la gâchette. Le premier coup l’a frappé à la poitrine. Selon des villageois qui ont été témoins de l'incident, il a été touché par une balle dans chaque jambe. Deux soldats sont alors descendus en courant de l'atelier de menuiserie et ont tiré à nouveau sur Bilal dans le ventre.

Puis, ils l’ont attrapé par les pieds et l’ont traîné sur les vingt marches en pierre de l'escalier de l’atelier. Les villageois racontent que les gens de l'ONU et du Croissant-Rouge se trouvaient à proximité, ont entendu la décharge et sont venus à la recherche de blessés ayant besoin de soins. Une discussion a eu lieu pour savoir qui devrait se charger de la victime. Les discussions se sont terminées avec le chargement de Bilal grièvement blessé dans une jeep par les soldats israéliens qui l’ont emmené à la sortie du village, où un hélicoptère de l’armée les attendait. Le garçon a été transporté vers une destination inconnue de sa famille. Cinq jours plus tard, il est revenu mort, enveloppé dans un tissu vert d’hôpital.

Un villageois a reconnu le capitaine Yahya, le chef de la colonne de l’armée, comme étant celui qui avait transporté Bilal depuis le centre d’autopsie d’ Abou Kabir, à l'extérieur de Tel Aviv, jusqu’à son dernier lieu repos. "Le capitaine Yahya est le pire de tous», a murmuré le villageois à mon oreille. Après que Yahya eut fait décharger le corps et changer le tissu vert contre un autre en coton léger, certains hommes de la famille de la victime ont été choisis par les soldats pour creuser la tombe et mélanger le ciment.

Malgré le bruit marqué des pelles, nous pouvions entendre les rires des soldats qui échangeaient quelques plaisanteries en attendant de rentrer chez eux. Quand Bilal a été mis en terre, sa poitrine a été découverte. Soudain, il est devenu clair pour les quelques personnes présentes à quel genre d'abus le garçon avait été exposé. Bilal n'était pas le premier jeune Palestinien à être enterré avec une incision du ventre jusqu'au menton et les spéculations allaient bon train sur le pourquoi de ces sutures.

Les familles en Cisjordanie et à Gaza étaient sûres de ce qui était arrivé à leurs fils : «Nos fils sont utilisés comme donneurs d'organes involontaires», m’a dit un proche de Khaled de Naplouse, de même que la mère de Raed de Jénine et les oncles de Mahmoud et Nafes dans la bande de Gaza, qui ont tous disparu pendant un certain nombre de jours avant de revenir de nuit, morts et autopsiés.

"Pourquoi sinon garder les corps pendant au moins cinq jours avant de nous laisser les enterrer? Qu'est-il arrivé aux corps pendant cette période? Pourquoi effectuent-ils une autopsie, contre notre volonté, lorsque la cause du décès est évidente? Pourquoi les corps sont-ils rendus de nuit? Pourquoi avec une escorte militaire? Pourquoi la zone est-elle bouclée pendant l'enterrement? Pourquoi l'électricité est-elle coupée?" L’oncle de Nafe était bouleversé, et il avait beaucoup de questions.

Les proches des Palestiniens morts n’avaient plus de doutes quant aux raisons de ces meurtres, mais le porte-parole de l'armée israélienne affirmait que les allégations de vol d'organes étaient des mensonges. Toutes les Palestiniens qui sont tués sont autopsiés, c’est la routine, dit-il.

Bilal Ahmed Ghanan a été l'un des 133 Palestiniens tués de différentes façons cette année-là. Selon les statistiques palestiniennes, les causes des décès ont été: tué dans la rue, une explosion, par des gaz lacrymogènes, délibérément écrasé, pendu en prison, tué à l'école, tué à la maison, etc.

Les 133 personnes tuées avaient entre 4 mois et 88 ans. Seule la moitié d'entre elles, 69 victimes, ont été autopsiées. L'autopsie « de routine » des Palestiniens tués - dont parlait le porte-parole de l'armée – ne reflète pas la réalité dans les territoires occupés. Les questions demeurent.

Nous savons qu'Israël a un grand besoin d'organes, qu’il existe un vaste commerce illégal d'organes, qui a lieu depuis de nombreuses années maintenant, que les autorités sont conscientes de cela et que les médecins à des postes de direction dans les grands hôpitaux y participent, ainsi que des fonctionnaires à différents niveaux.

Nous savons aussi que des jeunes hommes palestiniens ont disparu, qu’ils ont été ramenés au bout de cinq jours, de nuit, dans un secret absolu, recousus après avoir été ouverts du menton à l'abdomen, charcutés et recousus.

Il est temps d'apporter de la clarté sur ce commerce macabre, de faire la lumière sur ce qui se passe et ce qui s’est passé dans les territoires occupés par Israël depuis le début de l'Intifada.



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