Lettre ouverte au ministre français de l’immigration
Paris, le 10 février 2010
« Compte tenu de l’ampleur et de la gravité de la catastrophe naturelle en Haïti », vous annonciez le 14 janvier un « dispositif exceptionnel et temporaire d’accueil des victimes en France » concernant « un allègement des conditions du regroupement familial » et « des facilités accordées pour la délivrance des visas pour visites familiales ».
Concrètement, seul un dispositif de dispense de visa pour évacuations sanitaires ou pour des familles bénéficiaires d’un regroupement familial déjà accordé a été envisagé. Vous avez « gelé » les expulsions mais des décisions de reconduite à la frontière ont continué à être prises à l’encontre de Haïtiens.
De nombreux Haïtiens résidant en France ont tenté des démarches pour accueillir leurs proches. Leur déception actuelle est à la hauteur des espoirs qu’ils avaient placés dans la promesse d’une prise en compte compréhensive du drame qu’ils vivent : l’administration continue à leur opposer les mêmes critères restrictifs de ressources ou d’état civil que ceux qui prévalaient avant le séisme, la cellule d’urgence, difficilement joignable tant elle a été sous-dimensionnée, permettant tout au plus l’accélération de certaines procédures. Ces obstacles administratifs posés au droit à une vie privée et familiale normale ont des conséquences encore plus tragiques dans le contexte actuel : enfants isolés, proies potentielles de trafics, personnes vulnérables laissées sans soins, hommes et femmes ayant tout perdu et n’aspirant qu’à rejoindre le peu de famille qu’il leur reste…
Bien avant ce mois de janvier, les failles de l’état civil haïtien rendaient déjà souvent impossibles les regroupements familiaux. Au cours de cette catastrophe des milliers de personnes ont perdu leurs papiers d’identité et la fermeture des archives nationales d’Haïti, menacées d’écroulement, rend impossible la délivrance d’éventuels documents de substitution. Laisser les administrations chargées de cette procédure sans nouvelles consignes ministérielles à ce sujet revient à bloquer concrètement un droit garanti par les textes nationaux et internationaux.
Dans leur désarroi et face à l’inertie de l’administration des centaines d’Haïtiens s’adressent aux associations communautaires ou de défense des droits des étrangers. Ils voudraient voir aboutir des procédures de regroupement familial entamées en vain depuis des années, accueillir des membres de leur famille qui n’entrent pas dans les critères du regroupement familial, ou encore venir en aide à des compatriotes, souvent sans papiers et sans ressources.
Vous avez dit, dans votre communiqué du 14 janvier : « La réaction de la France doit être à la hauteur de sa tradition républicaine d’accueil, de solidarité, et d’humanité, et des liens historiques et culturels profonds qu’elle entretient avec le peuple haïtien. Dans des circonstances aussi effroyables et douloureuses, tous nos efforts doivent se concentrer sur l’aide aux Haïtiens ».
Or l’aide aux Haïtiens passe notamment par une aide aux Haïtiens de France, qui sont en première ligne pour la relayer.
L’urgence doit se traduire par des mesures immédiates :
  • l’octroi à tous les Haïtiens qui vivent en France d’un droit stable et durable au séjour et au travail ;
  • la possibilité pour les Haïtiens installés en France de faire venir leurs proches qui se trouvent en situation précaire en Haïti ;
  • l’octroi de laissez-passer aux personnes dépourvues de document de voyage, sur présentation de documents périmés ou d’attestation de notoriété ;
  • l’octroi d’un visa de retour aux Haïtiens expulsés ;
  • l’abrogation des décisions de reconduite (OQTF ou APRF) dont sont victimes des Haïtiens ;
  • la suppression d’exigences irréalisables en matière de production de pièces d’état-civil dans ces procédures ;
  • des instructions claires et précises données aux différentes administrations, préfectures, office français de l’immigration et à l’ambassade de France en Haïti.
A défaut, vos déclarations n’auront fait que bercer d’illusions ceux que cette catastrophe a émus. Les Haïtiens de France seront les plus atteints par ce camouflet qui s’ajouterait aux traumatismes qu’ils ont subis, et à l’inquiétude qu’ils ressentent pour les victimes, en particulier les enfants isolés en extrême danger.
Signataires :
* Collectif de défense des droits des Caribéens et Caribéennes en Martinique [1]
* Collectif Haïti de France
* Collectif Migrants Outre-mer (Mom) [2]
* Fédération des associations franco-haïtiennes de Guadeloupe
* LDH, section de Cayenne
* LDH-Guadeloupe
* Plate-forme d’associations franco-haïtiennes (PAFHA)
* Réseau éducation sans frontières (RESF)
* RESF - Guyane

Notes
[1] Amnesty international Martinique, ASSOKA, CGTM, CDMT, UFM, Cercle Frantz Fanon, LDH-Martinique
[2] ADDE, AIDES, Anafé, CCFD, La Cimade, Collectif Haïti de France, Comede, Gisti, Elena, LDH, Médecins du monde, Mrap, Secours Catholique / Caritas France