jeudi 6 janvier 2011

Après les Tunisiens, les Algériens s'y mettent! Mais que font donc les Marocains ?

Versailles, 14 juillet 1789
 Louis XVI  : "Mais, c'est une révolte ?"
Le Duc de Liancourt : "Non Sire, c'est une révolution !"
Carthage-Club des Pins, janvier 2011
Boutef-Zaba : "Mais, ce sont des émeutes ?"
Ben Liankour : "Non, Ya Si Raïs,, c'est une insurrection, une intifada (dépoussiérage)!"

L'Algérie entre à son tour dans un nouveau cycle de révoltes, évidemment qualifiées par l'ensemble des médias de la planète, selon un usage qui relève de la paresse intellectuelle dominante, d'"émeutes". Qui dit émeute, dit feu de paille vite et bien écrasé. Mais cette fois-ci, les régimes de Tunis et Alger ne pourront peut-être pas écraser la révolte aussi facilement.
Basta!

Ras-le-bol, émeutes, désespoir : L'Algérie de Bouteflika, douze années au pouvoir pour en arriver là...
par Farid Alilat, Dernières Nouvelles d'Algérie, 6/1/2011

Alger, Ouargla, Djelfa, Bejaïa, Boumerdes, Oran, Sétif…Il ne se passe pas un jour, mais pas un jour, sans que l’on signale des émeutes qui éclatent aux quatre coins d’Algérie. Crise de logement, mal-vie, hausse des produits de consommations, chômage, routes défectueuses, gouvernants démissionnaires, injustice, les raisons de ces poussées de colères violentes sont tellement nombreuses qu’il serait fastidieux de les énumérer. Si ces émeutes sont l'expression d'une large frustration et d'un ras-le-bol, elles ne sont pas moins l'échec cuisant du pouvoir incarné par le président Bouteflika depuis 12 ans.

Au moment ou l’État étale les chiffres d’une santé financière insolente, presque grossière, des Algériens sortent dans les rues pour crier leur ras-le-bol. Au moment les réserves de changes du pays ont atteint la somme de 155 milliards de dollars, oui 155 milliards, des Algériens défient l’État pour le rappeler à ses devoirs, pour signifier à ses représentants qu’ils ont failli à leurs promesses.
Ils le défient parce qu’ils manquent de logements, qu’ils souffrent du chômage, qu’ils n’ont pas accès aux soins adéquats dans les hôpitaux, que leurs salaires ne sont pas suffisants pour garantir leur subsistance, que leurs enfants se rendent à l’école à pied faute de moyens de transport, que leurs gosse fuient l’Algérie à bord de bateaux-cercueil, qu’ils ne peuvent pas supporter de voir une minorité s’enrichir quand eux trainent le diable par la queue, parce qu’ils n’ont plus confiance en leurs maires, leurs chefs de daïras, leurs juges, leurs walis, leurs députés, leurs ministres, leurs président…
Dans cette Algérie qui possède 155 milliards de dollars de réserves de changes, dans cette Algérie qui a engrangé plus de 600 milliards de dollars depuis 2000, dans cette Algérie qui a dépensé plus de 200 milliards de dollars depuis 1999 et qui compte encore dépenser 285 autres milliards à l’horizon 2014, il existe manifestement une ligne distincte qui sépare deux communautés : celle des privilégiés et celle des démunis. L’Algérie d’en haut et celle d’en bas.
D’un côté, ceux qui profitent de la rente pétrolière, de l’autre ceux qui n’en ont pas droit. On a beau retourner la question d’un sens comme dans un autre, on ne peut pas comprendre que des villes s’embrasent, que des Algériens réclament violemment des conditions de vie décentes alors même que leurs pays est immensément riche. Plus riche qu’il n’a jamais été depuis son accession à l’indépendance en juillet 1962. Plus riche que la Tunisie et le Maroc réunis.
Songez qu’en 2011, une femme de la cité des Palmiers, un quartier d’Alger situé à un battement d’aile d’oiseau du siège de la présidence de la république, affirme que « l’indépendance n’est pas encore arrivée » dans son quartier parce qu’elle vit avec son mari et ses 7 enfants dans un réduit de 15 mètres carrés et que sa cuisine donne directement sur des égouts et un tas d’immondices !
Songez que dans l’Algérie d’aujourd’hui, des centaines d’Algériens s’aventurent sur des rafiots, au péril de leurs vies, pour rejoindre la méditerranée simplement parce qu’ils ont désespéré de vivre chez eux et qu’ils cherchent un pays de rechange !
Songez que dans l’Algérie d’aujourd’hui des gosses à peine sortis de la puberté roulent dans des voitures qui coûtent 6 millions de dinars (80 000 euros), s’achètent des villas à 400 millions de dinars (5 millions de dollars) alors d’autres quittent l’école à l’âge de 12 ans pour aller vendre des galettes de pain sur la route, pour garder des troupeaux de chèvres et de moutons ou pour ramasser des tas de ferrailles pour la revente parce que leurs parents n’ont pas assez d’argent pour nourrir cinq, six, sept bouches.
Si ces émeutes sont la manifestation d’un ras-le-bol général, elles ne constituent pas moins un aveu d’échec du système de gouvernance mis en place par le président Bouteflika depuis son accession au pouvoir voila bientôt 12 ans. C’est un échec cuisant parce que Bouteflika a promis à ces concitoyens «  une Algérie fière, forte et sereine » et c’est tout le contraire qui s’offre aujourd’hui à ces citoyens.
Douze ans à la tête de l’État, des milliards de dollars dans les caisses, une situation sécuritaire largement maitrisée pour enfin en arrivée là ? Que l’actualité qui domine l’Algérie en janvier 2011 est l’émeute et la violence ? Que l’image qu’on retient de l’Algérie est celle d’un pays corrompu, d’un pays où sa caste dirigeante est rejetée par son peuple ? Douze années pour en arriver là ?
Un président absent, aphone et vieillissant qui s’accroche au pouvoir à 73 ans alors qu’il aurait pu sortir par la grande porte en organisant une transition démocratique qui assure la stabilité à son pays et l’avenir de ses enfants. Une classe politique discréditée parce que le pouvoir ne lui a laissé aucune chance d’exister en lui fermant les portes de l’audiovisuel, en lui interdisant les espaces d’expression publique. Une économie qui repose sur la seule rente pétrolière.
On n’ose pas imaginer ce qui aurait pu se passer si le pays n’avait pas eu ce don du ciel qui est le pétrole et si le prix de celui-ci était restait à 10, 15 dollars, prix auquel il était cédé durant les années 1990, les années de feu et de terreur en Algérie. On n’ose pas imaginer comment Bouteflika, ses gouvernements, ses ministres auraient géré l’Algérie au cours des 12 dernières années s’ils n’avaient pas bénéficié de cette providence pétrolière qui s’est déversée sur le pays.
Mais voilà, même avec cette providence, même avec ces milliards de dollars, on en a fait de l’Algérie un pays de l’émeute et du désespoir.

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