jeudi 4 février 2010

Al-Qaïda: Oussama Ben Laden, altermondialiste et écolo ?


Le message d’Oussama Ben Laden livré, le 28 janvier 2010, par le réseau qatari Al-Jazeera accuse les États-Unis d’être responsables du réchauffement de la planète. Pour renverser la vapeur, il préconise un certain nombre de mesures.
En cinq jours, Oussama Ben Laden a livré successivement deux messages audio. Toujours au célébrissime réseau satellitaire arabe Al-Jazeera. Il s’est adressé dans le premier au président américain en personne pour à la fois revendiquer l'attentat manqué de Noël dernier et l’avertir que son réseau fomentera d’autres attentats à venir contre les États-Unis («Al-Qaïda: Le message du 24 janvier 2010 d’Oussama Ben Laden à Barack H. Obama . Le 28 janvier, le réseau qatari a livré un nouvel enregistrement audio (non authentifié, voir www.aljazeera.net), adressé cette fois à l’ensemble de l’humanité. Une nouveauté! S’il nous y fait découvrir une inconnue fibre altermondialiste et écolo du chef d’Al-Qaïda, son leitmotiv demeure le même, la guerre contre les États-Unis. Par d’autres moyens, cette fois. Le changement de registre et les moyens préconisés pour venir à bout de l’«ennemi lointain» n’y changent donc rien.
La question du changement climatique expliquée par Oussama Ben Laden

Le nouveau message d’Oussama Ben Laden est intéressant à plusieurs titres. D’abord, l’adresse. Ses messages précédents s’adressaient presque exclusivement aux musulmans du monde entier pour les exhorter à rejoindre l’objectif principal qu’il s’est fixé ainsi que son réseau, à savoir combattre les États-Unis et s’attaquer à leurs intérêts aux quatre coins du globe. Cette fois, il s’est adressé à l’humanité tout entière, et donc non aux seuls musulmans. Une première qui interpelle tout observateur du réseau Al-Qaïda et de son discours public. Quand on connaît le sectarisme des salafistes (dont fait partie Ben Laden), on ne peut que rester sur nos gardes vis-à-vis de cette manœuvre rhétorique. Rappelons-nous (entre autres choses) que pour ce courant ultra-minoritaire parmi les musulmans sunnites, en dehors de l’islam (qui serait la seule religion authentique), point de salut! Et même parmi les musulmans, on fait un tri entre une partie qui serait «sauvée» (c’est-à-dire les salafistes) et le reste, qui seraient des «égarés», pire des mécréants. Une accusation grave qui leur garantirait dans un royaume salafiste la peine de mort. Ensuite, le nouveau message contient peu de citations religieuses. Un choix qui s’explique peut-être par le public cible du dernier message. Encore, la fixation sur l’ancien président américain, George W. Bush, qui est présenté ici comme une figure maléfique, montre que le temps du chef d’Al-Qaïda s’est arrêté à la période bushienne. Cela donne l’impression qu’il ait personnellement une dent contre lui. Enfin, deux idées fortes structurent le discours de Ben Laden et nous livrent en deuxième niveau, au corps défendant de son auteur, le véritable objectif recherché ici.
Comme Al-Jazeera n’a pas daté ce message, nous risquons une date approximative de sa composition. Elle se situerait après le 19 décembre dernier (date du sommet onusien de Copenhague sur l’environnement). Pourquoi? Ben Laden ne mentionne pas l’attentat raté du 25 décembre dernier, mais mentionne le sommet onusien. Plus important encore, si Al-Jazeera avait rapidement diffusé le message audio de Ben Laden, cela voudrait dire que son auteur présumé ne serait pas le véritable commanditaire de l’attentat raté de Noël dernier et que sa revendication serait une tentative désespérée de sa part pour montrer qu’il demeure toujours en contrôle de son réseau et montrerait, à son corps défendant, l’affaiblissement d’Al-Qaïda «central».
Première idée-force, la culpabilisation de l’Occident en général et des États-Unis en particulier. À ce propos, Ben Laden est convaincu que «toutes les nations industrialisées, surtout les grandes nations (occidentales), sont responsables du réchauffement climatique». Si George W. Bush et la droite républicaine américaine mettaient en doute ce phénomène et la responsabilité humaine dans son accélération, lui (comme de nombreux scientifiques et environnementalistes) est pour sa part convaincu du contraire, c’est-à-dire de sa réalité et de la dangerosité de son impact sur la vie des êtres humains partout sur la planète. Il estime que ce phénomène a provoqué, de manière accélérée, «la désertification (de plusieurs contrées), les cyclones, les pluies diluviennes, l’élévation du niveau des mers)…», «le déplacement de populations», la «mort (récemment) au Bangladesh de 40.000 personnes et la perte de 24 millions d’individus de leurs foyers». Il rappelle «le milliard de réfugiés climatiques des quatre prochaines décennies pour cause du réchauffement du climat», à en croire le rapport d’un expert cité par lui pour étayer sa démonstration.
Le débat sur le changement climatique «n’est (donc) pas (pour lui) un débat d'intellectuels». D’où sa dénonciation sans équivoque du gouvernement de G. W. Bush pour avoir refusé de ratifier le traité de Kyoto sur le changement climatique, sous prétexte qu’il ne contient pas de règles contraignantes également pour les émissions de gaz à effet de serre des économies émergentes (Inde, Chine, Brésil principalement). Notons bien que ce Protocole a été ratifié depuis son adoption en décembre 1997 au Japon par 187 pays membres des Nations unies. Il reste à ce jour le seul traité international contraignant contre le réchauffement climatique.
Ce phénomène naturel serait, selon le chef d’Al-Qaïda, dû au comportement «irresponsable», «égoïste» et même «criminel» de dirigeants de multinationales américaines. Avec l’appui du gouvernement de «Bush junior et du congrès américain». Et ce pour la seule raison de «satisfaire (les intérêts) de (ces) grandes compagnies» prédatrices. Des entreprises, «auteures du crime (du réchauffement climatique)», qui sont (affirme-t-il) à l'origine de «la spéculation, du monopole, de l'augmentation des prix et des effets tragiques de la mondialisation, dont l’augmentation du nombre des nouveaux pauvres et des chômeurs». À cause de l’impact négatif de la crise économique mondiale sur les affaires de ces compagnies (qui en sont responsables), Bush junior a concocté à leur avantage de généreux plans de sauvetage, grâce à. «l'argent public», déplore-t-il. Une collusion qui lui fait donner «raison» à Noam Chomsky (voir l’entrevue de ce dernier accordée au journal britannique «The Guardian», 7 novembre 2009) quand il parlait d’une «ressemblance entre la politique américaine et les gangs de la mafia», et de dire le chef d’Al-Qaïda que «ce sont ceux là, les vrais terroristes (et donc non pas ses partisans)».
Estimant que ni les sommets internationaux ni les mobilisations des opinions publiques dans le monde ne pourront freiner l’appétit insatiable des patrons «criminels» de ces multinationales, Ben Laden pense qu’il «faut s’y attaquer grâce à cinq mesures». D’abord, leur éducation pour qu’«ils se repentent». Ensuite, pour empêcher «la machine économique américaine», une «machine criminelle», de continuer à nuire à l’environnement, Ben Laden identifie trois éléments : les matières premières, le capital et les consommateurs. À ses yeux, «tous les peuples peuvent (à des degrés divers) avoir un impact au niveau (de ces trois facteurs)». «Si les consommateurs du monde entier achetaient moins de produits américains, cela baisserait la cadence de production des biens et réduirait par conséquent le réchauffement de la planète», dit-il. C’est assez simpliste comme raisonnement, de notre point de vue. Aussi, il propose de «réduire la consommation» des biens et services. Encore, il exhorte le peuple américain à «juger les patrons des grandes multinationales (responsables du réchauffement climatique) et leur faire-valoir, les politiciens», pour leur «crime contre l’humanité». Enfin, il appelle au boycott du dollar américain. «Nous devons arrêter d'utiliser le dollar et nous en débarrasser», dit-il. «Je sais que cela aurait des répercussions énormes, mais ce serait le seul moyen de libérer l'humanité de l'esclavage de l'Amérique et de ses entreprises, et d’éviter le pire». «La dépréciation du dollar face à l’euro (de l’ordre de +80%, selon lui) et au prix de l’or (400% depuis septembre 2001) sur les marchés sont des raisons supplémentaires pour sauter le pas et renoncer» au billet vert, à le croire.
De telles mesures, adoptées par les grandes comme les petites nations, pourraient, selon Ben Laden, «isoler les États-Unis», réduire leur «production nuisible» à l’environnement et «sauver les générations futures». Aussi, «en cessant de prêter aux Américains, les pays riches les mettraient au pied du mur et les obligeraient à cesser les guerres d’Afghanistan et d’Irak», dit-il.
L’altermondialisme à la sauce Ben Laden

Si on ne connaissait pas qui est Oussama Ben Laden en réalité, on l’aurait pris pour un écolo doublé d’un ardent altermondialiste. Si on la dépouille de ses quelques références religieuses, sa rhétorique anti-américaine a des accents «marxistes» assez prononcés et tout altermondialiste de gauche pourrait s’y reconnaître aisément.
Pour le chef d’Al-Qaïda, la mondialisation est un phénomène économique à condamner. Ceux qui en font la promotion, c’est-à-dire les grandes corporations, ce sont eux qui sont responsables du changement climatique. Sans oublier l’augmentation du nombre des nouveaux pauvres et des chômeurs» et l’hypothèque de «l’avenir des générations futures».
Étant conscient de l’étendue du sentiment antiaméricain répandu encore aux quatre coins du monde (notamment dans les pays en voie de développement), il essaye dans son message audio de se servir de la question du changement climatique comme levier de mobilisation des peuples, riches et pauvres, pour pouvoir mettre en place une coalition internationale, seule, capable, à ses yeux, de mettre à genoux le colosse américain aux pieds d’argile. Révélant ainsi les impasses de la stratégie terroriste de son réseau. Il estime que les «moujahidines en Afghanistan et en Irak continueront leur combat» contre les forces militaires américaines, pour, d’une part, venir en aide à leurs frères musulmans, notamment en Palestine, et, d’autre part, se porter à «la défense des sinistrés et des humiliés en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud», qui sont, estime-t-il, sans défense! Manœuvre grossière de récupération des luttes de mouvements sociaux altermondialistes contre des multinationales insatiables.
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Ben Laden nous avait dans le passé habitué à ses diatribes contre les «judéo-croisés» occidentaux. Dans ce récent message, il joue dans un autre registre. À portée globale. Est-ce un indice des impasses dans lesquels s’est enfermé son réseau? Où est-ce une tentative de sa part pour défricher de nouvelles terres pour ses combattants de l’ombre?

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