dimanche 17 octobre 2010

Non à la nouvelle gare : les Stuttgartois inventent une culture de contestation

par  David Weyand, Stern, 9/10/2010. Traduit par Michèle Mialane, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Créative, bariolée, pleine d’humour, la résistance au nouveau projet de gare à Stuttgart est au zénith. Quels en sont les signes distinctifs et que sera-t-elle demain ?

 
Manifestation contre Stuttgart 21 : "Ça pourrait donner des idées à toute la République fédérale"- © Marijan Murat/DPA

Bière contre gare : Chaque bouteille de « Resist 21 » vendue rapporte 21 centimes à la Coordination contre Stuttgart 21. Depuis son lancement en juillet par trois Stuttgartois avec son logo créé tout exprès: un âne, elle remporte un succès phénoménal. La brasserie Rössl, fabricante de la bière contestataire, dit en avoir déjà vendu environ 15 000 bouteilles début octobre, ce qui représente près de 3100 euros de dons. On peut commander une « Resist 21 » dans une douzaine de bistrots à Stuttgart, et en acheter sur quelques marchés bio.
«  Ce n’est pas une bière « bio », mais nous l’avons ajoutée à nos produits parce que c’est une action importante, tout simplement », dit Thomas Becker, de la boutique asociative bio « plattstalatwest ». Becker trouve même l’idée si bonne qu’il veut commercialiser d’autres produits dans la même gamme. Dans les semaines qui viennent on trouvera dans ses rayons le merlot, le jus de pomme et la limonade K-21. K-21, c’est le nom d’un projet alternatif de gare terminale par opposition à Stuttgart 21. Ces boissons ne seront pas des produits marketing vendus par quelques personnes ou magasins bio qui voudraient profiter du mouvement contestataire pour se faire de l’argent, assure Becker, mais un soutien utile à la contestation.Becker a sous le coude une autre idée pour la prochaine grande manif contre Stuttgart 21 : il proposera, sous cellophane et nouées d’un ruban comme des chocolats, des châtaignes « Pavés de Stuttgart ». Il y aura trois formats : le « manifestant occasionnel (une châtaigne »), le « manifestant professionnel »  (deux châtaignes) et les « gâtés de la prospérité » (trois châtaignes). Il entend ainsi répondre avec humour, mais avec sérieux, aux accusations - qu’il juge diffamatoires - selon lesquelles des manifestants auraient jeté des pierres sur les policiers la semaine dernière. Il se serait en fait agi de jets isolés de petites châtaignes, et rien de plus. Le bénéfice sera versé à un fond d’aide juridique. Les actions contre S-21 cherchent réellement à faire boule de neige. Les gens réfléchissent vraiment aux moyens d’en gagner d’autres à leur cause.
La contestation est aussi multimédia et bien interconnectée
C’est aussi l’avis de Fritz Mielert, porte-parole de l’association « Parkschützer » (Protecteurs du parc, Ndlt) Il apprécie particulièrement le large éventail politique de la résistance : « Que vous votiez FDP (parti libéral allemand) ou quoi que ce soit d’autre, aucune importance, du moment que vous êtes contre S-21.» Des punks et des électeurs de la CDU qui descendent au coude à coude dans la rue pour la même cause, ça vaut la peine d’être vécu. Et chacun choisit la forme d’engagement qui lui convient le mieux.
Beaucoup se contentent d’aller aux manifs en brandissant les pancartes qu’ils ont eux-mêmes bricolées, d’autres participent à des veilles de résistance ou tiennent des stands d’information, d’autres font des sit-in. Les intéressés peuvent trouver sur divers sites web ou via twitter ce qui se passe et où. La contestation est aussi multimédia et bien interconnectée. Chaque semaine, par exemple, l’alliance Bei Abriss Aufstand [En cas de démolition, soulèvement] édite un planning des actions : manif à vélo, grande manif, rencontre entre les seniors et les entrepreneurs opposés à S-21, répétition chorale ouverte à tous, sessions d’éducation à la désobéissance civile ou d’entraînement au sit-in.
Le calendrier des manifestations comporte deux points fixes : les manifs du lundi, qui l’automne dernier en étaient déjà à leur 46ème édition, et le « Schwabenstreich » (les Souabes font leur numéro). Cela consiste, pour les adversaires de S-21, à faire pendant une minute exactement un maximum de bruit et de vacarme avec des sifflets et de casseroles. Il y a eu des « numéros souabes » dans plus de 120 localités, essentiellement en Bade-Wurtemberg, mais aussi dans d’autres villes d’Allemagne et même une fois à New-York, à Santiago du Chili et au Mexique, à Guadalajara.
« Cela pourrait donner des idées à toute la République fédérale »
Pour le sociologue Dieter Rucht, qui mène des recherches surla contestation au Centre scientifique de Berlin (WZB), le mouvement de résistance à Stuttgart 21 est un succès complet. «  Il est déjà étonnant qu’un projet en somme régional ait pu faire autant de bruit », dit-il. De plus, il est remarquable que la résistance ait pris naissance en plein cœur de la société civile et que jusqu’ici ni les partis ni les casseurs n’aient réussi à l’instrumentaliser à leur profit.
Et de plus la contestation ne concerne pas seulement le projet de gare en soi : il s’agit aussi de la participation citoyenne en tant que telle. Rucht confirme que les Stuttgartois « se sont réveillés ». Ils auraient compris que Stuttgart 21 n’est pas seulement une affaire de chiffres, de faits et d’arguments, mais qu’il  y vade la capacité des simples citoyens à aborder avec assurance décideurs politiques et responsables de la planification. Ils auraient compris que la construction d’une nouvelle gare les regardait aussi et exigeait leur engagement. « Cela pourrait donner des idées à toute la République fédérale. Les gens ne veulent plus se contenter de voter tous les quatre ans, ils veulent aussi exercer leur citoyenneté démocratique.» Dans ce contexte Rucht se dit impressionné par la présence physique, la persévérance et l’abnégation dont ont fait preuve nombre de manifestants à Stuttgart. Il croit qu’à l’avenir ces gens n’auront sûrement plus le même regard sur la politique.
Non plus universitaire, mais « manifestant professionnel »
Le cas de Fritz Mielert, par exemple, montre le sérieux de l’engagement de certains contestataires. Jusqu’au début de l’année celui-ci a travaillé à l’Université de Stuttgart, à l’Institut pour le design de la construction légère. Son chef participe à la conception détaillée  de Stuttgart 21. Pour Mielert c’était tout simplement insupportable ; il n’a pas prolongé son contrat et il est désormais presque un « manifestant professionnel. » Mais la plupart des participants contestent pour la première fois et manifestent à leurs heures libres, il le confirme.
Ce qu’il adviendra de la contestation de S-21, si le dialogue entre partisans et adversaires s’engage dans les prochains jours et semaines, dépend, selon Mielert, de l’issue des négociations. Mais le militant est convaincu que de plus en plus de gens descendront dans la rue, dont beaucoup de partisans de la CDU et du FDP. Il pense que les chances d’empêcher la réalisation du projet augmentent.
En revanche Rucht, l’expert en matière de contestations, envisage avec scepticisme la possibilité de dépasser les préliminaires à un dialogue, dont les deux premières semaines éventuelles seraient alors décisives. Si se produisaient alors des évènements qui déchaînent la colère des adversaires de S-21, la contestation pourrait s’amplifier encore. Mais il ne croit pas que la résistance puisse continuer avec autant d’intensité que maintenant. Pour le moment, le Ministre-Président Stefan Mappus, de la CDU, cherche surtout à faire baisser la pression. Mais rien ne permet de dire si les adversaires de S-21 finiront par s’imposer contre lui.
Quoi qu’il en soit, pour le moment la mobilisation ne faiblit pas. Sont prévues samedi une nouvelle grande manifestation, puis la semaine suivante un grand nombre d’actions plus ou moins importantes et pour finir une manifestation à Berlin le 26 octobre.
Dans les trains spéciaux affrétés au départ de Stuttgart on aura en tout cas le temps de lever ensemble aux succès déjà acquis un verre de « Resist 21 » ou de « Merlot-K-21 » !

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