jeudi 13 janvier 2011

Pourquoi le gouvernement français ne condamne pas Ben Ali

par Julien Chabrout, L'Express,  13/01/2011 

Le gouvernement et l'UMP ont réagi du bout des lèvres face aux violences tunisiennes. Pas du goût de la gauche. LEXPRESS.fr analyse les raisons de cette prudence.

 
Les événements en Tunisie agitent la classe politique française. Et embarassent la droite. Depuis le début des manifestations de la population tunisienne contre le taux de chômage très élevé, de nombreux membres du gouvernement français ont prudemment réagi, se refusant à condamner les répressions. 
Ce matin lors du point presse UMP, le secrétaire général Jean-François Copé a défendu cette position française, soutenant la position de Michèle Alliot-Marie. Le député-maire de Meaux semblait même encore plus prudent: "Nous n'avons pas beaucoup d'informations. Il faut respecter la souveraineté de ce pays", a-t-il affirmé, précisant que "la France est un pays ami de la Tunisie". 
Pourtant, à l'UMP, tout le monde ne partage pas le même avis. C'est notamment le cas du président du Sénat, Gérard Larcher, qui a condamné mercredi sur RMC et BFMTV "la répression" en Tunisie. Même position chez le député UMP Didier Julia, qui a proposé la création d'une mission d'information parlementaire sur ce sujet. "Je suis étonné du silence étourdissant du gouvernement français sur les droits de l'homme", explique-t-il à LEXPRESS.fr, rappelant "l'incohérence" de la position française, qui a pourtant décidé de soutenir Alassane Ouattara en Côte d'Ivoire
"Privilégier les droits de l'homme"
A gauche, cette position ne passe pas. Le PS, par la voix de son porte-parole Benoit Hamon, avait indiqué lundi "condamner solennellement cette répression". Joint par LEXPRESS.fr, le député PS, François Loncle a estimé que "le discours du gouvernement est parfaitement insuffisant". "Il faut privilégier la défense des droits de l'homme sur la realpolitik" a-t-il ajouté, précisant que le président Ben Ali est "un despote corrompu". 
De son côté, le président de la Ligue des Droits de l'Homme Jean-Pierre Dubois déplore vivement le soutien du gouvernement au régime tunisien, qu'il qualifie de "mafieux" et compare à celui de l'ex-dictateur roumain Ceausescu. "Je ne sais pas si Nicolas Sarkozy espère etre réelu avec les scores à plus de 90 % de Ben Ali", ironise-t-il. 
Jean Pierre Dubois comme François Loncle ont condamné vivement les propos de Michèle Alliot Marie proposant à la Tunisie de partager "le savoir-faire" français en matière de sécurité. "C'est effrayant", affirme ainsi Jean-Pierre Dubois. "C'est insensé", renchérit François Loncle, qui entend bien poser une question au gouvernement à ce sujet.  
Des liens sentimentaux et économiques
Comment expliquer les timides réactions des responsables de droite sur cette question tunisienne? Karim Emile Bitar, spécialiste du monde arabe, et chercheur associé à l'IRIS pointe plusieurs raisons. 
D'abord, la présence de "liens sentimentaux étroits entre de nombreux dirigeants français et la Tunisie". Certaines personnalités sont en effet nés en Tunisie, à l'image de Bertrand Delanoë. Ensuite, le chercheur pointe le risque "d'une déstabilisation de la Tunisie, qui pourrait renforcer la tentation migratoire des Tunisiens en France".  
Ensuite, les intérêts économiques entre les deux pays, la côte tunisienne étant une destination touristique prisée par les Français. A cela, il faut ajouter le grand nombre d'entreprises françaises présentes en Tunisie. 
Enfin, "l'opposition tunisienne est marginalisée, ou réduite au silence et à l'exil. L'alternative n'est ni apparente ni prête. Du coup, pour la France, ce régime est le moindre mal" explique le chercheur. 
Pour Karim Emile Betar, la France est à mille lieux d'autres puissances occidentales. Les Etats-Unis, par le voix d'Hillary Clinton, ont affirmé être "préoccupés par la réaction du gouvernement tunisien". Une condamnation même timide, qui pourrait être salutaire pour le peuple tunisien.  
"La France et les Etats-Unis sont les principales puissances pour ce pays", note le chercheur de l'IRIS. "La survie du régime de Ben Ali dépend de l'attitude de ces puissances." 

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