mercredi 24 mars 2010

Chroniques de la vie quotidienne dans la France sarkozyenne (Vol.II, N°16)-Obligés de démolir leur yourte

Voici des jeunes gens qui ne demandent rien à personne. Dangereux. Ils n'ont pas de compteur EDF. Dangereux. Ils n'ont pas de compteur Veolia. Dangereux. Il n'ont pas de compteur GDF. Dangereux. Ils n'ont pas d'abonnement Orange. Dangereux. Ils ne payent pas de taxe d'habitation. Dangereux. Ils n'envoient pas 14 litres dans  les chiottes chaque fois qu'ils y vont. Dangereux. Ainsi ont jugé les mongoloïdes de la DDEA (Direction départementale de l'équipement et de l'agriculture, antenne de la...DDT (ça ne s'invente pas!), qui est, au cas très probable où vous ne le sauriez pas, la  Direction départementale des territoires) et n'a bien sûr rien à voir avec la défunte DST, devenue par fusion avec les RG, la DCRI).
Lisez ce qui peut arriver si vous tentez de vous organiser pour vivre de manière autonome!
Publié le 07/03/2010 08:49 - Modifié le 08/03/2010 à 16:29 | LaDepeche.fr

Obligés de démolir leur yourte

Société. Un idéal de vie brisé.

Tom à côté de la 
Yourte éprouve un grand sentiment d'injustice dans l'application d'une 
loi aveugle.Photo DDM, J.F.F.
Tom à côté de la Yourte éprouve un grand sentiment d'injustice 
dans l'application d'une loi aveugle.Photo DDM, J.F.F.
Rappel des faits : un jeune couple, Tom et Léa, construit une yourte en bordure de la piste entre Audressein et Arrout sur un terrain envahi par les ronces, les fougères.
Ce terrain est prêté par le propriétaire moyennant son entretien avec l'autorisation de la commune d'Arrout. La DDEA avertie, applique la loi et demande la destruction de la yourte pour le 15 octobre 2008 (Lire La Dépêche du 23 octobre 2007)). Refus du couple, nouveau délai donné jusqu'au 30 novembre. Finalement l'affaire ira en justice et le verdict est tombé : amende de 600€, obligation de démolir la yourte et pénalité par jour de retard. Tom, en l'absence de Léa qui travaillait, a bien voulu répondre à nos questions.
Vous êtes originaire de Franche-comté, pourquoi avoir choisi le couserans pour y vivre et y travailler ?
J'ai fait des études de biologie, j'ai été tout de suite séduit par cet environnement naturel préservé. Nous avons nettoyé le terrain, monté notre yourte avec des matériaux naturels car nous n'avons pas trouvé de logement.
Cet endroit est magnifique avec vue sur les montagnes. Y êtes vous heureux ?
C'est ce que nous voulions, vivre en pleine nature en la respectant, expérimenter un nouveau mode de vie. Nous cultivons un petit jardin, naturellement bio.
Quelles sont vos activités ?
Léa fait du maraîchage bio et son ambition est de créer sa propre exploitation. En ce qui me concerne, je suis ouvrier en bâtiment pour des travaux difficiles d'accès, acrobatiques. J'ai travaillé sur des chantiers à Bethmale, Saint Girons pour l'entreprise Vertibat. Je veux me spécialiser dans le bâtiment ancien et créer une micro-entreprise.
Comment ressentez-vous cette décision de justice ?
Comme une injustice car nous ne faisons de tort à personne, nous ne demandons rien, au contraire, nous entretenons la piste, avons remis la source en état, nous sommes parfaitement intégrés à la nature et nous y sommes heureux. Il y a plusieurs contradictions dans cette décision, attirer les jeunes, créer des emplois, préserver la nature alors que la yourte détruite le terrain redeviendra une friche et la source se perdre, et au final deux SDF supplémentaires.
L'ex maire d'Arrout, Georges Garié interrogé sur ce jugement n'a pas mâché ses mots : « On chercherait à faire monter la pression pour mieux pouvoir sanctionner qu'on ne s'y prendrait pas autrement. N'aurait-il pas été plus sage et plus juste de faire appel au médiateur pour régler cette inobservation d'un règlement d'urbanisme tout à fait inapproprié ?»

Troisième Intifada : "jour de colère" et "jour d'infamie"

par Agustín VELLOSO, 2103/2010. Traduit par Esteban G., édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Il semble que la troisième Intifada de l’ère israélienne ait officieusement commencé le mardi 16 mars 2010. On ne parle presque jamais de celles antérieures à 1948, comme si la résistance était un phénomène récent.
On oublie la Brigade Arabe des années 50 du XXème siècle et les résistants comme le Cheikh Ezzedine Al Qassam, enseignant, leader des ouvriers, des paysans et des groupes de guérilla dans les années vingt et les années trente de ce même siècle.
À la différence d’Abu Mazen, Ezzedine Al Qassam a combattu, de toutes ses forces et avec honneur, jusqu’à sa mort, les Français, les Britanniques et les sionistes.
Dès demain, la souffrance des Palestiniens va s’amplifier, mais avant que le sang des blessés et des morts ne vienne recouvrir l’Esplanade des Mosquées, comme cela c’était produit le 28 septembre 2000, sur ordre d’Ariel Sharon, il faudra célébrer le nouveau soulèvement des Palestiniens.
Aujourd’hui, comme lors du déclenchement de la seconde Intifada, et en mémoire des dizaines de Palestiniens assassinés ce jour-là, on peut entendre une nouvelle fois les cris :
Vive le combat du peuple palestinien ! À bas l’occupation ! Fin des pourparlers ! Fin du siège de Gaza !
À ceux qui ont la mémoire courte, il est bon de rappeler, qu’à cette date c’était George Mitchell qui présidait la commission internationale qui portait son nom dont un autre notable pro-sioniste faisait partie : Javier Solana. Cette commission porte la responsabilité du sort des Palestiniens qui priaient en ce lieu, mitraillés par les soldats israéliens, qui avaient été envoyés par leur gouvernement, pour les éliminer.
Logiquement, dans les années qui ont suivi – sans compter l’attaque de décembre 2008 – Israël avait tué plus de 4000 Palestiniens. Pour quelle raison s’en serait-il privé ?
Et qui est, aujourd’hui, l’envoyé spécial d’Obama au Moyen-Orient ? Tiens tiens, c’est le même Mister Mitchell ! Un type qui compte plus d’années au Moyen-Orient que les pyramides, bien que sans aucun mérite. Il sera dans peu de temps candidat au Prix Nobel de la Paix, après avoir été professeur à l’École d’Éthique Mondiale Appliquée – on se demande ce qu'est ce machin - et président de la compagnie Walt Disney (ou peut-être inversement).
Pour sa part, ce Solana d’alors avait amplement démontré aux maîtres du monde son regret d’avoir écrit un document intitulé « 50 raisons pour dire non à l’OTAN ».Le Kosovo a été la meilleure manière qu’il avait trouvé pour le leur dire : je le reconnais, ce fut un péché de jeunesse, je l’ai confessé, maintenant je peux bombarder sans l’autorisation de l’ONU, je peux attaquer des objectifs civils et tuer des civils.
C’est très probable que pour ce Prix il rivalise avec Mitchell, car en plus de sa contribution pour la paix et pour le progrès de l’Europe, récompensée par le Prix Charlemagne en 2007, il faut ajouter son soutient constant et ferme au sionisme, un substantiel mérite pour parvenir à décrocher le Prix.
Aujourd’hui, "le jour de la colère" a été proclamé. Cela vaut pour les Palestiniens, mais pour Abou Mazen et l’Autorité Palestinienne c’est le « jour de l’infamie ». Les enfants lançant des pierres contre les blindés et les femmes brandissant dans la rue des drapeaux (palestiniens) face à trois mille policiers et soldats israéliens ayant le feu vert pour tirer et tuer, et lui (Abou Mazen) en même temps, en train de négocier avec le chef de ces forces armées ?

C’est aussi le jour de l’infamie pour les médias, qui décrivent les Palestiniens comme des agitateurs lorsqu’ils protestent et qu’ils se défendent comme ils peuvent contre la spoliation et la colonisation de leur terre, alors que ces mêmes médias ne disent pas un mot sur le fait que ceux-ci vivent sous l’occupation militaire, bloqués par un mur et des centaines de postes de contrôle militaire en Cisjordanie, assiégés et emprisonnés à Gaza, réfugiés et sans droit de retour s’ils sont en dehors de la Palestine.
Ils ne mentionnent pas non plus le fait contraire à la justice et à la paix, que les Palestiniens vivent constamment exposés aux attaques d’une des armées les plus puissantes du monde, sans que l’ONU, ni le Quartet pour le Moyen-Orient, ni la « communauté internationale » ne fassent rien d’autre que pleurer sur ce qu’ils appellent des actions excessives de la part d’Israël pour se défendre, d’encourager les Palestiniens à poursuivre les pourparlers de paix avec leur bourreau – au lieu de soutenir leur droit légitime à la résistance ou, mieux encore, d’empêcher Israël de poursuivre impunément son agression qui dure depuis des décennies – et donner de l’argent à quelques dirigeants palestiniens afin qu’ils brident bien le peuple, de façon à ce qu’Israël n’ait pas besoin de le faire sous les yeux du monde.
Oui, tout est ligué contre les Palestiniens, mais même avec tout ça, ils ne cèdent pas, n’abandonnent pas, et les Intifadas se répètent, même sans avoir récupéré du châtiment démentiel qu’ils ont souffert il y a près d’un an et avec le poids de la souffrance qui dure depuis plus de soixante ans.
Il n’y a aucun doute ; ils sont disposés à résister et à mourir plutôt que laisser la terre aux voleurs sionistes et à leurs adeptes. Les sionistes le savent par expérience, mais ils s’obstinent à croire que leur pouvoir militaire et leur amitié avec les USA et l’Union Européenne leur permettront d’expulser tous les Palestiniens ou de les tuer si c’est nécessaire.
Ceux qui ont la volonté de chercher la justice et en conséquence la paix en Palestine, n’ont qu’une seule voie, celle de soutenir les Palestiniens dans leur combat. Ne pas le faire, c’est se mettre du côté de l’agresseur et être complice de son infamie.




lundi 22 mars 2010

Haïti/ 500 ans d’histoire par ses peintres

Par Florence Gauthier, ICT-Université Paris Diderot-Paris 7
Source : http://revolution-francaise.net/2010/03/14/370-haiti-500-ans-dhistoire-par-ses-peintres


Une exposition de peinture d’histoire haïtienne est présentée à Paris à l’UNESCO (Place de Fontenoy, 75 007) jusqu’au 31 mars.

En Haïti, la peinture est une activité populaire qui a été remarquée en particulier par André Breton, lors de son passage dans les Antilles dans les années 1940. On a pu dire que les Haïtiens forment « un peuple de peintres » (André Malraux). Ils ont peint et continuent de peindre leur vie, leur monde et leur histoire. Jean-Marie Drot est parti à la recherche de cette histoire d’Haïti et nous offre une exposition passionnante, qui commence avec l’arrivée de Christophe Colomb dans l’île d’Haïti (une magnifique peinture de Serge-Moléon Blaise), les premiers contacts entre Espagnols et Indiens, puis la dégradation de ces rapports en conquêtes, pillages et mise en esclavage des Indiens sont peints par Eddy Jacques, Fréddy Chérasard, Frantz Zéphyrin. Ce dernier exprime la monstruosité du système et la perte d’humanité des esclavagistes en les peignant sous les traits de « bêtes impitoyables et féroces, destructeurs et ennemis suprêmes du lignage humain », comme l’écrivait Bartolomé de Las Casas dans sa Très brève relation de la destruction des Indes, en 1552. Les résistances indiennes et les massacres réalisés par les conquérants ont poussé les colons à aller chercher une nouvelle main-d’œuvre en Afrique et organiser la traite des captifs déportés en Amérique et mis en esclavage sur les plantations, dont on trouvera plusieurs évocations de Freddy Chérasard en particulier. La Révolution de Saint-Domingue/Haïti tient une place centrale, précédée par des tableaux de la révolte de Makandal et de son martyre par Edouard Jean et par Wilson Anacréon. Frantz Zéphyrin a peint le martyre de Makandal condamné au bûcher, dont l’esprit échappe aux flammes (1758), et celui de Boukman (1791).

Jean-Baptiste Jean nous raconte la vie de Toussaint Louverture depuis sa participation à l’insurrection de 1791 jusqu’à son arrestation et sa mort au Fort-de-Joux en 1803. Un très beau tableau d’Eddy Jacques peint l’esprit de l’insurrection des esclaves au moment où Sonthonax proclame la liberté générale et distribue des armes aux nouveaux libres, au Cap, le 29 août 1793. La résistance victorieuse à la tentative de Bonaparte de restaurer l’esclavage en 1802, suivie de la proclamation de la République d’Haïti en 1804, sont largement représentées avec la Bataille de la Ravine à Couleuvres en février 1802 et celle de la Crète-à-Pierrot en mars 1802 par Michel-Mercier Obin, L’arrestation de Louverture en 1802 par Henri-Claude Obin et la grande victoire de Verrières le 18 novembre 1803, par Jean-Baptiste Jean. Une étrange peinture de Toussaint Louverture le précurseur, en esprit marin à queue de poisson enracinée dans la mer, auréolé de poissons volants, raconte l’histoire de la formation du peuple haïtien et de son drapeau, par Madsen Mompremier.

La dernière partie de l’exposition rappelle des épisodes de l’histoire d’Haïti de 1804 jusqu’à aujourd’hui. On notera un tableau du président de la République Pétion recevant Bolivar en 1816, par Alfred Altidor, qui rappelle les efforts que fit Haïti pour trouver des alliés qui aboliraient l’esclavage, à l’occasion du vaste cycle des indépendances des colonies de la couronne d’Espagne. Mais l’attente d’Haïti fut trompée et c’est ainsi qu’elle se retrouva, seule sur le continent américain, à mettre en pratique la liberté générale durant tout le XIX e siècle, ce qui ne facilita pas ses rapports avec ses voisins esclavagistes.Frantz Augustin a peint plusieurs évocations de l’occupation d’Haïti par les Etats-Unis, de 1915 à 1934, dont un émouvant hommage à ceux qui sont morts pour la liberté d’Haïti, de Louverture à Charlemagne Péralte, crucifié par l’armée états-unienne.

Divers épisodes de l’histoire récente marquée par les trahisons successives des élites politiques, l’accélération de l’exode rural et de la misère, sont illustrés par de nombreux tableaux d’Edouard Duval-Carrié, Cameau Rameau, Eddy Jacques, Préfète Duffaut, Jean-Claude Sainte-Croix, Max Gerbier et bien d’autres, qui tous révèlent qu’en Haïti, le peuple qui vit à, ou qui vient de, la campagne a été appelé par ces élites « peyi an deyo » (1), « le pays en dehors » ! Le pays qui n’a pas d’existence politique, le pays qui a été mis à l’écart par la classe dominante et ne participe pas à l’exercice des pouvoirs publics, le Pays crucifié comme l’a peint Mécène Brunis parce qu’il faut le dire, parce qu’il faut que cela change.

Un très beau catalogue est disponible : Jean-Marie Drot, Haïti/500 ans d’histoire, Roma, Carte Segrete, 2010. Cette exposition a voyagé du Musée du Montparnasse à l’UNESCO en février et mars 2010.

(1) Voir Gérard Barthélemy, Dans la splendeur d’un après-midi d’histoire, Port-au-Prince, éditions Henri Deschamps, p. 280.

dimanche 7 mars 2010

ISLANDE : un « Non » franc et massif à la Loi Icesave-Faut pas prendre les Vikings pour des canards sauvages !


 Par plus de 95% des voix, les électeurs islandais ont dit « non », samedi 6 mars 2010, à la « loi Icesave »  votée par l’Althing*, le Parlement, le 30 décembre 2009. Ils ont donc rejeté  le remboursement par l’Islande des 3,9 milliards d’Euros versés par la Grande-Bretagne et les Pays-Bas aux 400 000 épargnants qui avaient perdu leurs placements faits sur la caisse d’épargne  en ligne  Icesave, créée par la banque islandaise Landsbanki, suite à la faillite de cette dernière.

Nous proposons un dossier pour comprendre cette affaire.


Sommaire
·         Islande : « non », les contribuables n'ont pas à payer
par ATTAC France, 7/3/2010
·         L’affaire Icesave
par le Ministère des affaires étrangères d´Islande, février 2010
·         Pétition demandant le référendum, janvier 2010
·         Déclaration du président islandais, Ólafur Ragnar Grímsson, annonçant la tenue du référendum, 5/1/2010
·         Le Président islandais démasque le caractère antidémocratique de l’UE
par William A.M. Buckler, janvier 2010


Une des nombreuses récentes manifestations du "Parlement de la rue" (Alþingi götunnar) à Reykjavík, la capitale la plus au nord de la planète. Slogans : "Tuons le capitallisme" (Drepum auðvaldið), "Démocratie" (Lýðræði), "Icesave mon cul", "Le pouvoir au peuple" et (en français!): "Vive la révolution !"
Islande : « non », les contribuables n'ont pas à payer
par Attac France, 7/03/2010
Les premiers résultats indiquent un rejet massif de la loi Icesave par les islandais, à plus de 95% contre (1% pour et 4% d’absention). Cette loi aurait obligé de verser 3,8 milliards d’euros, soit 12 000 euros par habitant islandais, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Les citoyens islandais refusent ainsi de payer pour les errements du système bancaire privé et de gouvernements irresponsables.
La banque en ligne Icesave opérait au Royaume-Uni et aux Pays-Bas en prenant tous les risques et en proposant des rémunérations mirobolantes à ses clients. Victime de ses propres combines financières, la banque s’écroulait dès 2008. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas réclament à présent à l’Islande le remboursement des sommes qu’ils ont dépensées pour dédommager les clients lésés par la faillite d’Icesave. Ils prétendent s’appuyer pour cela sur le droit européen et la garantie en dernier ressort de l’État islandais, ce que les Islandais contestent.
Dès 2008, suite à l’écroulement d’Icesave, le Royaume-Uni avait recouru à la législation antiterroriste pour geler les avoirs islandais, étouffant davantage l’économie islandaise. Aujourd’hui, pour faire payer la dette aux contribuables islandais, le Royaume-Uni et les Pays-Bas multiplient les menaces d’isolement économique, d’annulation des soutiens promis et de refus d’adhésion à l’Union européenne. Cela avec l’appui du Fonds monétaire international, de l’Union européenne et des autres pays européens, pour qui la bonne image du secteur bancaire européen passe avant la reconstruction économique et sociale d’un pays.
Les lobbies financiers accusent maintenant les Islandais de ne pas prendre leurs responsabilités. Nous considérons au contraire qu’ils prennent une position responsable : pour la première fois, de façon concrète, les citoyens refusent de payer pour les énormes risques pris par des banques privées et des investisseurs dans le seul but d’une rentabilité maximale du capital. Ce « non » a été soutenu par la société civile islandaise dont Attac, qui vient de se créer en Islande. Il fait écho aux mobilisations des citoyens grecs qui refusent de payer les pots cassés de la crise sous la pression de la spéculation monétaire. Il donne corps à toutes les revendications visant à imposer de fortes régulations publiques au système financier, à commencer par une taxation internationale sur les transactions financières.

L’affaire Icesave par le Ministère des affaires étrangères d´Islande, février 2010Source : http://www.iceland.org/media/france/L_Affaire_Icesave__L_histoire_en_bref.pdf
L’Islande honorera ses engagements internationaux. Le parlement a par trois reprises déclaré que le gouvernement rembourserait les dépôts garantis minimum avancés par les représentants de l’Icesave au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Les citoyens islandais ont exprimé leur colère à devoir subir le fardeau économique de la faillite d’une banque privée commerciale travaillant à l’étranger.
Nombreuses sont les personnes qui considèrent que le remboursement est injuste et une menace pour la survie économique de l’Islande. Un référendum national sur la loi Icesave aura lieu le 6 mars 2010. Le gouvernement islandais poursuit ses pourparlers avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas pour résoudre l’affaire Icesave.
En octobre 2008, l’Islande a été un des premiers pays sérieusement touché par la crise financière internationale. Les conséquences en furent immédiates et étendues. En Islande, 85% du secteur bancaire du pays s’est effondré en quelques jours. Cela a provoqué une crise économique d’une telle ampleur que l’Islande a sollicité l’assistance du Fonds Monétaire International (FMI).
Une des banques en question, la banque commerciale Landsbanki Íslands hf., avait exploité une caisse d’épargne en ligne, Icesave, au Royaume-Uni depuis 2006 et aux Pays-Bas depuis 2008. Quand la banque a été mise sous séquestre en octobre 2008, plus de 400.000 déposants Icesave des deux pays se trouvèrent dans l’impossibilité d’accéder à leurs comptes en ligne. Dans le cadre de mesures importantes face à la crise financière, les autorités du Royaume-Uni et des Pays-Bas ont annoncé que les dépôts bancaires seraient garantis. Conformément à la Directive UE 94/19/CE, les dépôts étaient garantis à hauteur de 20.887 euros par compte (Système de garantie des dépôts de l’UE).[1] Les autorités du Royaume-Uni ont décidé de dédommager les déposants intégralement, tandis que les autorités des Pays-Bas ont payé à hauteur de 100.000 euros.
Compte tenu de la gravité de la chute du secteur bancaire en Islande, la caisse islandaise de garantie de dépôts et d’investissements ne disposait pas des fonds nécessaires pour rembourser aux gouvernements du Royaume-Uni et des Pays-Bas le minimum des garanties aux déposants. Un désaccord est survenu concernant la responsabilité ou non du gouvernement islandais dans le cadre de l’UE/ EEE, et si oui, à quelle hauteur. Simultanément, durant ces premières journées d’octobre 2008, le gouvernement du Royaume-Uni invoquait sa législation anti-terroriste (The 2001 Anti-Terrorism, Crime and Security Act) à l’encontre de Landsbanki dans le dessein de bloquer les biens de la banque et les fonds liés à la banque Landsbanki détenus par le gouvernement islandais, ce qui a provoqué un profond sentiment de colère parmi les Islandais. Malgré les incertitudes législatives et les lourdes conséquences économiques de l’affaire Icesave pour l’Islande, le gouvernement islandais a toujours affirmé qu’il respecterait ses engagements internationaux.
Le 14 novembre 2008, grâce au soutien et à l’intervention de la présidence française de l’UE, le gouvernement islandais et plusieurs états membres de l’UE, dont le Royaume-Uni et les Pays-Bas, sont parvenus à une entente, sur l’interprétation des garanties de dépôts, les lignes directives communes, comme on l’appelle. Selon ces lignes directives, le gouvernement islandais se porte garant des dépôts des déposants assurés conformément à la législation de l’EEE, c’est-à-dire à hauteur de 20.887 euros pour chaque compte. En outre, les lignes directives prévoient la prompte concrétisation d’une assistance financière multilatérale pour l’Islande, notamment en provenance du FMI. Les négociations doivent tenir compte de la situation très grave et sans précédent survenue en Islande, et de la nécessité de trouver des solutions pour que l’Islande puisse reconstituer son secteur financier et son économie. La présidence de l’UE et la Commission devraient également suivre les négociations.
Le 5 décembre 2008, parlement islandais a adopté une résolution autorisant le gouvernement à engager des négociations avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas afin de conclure l’affaire Icesave sur la base des lignes directives communes. Ces négociations se sont achevées le 5 juin 2009. Conformément aux accords qui furent signés, la caisse islandaise de garantie des dépôts et des investissements doit rembourser aux gouvernements du Royaume-Uni et des Pays-Bas les sommes que ceux-ci ont versé aux déposants ayant des comptes Icesave, selon le système de garantie des dépôts de l’UE (à hauteur de 20.887 euros par compte). Il s’agirait d’un total d’environ 1, 33 milliard d’euros pour les Pays-Bas et de 2,35 milliards de livres pour le Royaume-Uni. La caisse ayant des ressources très limitées, les gouvernements du Royaume-Uni et des Pays-Bas ont accordé un prêt de 15 ans avec la garantie du gouvernement islandais.
Le prêt comporte un taux d’intérêt de 5,55% et un délai de paiement de 7 ans. Il est estimé que les avoirs de Landsbanki couvrent en grande partie le remboursement du prêt, ou à hauteur de 75-90%, le solde et les intérêts ajoutés restant à la charge du gouvernement islandais. Bien que le gouvernement islandais ait conclu l’accord Icesave avec les gouvernements du Royaume-Uni et des Pays-Bas, il fallait que le Parlement islandais donne son accord à l’aval de l’Etat pour le prêt des gouvernements du Royaume-Uni et des Pays-Bas. Au courant de l’été 2009, le Parlement a tenu des débats prolongés et souvent houleux qui ont duré pendant 10 semaines, les membres du gouvernement et les partis de l’opposition essayant de trouver une position commune.
En conséquence, plusieurs préalables ont été attachés à l’aval de l’Etat afin de réconcilier les points de vue opposés sur le projet de loi. Premièrement, il fut question de fixer un maximum, les remboursements annuels ne pouvant jamais excéder un pourcentage donné de la croissance du PIB. Ainsi, la dette de l’Islande resterait gérable, permettant au pays de reconstruire son économie et son secteur financier. Deuxièmement, le parlement réitéra qu’en signant l’accord, l’Islande n’avait pas pour autant renoncé à la possibilité de réclamer une décision judiciaire sur sa responsabilité quant aux garanties de dépôts. Troisièmement, l’aval de l’état dépendait des biens de Landsbanki dont elle disposerait, lors de sa liquidation ou composant la masse de sa faillite, conformément à la législation islandaise applicable le 5 juin 2009, notamment la Loi No. 2/1993 sur l’Espace Economique Européen. En dernier lieu, la garantie arriverait à échéance le 5 juin 2024, et les parties se mettraient d’accord pour entamer les concertations nécessaires en temps utile s’il s’avérait que le prêt ne serait pas intégralement payé avant la date butoir de l’aval de l’état.
Sur la base de ces conditions préalables, le projet de loi a été adopté par le parlement le 2 septembre 2009 par la Loi No. 96/2009. Les préalables du parlement ont ensuite été présentés aux gouvernements du Royaume-Uni et des Pays-Bas. Après des explications minutieuses, les gouvernements ont indiqué qu’ils étaient prêts à accepter les préalables unilatéraux du parlement à la garantie de l’Etat islandais par le biais d’accords d’acceptation et d’amendement.
Ces accords furent signés le 19 octobre 2009 et ont débouché sur des positions bilatérales sur les préalables unilatéraux à la garantie de l’Etat islandais et les amendements nécessaires aux accords du 5 juin en découlant. Il a donc fallu apporter quelques amendements à la Loi passée en septembre. Un nouveau projet de loi fut donc soumis au parlement le jour même afin d’apporter les modifications nécessaires à la Loi No. 96/2009. Le nouveau projet de loi approuvait clairement la garantie de l’état conformément aux accords amendés, et sans conditions. Ce deuxième passage par le parlement a encore pris 10 semaines, avec de longs débats sur la question de savoir si le nouveau projet de loi reflétait bien les préalables de septembre.
Le nouveau projet de loi Icesave a finalement été adopté le 30 décembre 2009 après de longues discussions. Bien que cette loi ait été controversée, c’est la troisième fois que le parlement adoptait un instrument légal reflétant la position de l’Islande vis-à-vis de ses engagements internationaux. La polémique a surtout porté sur les conditions de remboursement du prêt des gouvernements du Royaume-Uni et des Pays-Bas, et pas essentiellement sur la question de savoir si l’Islande devait payer ou non.
Le 31 décembre 2009, le Président islandais Ólafur Ragnar Grímsson a reçu le projet de loi pour ratification, conformément à l’Article 26 de la Constitution. Il y est stipulé qu’un projet de loi adopté par le parlement doit être soumis au Président pour ratification dans les deux semaines qui suivent. Si le Président rejette un projet de loi, il devient néanmoins une loi validée, mais doit dans les meilleurs délais être soumis au référendum de tous les citoyens ayant le droit de vote, pour être accepté ou rejeté. Dans ce dernier cas, la loi est abrogée, mais sinon, elle reste en vigueur.
Le 5 janvier 2010, pour la deuxième fois dans l’histoire de l’Islande, le Président a décidé de ne pas ratifier le projet de loi. Il a invoqué l’opposition générale au projet de loi, notamment par le moyen d’une pétition sur internet signée par environ 60 mille Islandais (environ un quart de l’électorat). Cette pétition avait été mise en place par un mouvement de citoyens, InDefence, lequel fut fondé en octobre 2008 pour protester contre l’usage par le gouvernement du Royaume-Uni d’une législation anti-terroriste visant les intérêts islandais au Royaume-Uni à la même époque. Son succès reflète l’opposition d’une grande partie de la population aux accords, laquelle a été ressentie depuis le début de la crise.
Le débat public a surtout porté sur la dette croissante du gouvernement, dûe aux retombées de la crise financière, aux défaillances du cadre régulatoire de l’UE, sur l’attitude britannique et néerlandaise, ainsi que celle de l’UE, considérée comme injuste pendant la durée des tractations, et sur le sentiment d’indignation général, les contribuables étant considérés comme responsables des dettes causées par les erreurs d’une entreprise privée. La somme totale garantie par le gouvernement serait de 10.000 livres par habitant, mais une grande partie de cette somme serait couverte par les réclamations faites au patrimoine de la banque Landsbanki Íslands hf. La somme nette à payer est ainsi plus proche d’un tiers de la somme empruntée per capita en termes concrets. Les délais pour l’approbation des prêts du FMI et la mise en oeuvre du programme de reprise économique du FMI ont également été interprétés par le public islandais comme étant la conséquence de la pression du Royaume-Uni et des Pays-Bas. Enfin, un dernier élément et pas le moindre, il existe un sentiment géneral d’amertume qui se trouve souvent exprimé dans le débat public concernant les actions agressives et injustifiées du gouvernement du Royaume-Uni au beau milieu de la crise financière de 2008, surtout quand celui-ci a brandi sa législation anti-terroriste contre la banque Landsbanki et contre le gouvernement islandais afin de bloquer des biens (The 2001 Anti-Terrorism Crime and Security Act).
Dès que la décision du Président fut annoncée, le gouvernement s’est réuni pour discuter cette décision et examiner la situation. Il y eut dinnombrables tractations avec les partis de la coalition et de l’opposition, avec les associations du patronat et les syndicats, puis le gouvernement a soumis un projet de loi au parlement, qui l’adopta le 8 janvier 2010, prévoyant un référendum début mars au plus tard sur la validité de la loi adoptée par le parlement le 30 décembre 2009.
Le gouvernement islandais a eu des contacts suivis avec les gouvernements du Royaume-Uni et des Pays-Bas pour expliquer les procédures et les informer des derniers événements, ainsi qu’avec les gouvernements des pays scandinaves, avec d’autres pays amis et alliés et avec les organisations internationales concernées. Le gouvernement islandais reste totalement engagé à respecter ses obligations et considère les accords de prêt comme une partie intégrale du programme économique de l’Islande.
[1] La Directive en question s’applique également à l’Islande dans le cadre de l’accord sur l’EEE. A toutes fins utiles, il est rappelé que cet accord rallie les trois états de l’AELE, l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein, au marché intérieur de l’UE.


   
Article 26 de la Constitution islandaise

Lorsque l'Althing a adopté un projet de loi, celui-ci est soumis au président de la République pour promulgation dans un délai de deux semaines après son adoption. Cette promulgation lui donne force de loi. Si le président refuse de promulguer le projet de loi, celui-ci cependant entre en vigueur, mais il doit, dès que les circonstances le permettent, être soumis, par scrutin secret, au vote de tous les électeurs, pour approbation ou rejet. Si elle est rejetée, la loi est nulle et non avenue, autrement elle reste en vigueur.
 La pétition
« Je demande au Président de l’Islande, Monsieur Ólafur Ragnar Grimsson de faire objection à la loi Icesave. Je considère que soumettre à un référendum national l’acceptation de la charge économique que représente  pour les générations islandaises actuelles et futures une garantie étatique de paiements « Icesave » aux gouvernements hollandais et britannique est une exigence justifiée. »Le 25 novembre 2009 l’association islandaise « In Defence of Iceland » (InDefence) a commencé à recueillir des signatures à cette pétition. Le 2 janvier 2010, 56 089 Islandais l’avaient déjà signée.
Déclaration du président islandais, Ólafur Ragnar Grímsson

L’effondrement de nos banques et les difficultés engendrées par la crise économique mondiale ont été à l’origine de graves problèmes. Bien que l’État islandais ait pris divers engagements plus importants que ceux qu’il a dans l’affaire  Icesave, c’est sur ce cas que s’est focalisé le débat  sur la manière de répondre aux défis légués par le passé et d’aborder l’avenir.

   L’Althing (Parlement islandais) vient de voter une nouvelle loi à ce sujet. Cette dernière amende la loi en vigueur n°  96/2009, votée par l’Althing le 28 août dernier et basée sur des accords conclus avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Le Président a validé cette décision le 2 septembre, en renvoyant à un traitement spécial.

 Après le vote de la nouvelle loi à l’Althing, le 30 décembre, le Président a reçu une pétition signée par environ un quart des électeurs et réclamant que la loi soit soumise à référendum. Cela représente une fraction de l’électorat  beaucoup plus élevée que celle sur laquelle se fondent les déclarations et propositions des partis.

 Des sondages d’opinion indiquent qu’une majorité écrasante de la population partage cette manière de voir. En outre des déclarations faites à l’Althing et des appels que le Président a reçu de membres du Parlement à titre individuel montrent  que la majorité de ces membres est en faveur de ce  référendum.

 Depuis le vote de la nouvelle loi à l’Althing, le Président a eu des discussions circonstanciées avec des ministres de son gouvernement : le Premier Ministre, le Ministre des Finances, ainsi que ceux  des Affaires Étrangères et de l’Économie.

En République d’Islande le peuple est le juge suprême de la validité d’une loi, c’est  le fondement même  de la Constitution islandaise. Cette Constitution, promulguée en 1944 et adoptée par voie référendaire avec 90% des suffrages, a remis aux mains du peuple le pouvoir exercé autrefois par le roi et l’Althing. La responsabilité de veiller à ce que le peuple puisse faire usage de ce droit incombe donc au Président.
En cet instant crucial, il est également  important de souligner que le redressement de l’économie islandaise est une urgence vitale. Il est hors de doute que des accords avec d’autres pays et une collaboration  avec les organisations internationales et autres parties prenantes sont indispensables à ce redressement. La solution du litige Icesave est un élément du bon déroulement de ce processus. Un autre prérequis  est  que le pays soit capable de retrouver dès  que possible sa vigueur passée et de redémarrer en collaboration avec d’autres un programme de reconstruction assurant le bien et la prospérité du peuple islandais. La déclaration du Président en date du 2 septembre 2009  précisait que cette solution  doit « prendre en compte les droits légitimes de la nation, ceux de l’Islande dans un proche avenir et un partage international des  responsabilités. »

 Il devient de plus en plus clair que le peuple doit avoir la certitude  qu’il décide lui-même de son avenir. L’implication de la nation tout entière  dans la décision définitive est donc un prérequis pour une bonne solution, la réconciliation et le redressement du pays.

À la lumière de ce que j’ai dit plus haut, j’ai décidé conformément à l’article 26 de la Constitution de remettre cette nouvelle  loi entre les mains du peuple. Ainsi qu’il est prévu par la Constitution, cette nouvelle loi entrera tout de même en vigueur et le référendum aura lieu « dès que possible ».

Si cette loi est approuvée à l’issue du référendum, elle restera bien sûr en vigueur. S’il en va autrement, la loi 96/2009 acceptée par l’Althing le 28 août  sur la base des accords avec les gouvernements hollandais et britannique reste en vigueur; elle reconnaît que le peuple islandais ne renie pas ses engagements. Cette  loi a été approuvée par l’Althing avec la participation de quatre partis représentés au Parlement, ce que le Président a confirmé dans sa déclaration du 2 septembre. 

Maintenant le pouvoir et la responsabilité sont entre les mains du peuple.

Je souhaite bien sincèrement que sa décision apporte au peuple islandais une réconciliation et une prospérité durables et en même temps jette les bases de relations cordiales avec les autres nations.

Fait le 5 janvier 2010 à Bessastaðir,
Ólafur Ragnar Grímsson
Traduit par Michèle Mialane, Tlaxcala

 

Le Président islandais démasque le caractère antidémocratique de l’UE
par William A.M. Buckler
À vrai dire l’Islande ne fait pas encore partie de l’Union européenne. Certes elle souhaite y entrer, mais une bagatelle,  la crise bancaire de septembre/octobre 2008 a retardé son adhésion, qui maintenant est mise en un péril encore plus grand par la décision du président de donner à son peuple le droit de décider directement si et comment son système bancaire effondré doit être soutenu financièrement.

Les dessous de l’affaire

En septembre/octobre 2008 les trois plus grandes banques islandaises se sont littéralement effondrées, prises dans le blocage généralisé du crédit qui menaçait de jeter bas le système financier mondial. Ces banques étaient dans l’impossibilité de convertir leurs dettes à court terme et se trouvaient en même temps confrontées à des attaques bancaires massives contre leurs succursales étrangères, surtout au Royaume-Uni. La faillite qui menaçait les  banques islandaises excédait les possibilités de couverture de l’économie et de la Banque Centrale islandaises. La dette extérieure islandaise, soit 50 milliards d’euros, représentait 80% du montant dont disposait le système bancaire. Le PIB islandais est de 8,5 milliard par an. L’État islandais était au bord de la faillite.

On nationalisa promptement les banques. Et le FMI intervint ainsi que l’Europe. Le FMI avança 2,1 milliard d’euros, les voisins scandinaves de l’Islande 2,5 milliards de plus et la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Hollande encore 5 milliards. Mais l’addition était extrêmement salée pour l’Islande.  Les taux d’intérêt officiels passèrent immédiatement à  15%. L’avenir fut oblitéré car les agences de notation abaissèrent aussitôt la bonité des créances islandaises. La couronne islandaise s’effondra. Et la Bourse islandaise, qui dès le début d’octobre 2008 avait perdu 30%, fut fermée. Et lorsqu’elle rouvrit, le 14 octobre, elle chuta  à nouveau massivement : de 77%.

The Privateer avait mis en garde six mois auparavant,  écrivant dans son numéro 600 du 30 mars 2008 qu’un effondrement était vraisemblablement à prévoir. Après avoir exposé la situation nous en arrivions à la conclusion suivante : « Les USA sont un bouillon de culture de l’Islande. » Et il en va toujours de même aujourd’hui, la seule différence étant que les USA, comme les autres pays du G20, sont encore en mesure de vendre leur dette, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Le dernier revirement: « Laissez mon peuple décider »

Les prêts consentis à l’Islande, dont l’échéance avait été retardée lorsqu’en octobre 2008 la crise atteignait son point culminant, devaient être remboursés selon la procédure accoutumée. Mais le 5 janvier le Président islandais, Ólafur Grimmsson, plongea tout le système financier dans la stupéfaction en refusant de laisser le plan se dérouler sans autre forme de procès et de lui donner force de loi. Il choisit de laisser la décision par voie référendaire aux 243 000 électeurs islandais. Le choc et l’indignation que cette décision produisit au niveau international furent palpables. La Grande-Bretagne et la Hollande exigèrent aussitôt d’exclure l’Islande de l’UE, et Lord Myners, Secrétaire d’État aux services financiers du Ministère des Finances britannique, déclara que l’Islande risquait de s’attirer un « statut  de paria ». Les agences de notation déclarèrent incontinent que les créances islandaises ne valaient plus un clou.  On entendait parler de suppression du plan de sauvetage mis en place par le FMI.

Deux jours plus tard, le  7 janvier, le Président islandais reprenait la parole. « L’Islande reconnaît de façon pleine et entière ses engagements et contraintes de remboursement. (...) Le référendum ne porte que sur les formes et les conditions de ce remboursement.» Dans une interview accordée au « Financial Times », Grimmsson alla encore plus loin : « J’espère que les peuples de Grande-Bretagne et de Hollande ainsi que leurs dirigeants politiques, en accord avec la longue tradition démocratique de ces deux pays, reconnaîtront qu’un référendum est un moyen démocratique de prise de décision. »(Souligné par l’auteur)

   C’est bien sûr la politique ouvertement pratiquée par la Fed (Réserve fédérale) US, mais aussi de toute évidence par presque tous les gouvernements du monde,  que de dénier au peuple tout droit à s’exprimer sur les mesures destinées à tirer leurs pays de la crise financière mondiale. Le Président islandais a fort bien démasqué cette attitude.

 Source : Iceland’s President has Exposed Anti-Democratic EU, The Privateer, Mid January Issue, Numéro 645, 2010
Traduit par Michèle Mialane, Tlaxcala  


   Les chiffres qui tuent
Le montant de la somme réclamée par le Royaume-Uni et les Pays-Bas à l'Islande
3, 91 milliards € 
Taux d'intérêt 5.55%
Population de l'Islande
(équivalent de celle d'une petite ville en Europe):
317 000
Répartition de la dette par famille islandaise
48 000 €
Part de la dette dans le PIB
50%
 
Le mouvement InDefence a été créé en octobre 2008 en réaction au recours par le gouvernement de Gordon Brown à la législation antiterroriste contre l'Islande. Il a remis en mars 2009 au Parlement britannique la pétition LES ISLANDAIS NE SONT PAS DES TERRORISTES, signée par 83 000 citoyens de l'île.

   570 Euros de l’heure
25 millions de couronnes islandaises (143 000 €),  soit 100 000 couronnes (570 €) de l’heure, c’est le montant de la facture présentée en février par un cabinet d’avocats britanniques au gouvernement islandais, qui l’avait chargé de « compiler » le dossier Icesave. Le montant de la facture à venir avait été estimé au départ à 2 millions. Il n’y a pas de petits profits. Le gouvernement viking assiégé a demandé des explications aux bavards londoniens. Encore une facture qui risque d’être impayée. Les huissiers british peuvent-ils saisir des biens dans l’île boréale ? Par exemple un geyser, pour en faire un hammam pour traders de la City ?  Question à 1 million de livres.

* L'Althing (Alþing), créé en l'an 930 de l'ère dite chrétienne par les premiers colons norvégiens installés dans l'île à partir de 874 (le premier fut Ingólfur Arnarson), est le premier Parlement  de l’histoire européenne. Les Islandais vécurent sans roi pendant 3 siècles et demi jusqu’à la date fatidique de 1262, où ils passèrent sous la coupe du roi de Norvège. Après des siècles de domination norvégienne puis danoise, l’Islande ne deviendra indépendante qu’en 1944, pour presque aussitôt entrer dans la sphère d’influence US. Durant la Guerre froide, l’Islande a été l'un des postes avancés de surveillance militaire US du Grand Méchant, l’Union soviétique. [Note de Tlaxcala]



Source : Tlaxcala,  7/3/2010
Tlaxcala
 est le réseau international de traducteurs pour la diversité linguistique, qui sont de tout cœur avec le valeureux peuple islandais en lutte contre les Maîtres du Monde. Cette page est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner les auteurs et traducteurs ainsi que la source.

mardi 2 mars 2010

RD Congo : La Banque mondiale au cœur des « affaires »

par Renaud VIVIEN, CADTM, 23/2/2010
Le budget 2010 de la République Démocratique du Congo (RDC) a été promulgué le 25 janvier dernier. S’élevant à 6,2 milliards de dollars (soit 77 fois moins que celui de la France |1| pour une population de taille équivalente), ce budget est taillé sur mesure pour satisfaire les créanciers et les investisseurs étrangers au détriment des besoins fondamentaux de la population. Alors que les dépenses sociales se limitent aux seules rémunérations du personnel de la fonction publique, le poste budgétaire attribué au remboursement de la dette figure, quant à lui, en bonne position. L’Etat congolais a prévu de consacrer cette année environ 430 millions de dollars au paiement de sa dette publique extérieure, malgré la crise économique et l’illégalité de cette dette. En effet, le peuple congolais continue de payer encore en 2010 les arriérés impayés légués par le dictateur Mobutu avec la complicité des créanciers occidentaux. En droit international, on qualifie cette dette d’ « odieuse ». Or, la doctrine juridique de la dette odieuse constitue une des exceptions au principe de continuité de l’Etat, selon lequel les gouvernements doivent honorer les engagements financiers de leurs prédécesseurs. Le gouvernement congolais pourrait donc légalement refuser de rembourser cette dette et ainsi économiser des centaines de millions de dollars par an.
Pourquoi ne le fait-il pas ? L’explication repose essentiellement sur un calcul économique fait sur le court terme : l’ « aide » internationale représente pas moins de 46,3% des recettes totales du budget 2010 et la RDC espère obtenir cette année un allègement de sa dette attendu depuis 2003 ! Face à une telle dépendance, le gouvernement congolais fait donc le choix de se plier aux injonctions de ses bailleurs de fonds, réunis au sein des Institutions financières internationales (IFI) et du Club de Paris, un groupe informel réunissant 19 riches pays créanciers dont la Belgique.
Le prix de cette docilité est très élevé : la RDC doit renoncer à sa souveraineté en s’engageant à suivre à la lettre les réformes structurelles dictées par les IFI dans le Document Stratégique de Croissance et de Réduction de la pauvreté (DSCRP). Conformément à ce programme triennal, pâle copie des plans d’ajustement structurels (PAS) imposés par le FMI et la Banque mondiale à l’ensemble des pays du Sud au lendemain de la crise de la dette de 1982, le gouvernement congolais doit impérativement améliorer « le climat des affaires ». Autrement dit, le gouvernement doit œuvrer pour le bien-être des transnationales en accélérant le bradage de ses ressources naturelles et en privatisant ses secteurs stratégiques. Cette politique de privatisation a non seulement des conséquences importantes sur le plan économique puisqu’elle entraîne automatiquement moins de recettes pour l’Etat, mais également sur le plan humain avec des dizaines de milliers d’emplois supprimés.
Et ces futurs « ex-travailleurs » congolais ne pourront pas compter sur un quelconque système de protection sociale car cela risquerait de dégrader « le climat des affaires ». En effet, la Banque mondiale encourage les Etats à éliminer la protection sociale des travailleurs au Sud mais également au Nord |2|, notamment à travers la publication de son rapport annuel Doing Business (« Faire des affaires ») où la banque établit un classement de tous les pays en fonction de leur facilité à y « faire des affaires ». Plus la législation d’un pays facilite les licenciements et mieux il est côté ! A titre d’exemple, le Rwanda enregistre en 2009 la plus importante progression car les employeurs ne sont plus tenus de procéder à des consultations préalables avec les représentants des salariés (concernant les restructurations) ni d’en aviser l’inspection du travail. A l’inverse, le Portugal est déclassé pour avoir rallongé de deux semaines la période de préavis de licenciement.
Il n’est donc pas étonnant de retrouver la Banque mondiale aux avant postes dans l’opération « départs volontaires » en RDC. Entre 2003 et 2004, ce plan de licenciement illégal a frappé 10 655 travailleurs de la Gécamines (l’entreprise publique minière située dans la province du Katanga), qui n’étaient plus payés depuis plusieurs mois. C’est dans ce contexte que la Banque mondiale est intervenue en finançant ces licenciements, sur demande du gouvernement congolais, mais en prenant le soin d’imposer au préalable ses conditions illégales : la banque a plafonné le montant des indemnités selon une forme «  pour solde de tout compte  » et un mode de calcul qui violent le droit du travail congolais et les normes de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Alors que l’enveloppe sollicitée par la direction de la Gécamines était de 120 millions de dollars contre 240 millions réclamés par les travailleurs, le consultant chargé par la Banque mondiale de calculer le montant de l’indemnisation, propose seulement un forfait « pour solde de tout compte » de 43 millions de dollars !
Aujourd’hui, les ex-employés de la Gécamines n’ont toujours pas reçu les indemnités prévues par le droit et la Banque mondiale continue de faire peser toute la responsabilité sur le gouvernement et la Gécamines. Les 10 655 victimes ne se laissent pas faire et se sont rapidement organisés en créant le Collectif des ex-agents de la Gécamines. Plusieurs d’entre eux réclament des comptes à la Banque mondiale et ont saisi son Panel d’Inspection, qui est chargé d’enquêter sur les violations qu’elle aurait commises dans les projets où elle est impliquée. Bien que ce dernier ait déclaré leur requête recevable, ses rapports n’ont aucune force contraignante sur la direction de la banque. Seul un jugement rendu par un tribunal ordinaire pourrait contraindre la banque à réparer les dommages causé aux populations. Un procès contre la Banque mondiale pour de telles violations constituerait un précédent. La banque ne peut être au-dessus des lois d’autant qu’elle ne bénéfice pas de l’immunité de juridiction. Selon ses propres statuts, elle peut être poursuivie en justice dans tous les pays où elle dispose d’une représentation.
Les travailleurs congolais sont victimes de la même logique capitaliste que celle qui prévaut au Nord où les droits du et au travail sont bafoués. La solidarité internationale doit donc se renforcer contre les politiques anti-sociales des IFI et pour l’annulation totale et sans condition de la dette du Sud.
Notes
|2| Eric Toussaint, Un coup d’œil dans le rétroviseur : L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, éditions Le cerisier, 2010

Article original publié le le 23 février dans le quotidien français L’Humanité, le 24 février dans le quotidien congolais Le Potentiel et le 26 février dans le quotidien belge La Libre Belgique.

lundi 1 mars 2010

La nouvelle utopie: Une journée sans Mexicains & Un monde merveilleux

par Alfredo Antonio  FERNÁNDEZ, El Otro Lunes, janvier 2010 Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
 
 Il est rare que deux films produits à peu de distance l’un de l’autre et réalisés sous des latitudes différentes, aient un impact par leur contenu sur la réalité des Mexicains à l'intérieur et l'extérieur du Mexique.
Mais c'est le cas des films
Un día sin mexicanos /A Day Without a Mexican [Une journée sans Mexicains] (2004), de Sergio Arau, et de A wonderful world
[Un monde merveilleux] (2006), de Luis Estrada.
Outre le fait que les deux films ont été réalisés par des cinéastes mexicains, qu’ont-ils comme autres aspects intéressants en commun ?
Dans tous deux est présente l'idée de projeter au-delà de l’actualité (utopie) les conflits qui affectent les Mexicains et les Usaméricains d'origine mexicaine du XXIème siècle.
Et cela est important, surtout maintenant, dix ans après que l'Accord de libre-échange (ALENA) entre les USA et le Mexique a créé la base pour que des millions de Mexicains, des deux côtés de la frontière, se regroupent économiquement dans le nouveau projet néolibéral et plus seulement dans celui, traditionnel, de la famille.
Et il est intéressant de noter que les deux films recourent à des déplacements dans le temps (2015 dans  Un monde merveilleux) et dans l’espace (le brouillard rose dans lequel disparaissent les Usaméricains d'origine mexicaine dans Une journée sans Mexicains) comme moyens d'attirer le public dans les salles.
Une journée sans Mexicains, de Sergio Arau (100 minutes) a été projeté dans les circuits commerciaux US de manière limitée: à partir du 14 Mai 2004 dans les États du Sud-Ouest et la Californie, et à partir du 17 Septembre 2004 à Chicago, au Texas , en Floride et à New York.
Avant meme sa diffusion, le film a commencé à soulever des controverses et des protestations lorsque les gens dans l'État de Californie (anglos & hispaniques) ont commencé à voir des panneaux publicitaires annonçant:  le 14 mai, il n'y aura plus de Mexicains en Californie.
L'événement a déclenché la réaction des gens d'origine hispanique (Mexicains et d'Amérique centrale) qui ont interprété l’annonce comme une menace inhabituelle et violentes contre la communauté latina installée en Californie.
Quel est le pitch d’ Une journée sans Mexicains ?
Il s'agit d'une fantaisie dans laquelle, tout à coup et sans explication valable, les Mexicains en Californie disparaissent.
Et avec la disparition de Mexicains sont interrompues les communications téléphoniques et Internet. Résultat : les fils invisibles reliant les deux pays (Mexique et USA) et que l'Accord de libre-échange (ALENA), avait noués en 1994, deviennent inutilisables du jour au lendemain.
Et le chaos créé par cette disparition soudaine n’est pas bénin: il ne s'agit pas de centaines ou de milliers de personnes, mais de quatorze millions de Mexicains perdus dans le brouillard rose, y compris les agents des services frontaliers d'immigration d’origine mexicaine !
L'idée de la disparition soudaine et inexpliquée d'une communauté n'est pas nouvelle dans le cinéma mondial.
Déjà aux origines du cinéma expressionniste européen, en réaction aux nombreux pogroms subies par les Juifs, le cinéaste autrichien Hans Karl Breslauer, avait réalisé La ville sans juifs (1924), allégorie cinématographique basée sur le roman de Hugo Bettauer dans lequel Vienne, capitale de l'Empire austro-hongrois, est affectée lorsque sa population juive disparaît.
Le film touchait une corde sensible dans l'atmosphère antisémite de ces années: peu après la première du film, le romancier Hugo Bettauer était assassiné par un membre du parti nazi.
Pour revenir à l’Amérique, l'idée de présenter la problematique mexicano-américaine par le mystère de la disparition massive des immigrés, a valu au le film de remporter le Prix du Meilleur Scénario au Festival de Cinéma de Cartagena (Colombie).
Mais si la disparition de masse, même si ses causes sont inconnues, est éloquente et évocatrice, les petites catastrophes quotidiennes qu'elle provoque le sont encore plus.
Le propriétaire d’un restaurant arrive dans son établissement et ne voit personne: ni menu du jour, ni nourriture, ni personne pour laver la vaisselle, ni même clients.
Le sénateur Abercrombie, arrivant au Capitole, annonce qu'il payer acinq fois plus que ce qui est généralement payé aux Latinos pour trouver des gens prêts à cueillir des tomates dans les champs.
Personne n’avait jamais soupçonné combien de problèmes de plomberie, de fuites de gouttières, de jardins envahis par les herbes, de maisons écroulées, d’ordures accumulées dans les poubelles municipales, d'enseignants manquant dans les écoles et d’ infirmières dans les hôpitaux une journée sans Mexicains pourrait provoquer en Californie!
Et la seule chose pour laquelle les Anglos remerciaient Dieu après la disparition des Mexicains, c’était le fait qu’ avaient également disparu des millions de voitures et de camions, ce qui rendait la circulation plus supportable.
Paradoxes de la vie: le réalisateur et les producteurs misaient sur le circuit des cinémas commerciaux usaméricain comme le meilleur réceptacle pour le film.
Mais il n’en fut pas ainsi en réalité.
Le film a été projeté dans l'Est et l'Ouest et le centre du pays dans les sites abritant les plus fortes concentrations de population d’origine mexicaine et n’a eu que 4, 1 millions d’entrées. Toutefois, à Mexico et dans d'autres villes mexicaines il fut premier au box-office dans la première semaine de sortie.
Alors que la dissolution des Mexicains dans le brouillard rose et les conséquences qu’elle produit sont parmi les moments les plus réussis du film, il n’en va pas de même avec les effets de cette situation sur la vie quotidienne des personnages.
Trop de personnages, trop de petites histoires ne contribuent pas à l'enrichissement de l'histoire centrale du film, mais à sa dispersion et à des moments banals.
Les scènes dans lesquels sont impliqués tante Gigi, le présentateur de talk show à la télé et la jeune Sánchez ne sont pas très convaincantes et en fin de compte, parmi les personnages  éventuellement récupérables, il y aurait celui de la reporter Lila, interprété par Yareli Arizmendi, co-scénariste du film.
Les critiques de cinéma usaméricains ont privilégié dans leurs critiques les défauts d'interprétation au point de renverser jusqu’aux bases du film.
“This Day not only lacks Mexicans but also good acting, sharp storytelling and humor” (“Cette journée manque non seulement de Mexicains, mais aussi de bonns acteurs, d’histoires racontées de manière percutante et d’humour")  au détriment de son principal mérite : celui d’attirer l’attention sur la présence de Mexicains dans les rues des USA et sur la dépendance croissante des Anglos à leur égard pour les services communautaires, les récoltes de produits agricoles, le commerce de détail et le transport routier d’une bonne part de la production industrielle et agricole du pays.
Une journée n’a pas la pretention d’être un cinéma de contenu social élevé comme ce fut le cas pour certains réalisateurs d'Hollywood qui allèrent au Mexique: Fred Zinnemann avec Réseaux (1934) et Elia Kazan avec Viva Zapata! (1952).
Dans Une journée il n'y a ni grèves ni drogue ni violence, au contraire, le film reste dans la zone que l’écrivain soviétique Ilya Ehrenbourg a appelé “la fabrique de rêves de Hollywood”.
Sans violer le schéma du “cinéma de divertissement” (conflit sentimental & happy end), le réalisateur Sergio Arau fait usage de nouvelles structures narratives cinématographiques et télévisuelles  comme cele consistant à présenter des faits fictifs dans un format documentaire que le jargon technique des studios de cinéma et télévision appele le mock documentary et/ou le mockumentary.
Une journée  peut être rangé dans la catégorie des produits de l'industrie du divertissement cinématographique, mais dans la structure des "loisirs productifs" , il aspire, - et à notre avis, il réussit - à réfléchir avec humour sur un sujet brûlant des minorités aux USA : que se passerait-il si un jour non seulement les Mexicains de Californie, mais tout le groupe hispanique,  qui constitue la plus importante minorité du pays -  plus de quarante millions - décidait de prendre des vacances ou se retrouvait pris au piège, comme dans le film, dans un nuage rose géant ?
C'est cela le super-objectif du film: un avertissement aux USA  que sous leur ciel, en ce début de face au XXIème siècle, il ya une mosaïque de nationalités d'origine hispanique de grand pouvoir économique et démographique, avec un indéniable potentiel politique.
Et c'est certainement là son principal mérite, au-delà des défauts dans la dramaturgie, dans la structuration du tempo cinématographique ou dans le choix des personnages principaux.

D’une durée de presque deux heures et trois ans après la sortie d’ Une journée  est sorti Un monde merveilleux de Luis Estrada.
On estimait que le nouveau film aurait autant d'impact sur la politique nationale et au box-office que son prédécesseur La ley de Herodes /Herod's Law [La loi d’Hérode] (1999).
Coïncidence ou préméditation ?
Les critiques se demandaient si l’équipe de tournage d’ Un monde merveilleux n’était pas en train de miser sur la “chronique d'une censure annoncée”, vu que la date de sortie était le 17 Mars 2006, trois mois et demi avant les élections du 6 juillet qui allaient opposer les candidats du Parti d'action nationale (PAN) et du Parti de la Révolution Démocratique (PRD).
Et pour accroître “l’altercation à l'avance” le réalisateur ne pariait pas seulement sur les dates mais il réemployait son acteur préféré Damián Alcázar (inoubliable John Vargas dans La ley de Herodes) dans le rôle principal.
Sept ans auparavant (décembre 1999), Luis Estrada avaient été pris dans les filets de la censure lorsque la première de son film La ley de Herodes avait coïncidé avec l’affrontement à l'élection présidentielle des candidats du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) et du Parti d'Action Nationale (PAN)1.
Mais cette fois, le nouveau film a commence sa carrière publique sans heurts avec la censure alors qu’il contenait autant d'allusions, ou plus grossières,  à la vie sociale et politique au Mexique que dans le tant vanté La ley de Herodes.

La première partie de l'histoire rappelle sur le ton de la parodie le livre de l'écrivain anglais Aldous Huxley “Le meilleur des mondes”, (1932) dédoublé en Un monde merveilleux d’utopie en dystopie.
Utopie, pourquoi?
Cette fiction débute par une reunion mondiale sur la pauvreté où l’on affirme qu'il n'y a pas de pauvres au Mexique.
Dystopie, pourquoi?
Un vagabond nommé Juan Pérez - sans aucun doute un Pérez  quelconque  - traîne sa pauvre humanité dans le centre de la ville de Mexico. Il cherche un endroit où passer la nuit. Il “se faufile” dans le Centre financier mondial .World Financial Center. Il est découvert par un garde, juché sur une corniche à des centaines de mètres de hauteur. Les journalistes qui le voient au sommet de l’édifice assurent qu’il ya grimpé pour se suicider en protestation contre la politique néolibérale du gouvernement. Utopie, pourquoi?
En apparaissant dans les journaux, Juan Pérez, de “Pérez quelconque”, devient héros national. Traqué par la presse, le ministre des Finances n'a pas d'autre choix que de donner à Pérez une maison, une voiture et un travail confirmer le le slogan qu'au Mexique, il n’y a pas de pauvres. Pérez est envoyé à un hôpital pour un check-in: les infirmières le traitent “comme un roi.”
Pourquoi dystopie ?
Les sans-abri (El Tamal, El Azteca et El compadre Filemón) amis de Pérez, orsuq’ils apprennent las avantages obenus par leur collègue grace à son  prétendu suicide, décident, à leur tour, de “se suicider” en sautant des principaux bâtiments de Mexico pour voir s’ils obtiennent des avantages similaires du gouvernement.
Pourquoi utopie ?
Le ministre des Finances, devant la vague de suicides chez les sans-abri et les chômeurs qui menace la ville, fait volte-face du jour au lendemain et au lieu de continuer avec le slogan qu'il n'ya pas de pauvreté au Mexique, declare que la pauvreté est un crime contre et donne l’ ordre d’ arrêter les sans-abri.
Pourquoi dystopie ?
Comme la pauvreté au Mexique est désormais considérée comme un crime Juan Pérez doit aller en prison.
Pourquoi utopie ?
Après trois ans de prison Juan Pérez est libéré et retourne à la rue. Non plus comme pauvre in extremis mais comme pauvre standard. Le ministre des Finances, pour avoir rectifié à temps la consigne qu’ au Mexique il n’y a pas de pauvreté et l’avoir remplacée par celle que la pauvreté est un crime reçoit le prix Nobel d’ économie.
Nous pourrions continuer longtemps à accumuler des dichotomies de cette confrontation singulière entre dystopie et utopie dans A wonderful world.  Mais au lieu de cela, nous préférons donner une évaluation d’ensemble de la nouvelle production de Bandidos Film réalisée par Luis Estrada.
Techniquement, le film oscille dans sa facture entre expressionnisme et BD.
Il a de bons moment où l’on rit franchement : par des caricatures et des parodies  du discours et du mode de pensée des membres de la classe politique mexicaine, l’approche de la réalité est plus efficace que celle des  médias.
Les journaux du gouvernement et de l'opposition apparaissent engagés exclusivement à montrer les points forts et les faiblesses des partis rivaux.
Et à tous échappe la possibilité, bien exploitée par le réalisateur, de (re) considérer la réalité sociale et politique du Mexique dans les termes narratifs d'un conte de fées qui commence bien et finit mal.
Malheureusement, la seconde partie du film n'est pas à la hauteur de la première.
Un coup de ciseaux du réalisateur qui aurait réduit la durée du film de presque deux heures à une heure et demie aurait été bénéfique à l'équilibre du film.
Une dramaturgie plus élaborée et une connaissance de la manière d'orienter judicieusement les conflits ouverts dans l’intrigue vers une fin dramatique propre à convaincre tout le monde, - critiques comme spectateurs - aurait contribué à la meilleure qualité d'un film qui en soi est bon.
Malheureusement, au fur et à mesure qu’on approche de la fin, le film perd son  rythme et deviant lent, répétitif et stéréotypé dans l'accumulation de situations qui ne contribuent à peu près en rien à l'avancement général de l'intrigue.
La satire féroce du système néolibéral et de ses formulations futuristes et utopiques pour mettre fin à la pauvreté qui dans les premiers moments tapait dans le mille, commence à tomber dans les clichés.
Le caractère mélodramatique de l'intrigue s’accentue également, au détriment du traitement et néo-réaliste et satirique qui provoquait tant de rires au début du film.
Enfin, un Juan Pérez qui semble avoir retenu la leçon d’un système qui l’a élevé mais aussi incarcéré,  se contente de vivre avec sa petite amie Rosita (l’actrice Cecilia Suárez) dans une petite  maison de banlieue qu’il a reçu comme récompense des politiciens néolibéraux.
Si nous comparons la fin de A wonderful world (2006) avec celle de Une journée sans Mexicains (2004), nous voyons que Juan obtient du côté mexicain une petite maison (American way of life fictif) comme une chose extraordinaire que ses compatriotes mexicains, du côté usaméricain (American way of life réel) ont, depuis le début du film Une journée sans Mexicains, comme monnaie courante et depuis belle lurette. Et en plus de la maison: voiture, commerces, citoyenneté etc.
Autrement dit, les Mexicains en Californie rappellent aux Anglos US ce qu'ils ne peuvent ignorer : qu’ils faut les prendre en compte car ils ont du pouvoir.
Alors que Juan et sa maisonnette sont un exemple pour les millions de pauvres au Mexique qu’ un jour pas trop lointain (2015 dans le film) ils pourront eux aussi être heureux grâce au modèle néolibéral et avoir une maisonnette sans avoir besoin de franchir légalement ou illégalement la frontière envahie par le brouillard rose.
A wonderful  world jette un regard critique et acide sur la réalité d’un pays cense être riche partiellement submergé par la pauvreté.
Et peu importe que de nouveau, comme dans La ley de Herodes - la maîtrise technique du réalisateur dans l'utilisation de la palette de couleurs lui permette de passer des tons sombres des ruelles de la ville de Mexico où les vagabonds se déplacent aux  teintes vives des maisons des riches dans les quartiers d'El Pedregal ou Las Lomas.
Ou que la bande sonore utilise à plusieurs reprises, en harmonie avec le titre du film, l'interprétation nostalgique par Louis Armstrog de “That's a Wonderful World” , comme un rappel voltairien que dans le le Mexique futuriste de 2015, tout le monde, riches et pauvres, vivront “dans le meilleur des mondes possible”.
Non, la musique et les couleurs ne sont pas utilisés comme un palliatif aux dures réalités de la pauvreté, mais comme des armes dans un arsenal qui vise à atteindre un degré optimal de valeur esthétique à travers un contenu de dénonciation sociale.
Dans un entretien avec Luis Estrada lors de la sortie de A wonderful world, il  confirmait  son propos :
La ley de Herodes  était une critique frontale contre un parti politique (le PRI). Un monde merveilleux critique  un système, un modèle économique qui a  paupérisé ce pays et qui prend seulement en compte les chiffres macro-économiques ...”
N'oublions pas qu'une partie du discours officiel répète qu’il n’y a pas de pauvres et que d’autre part le film nous rappelle que, selon des organismes internationaux, il ya soixante millions de pauvres au Mexique.
Sur le plan de la population actuelle du pays - un peu plus de cent millions -, ce chiffre représenterait un peu plus de la moitié de la population en état de pauvreté.
Le film prend le parti des détracteurs des bienfaits supposés de l'orthodoxie économique néo-libérale appliquée avec rigueur à la société mexicaine à travers les “hauts et les bas” de la vie d’un Pérez quelconque qui peut aussi bien grimper au sommet du Centre financier mondial que roder dans les égouts.
A Wonderful World est une tragi-comédie au ton aussi sombre dans sa critique du gouvernement du Parti d'Action Nationale (PAN) que l’était  La ley de Herodes  dans celle du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI).
Sans que pour autant manquent les  commentaires critiques sur le Parti de la Révolution Démocratique (PRD), qui n'a jamais pu accede  au pouvoir.
Pourrait-on donc définir le profil du réalisateur Luis Estrada comme celui d’un artiste iconoclaste ?
Oui, peut-être ... Peut-être sommes-nous en présence d'un anarchiste ou d’un franc-tireur artistique.
Mais on pourrait aussi attendre la sortie   de son prochain film  - 40 degrés -  qui concluera la trilogie ouverte par La ley de Herodes et poursuivie avec A wonderful world , avant d’émettre un jugement plus concluant.


Note
1 .- Voir Alfredo Antonio Fernández “La ley de Herodes: ¿retórica del poder o dialéctica cinematográfica?” in OtroLunes NO. 10, Oct-Nov, 2009