samedi 20 août 2011

Benoît XVI en Espagne, Ratzinger à la Puerta del Sol, le Mouvement du 15 Mai dans la rue




L’histoire nous montre que ceux qui font une fixation sur la foi en l’existence d’un être fort improbable ont l’habitude d’exterminer ceux qui croient à l’existence d’un être improbable… différent. Au tout début le péché n’était pas tant dans le fait de ne pas croire que dans celui de croire à la même chose avec des différences subtiles. C’est seulement avec le développement de la civilisation que le nombre d’athées a grandi et avec eux la quantité des candidats à l’échafaud, car aux hérétiques s’ajoutaient les incroyants et les sans-dieu. Rien d’étonnant si parfois les croyants se mettent d’accord pour achever l’ennemi commun et remettent à plus tard leurs divergences historiques. Après tout, pour un athée, cela ne change pas grand-chose d’être poignardé par un catholique, un Juif, un musulman ou un orthodoxe.
Bien que cela paraisse étrange, faire brûler ceux qui professent une religion différente est typique du processus de l’évolution, mais en même temps démontre que le fait d’avoir poursuivi le processus d’hominisation ne veut pas dire qu’on ait aussi achevé celui de l’humanisation. Quand l’homo sapiens a développé le langage, il a commencé à enterrer ses morts (aucune autre espèce ne le fait). Un regard sans passion sur le passé peut geler net le sourire de ceux qui n’osent pas se penser eux-mêmes comme un hasard de l’éternité. Qu’est-ce qui se passe quand les dieux sont tout sauf gentils ? Et si au lieu d’être une explication du mal les dieux étaient les gestionnaires du mal ?
Les Néandertaliens – ces prédécesseurs éteints qui laissèrent la place aux Cro-Magnon dont nous descendons, le pape inclus – rendaient déjà un culte aux morts, ce qui démontre qu’ils croyaient en une vie après la mort, sous une forme ou une autre, et en un quelconque responsable de cette auberge d’outre-tombe, mais ceci ne les empêcha de disparaître en tant qu’espèce. Quand une espèce humaine assez intelligente pour croire en les dieux disparaît, est-ce parce qu’elle n’est pas encore assez développée pour croire au vrai Dieu ? Et si c’était exact, quelles garanties aurait l’actuel homo sapiens – si brutal et arriéré – de ne pas être condamné à la même chose, abandonné par ces dieux auxquels il croit et de disparaître de la face de la terre ? Comme disait Isidore de Séville, « vis comme si tu devais mourir demain et étudie comme si tu devais vivre éternellement ».
RatzingerMoins une chose est crédible, plus elle exige de cérémonie. Couronner un roi réclame plus d’ostentation qu’introniser un président élu. Les juges sont tellement peu crédibles qu’ils doivent se déguiser. Une armée sans prisons où enfermer ceux qui mettent en question les galons est inimaginable. Et l’Église catholique préfère dépenser 50 millions d’euros pour faire du prosélytisme que d’envoyer cet argent dans la Corne d’Afrique. Si Jésus de Nazareth vivait de nos jours, il serait en Somalie, après avoir été excommunié par Rome. Mais le pape préfère l’Espagne. Et pour préparer sa visite Ratzinger a envoyé les Junge Katholiken prendre d’assaut la Puerta del Sol. Il aurait pu être beau de les voir vivre à Madrid (où des communautés solidement constituées s’emparent des rues). Mais il ne s’est passé comme ça. Les Junge Katholiken n’ont pas l’irrévérence de la jeunesse. Un jeune qui ne se pose pas des questions est né vieux. Le 17 août quelques-uns de ces jeunes catholiques, en sortant du MacDonald’s de la rue Arenal, ont essayé d’empêcher l’entrée de la marche laïque dans la Puerta del Sol. Mais les indignés connaissent fort bien le chemin. « Cette place appartient au pape », disaient les catholiques. Et les indignés, posant sur eux un regard indulgent, pensaient: « Quelle bande d’ignares ». Mais quand il s’agit de l’au-delà, qui est capable de trouver l’argument juste ?
Quelques jours auparavant le mouvement du 15-M avait discuté de la visite du pape. Comme d’habitude ses membres ont brillamment montré leur bon sens. Ils n’ont rien contre les croyances individuelles de personne, mais quelque chose contre une religion qui s’acharne à dire aux autres comment ils doivent se comporter et le fait avec de l’argent public. Voici le principal grief contre la visite en Espagne de l’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (successeur administratif de la Sainte Inquisition). Mais il est bien évident qu’il y a d’autres objections.
En 1953 ce sont les USA et le Vatican qui ont cassé l’isolement international de la dictature franquiste, née de la défaite du gouvernement légal de la République. Les Ricains, en échange de bases militaires. L’Église, en échange de privilèges. C’était cette même Église catholique qui avait béni les canons de Franco, permis au dictateur d’entrer dans les cathédrales sous un baldaquin, mis son armée de curés au service de la délation, de la punition et la répression des républicains. La même Église qui n’a pas demandé pardon pour le génocide franquiste, appuyé par la hiérarchie catholique. C’est Ratzinger qui a recommandé aux pèlerins d’aller visiter la Vallée des Morts, le mausolée en l’honneur du fascisme construit en banlieue de Madrid par une main-d’œuvre républicaine esclave. Il est difficile de saluer Ratzinger avec gentillesse dans les rues de Madrid. On l’imagine faisant la salutation nazie.
Après la brève parenthèse du Concile Vatican II et de l’Église des pauvres voulue par Jean XXIII, Jean-Paul II et son bras armé le pape actuel Benoît XVI se sont obstinés à casser la colonne vertébrale de la théologie de la libération. Dans cette tâche de démolition de la plus grande rénovation entamée dans l’Église au cours des deux derniers siècles, ils ont pu compter sur l’aide des Légionnaires du Christ et de l’Opus Dei, ce dernier érigé en prélature personnelle. Faut-il rappeler que le fondateur des Légionnaires, le Père Maciel, était coupable de polygamie, pédérastie et corruption ? Faut-il rappeler que Monseigneur Escrivá de Balaguer a été un important supporteur de la dictature franquiste ? Ratzinger a été l’instigateur principal de l’occultation des délits de pédérastie à l’intérieur de l’église. Si dans l’Irlande démocratique on a mis en évidence plus de 25 000 cas d’abus d’enfants, que ne s’est-il pas passé sous la dictature en Espagne ? C’est seulement en 2010 que Benoît XVI a dénoncé le « crime atroce » de la pédérastie. Mais quand les autorités irlandaises ont voulu appliquer la même loi aux prêtres criminels qu’à n’importe quel civil, le pape a rappelé son ambassadeur en consultations, claire menace de rupture diplomatique. Les délits de l’église ont des tribunaux qui relèvent seulement de leur dieu.
 

Les Jungen Katholiken à Madrid
En Espagne, pays laïc, nous avons trop longtemps toléré les privilèges de l’église catholique. Des privilèges dans l’enseignement où l’école religieuse est financée avec l’argent public ; des privilèges dans la déclaration de revenus où l’on est invité à faire des dons à l’Église catholique (encore en 2011 !) ; des privilèges dans le financement des curés et dans leur présence dans les espaces publics ; des privilèges dans le financement d’activités de prosélytisme (comme l’actuel voyage du pape); des privilèges dans l’abandon de tâches de la part du Bureau du Procureur dans une multitude de délits : sexuels, immobiliers, bancaires, médiatiques, homophobes, patriarcaux, racistes ou d’autre sorte, commis par des membres du clergé. Ce sont des privilèges qui émanent d’un Concordat négocié avant l’actuelle Constitution et que sa teneur franquiste rend incompatible avec notre démocratie. Quand un groupe de fous qui accorde des qualités extrasensorielles à la patrie méprise la vie des autres, la loi le chasse des institutions et – même sans aucune preuve – interdit ses magazines et ses journaux. Alors pourquoi l’organe de presse de l’archevêque de Madrid peut-il se permettre le luxe de demander que le viol soit exclu du Code pénal ? Pourquoi cette incitation ecclésiastique au violdans un pays qui continue à assassiner des femmes n’est-elle pas traduite devant les tribunaux ?
La papamobile laïque du 15-M
Ratzinger vient à Madrid, la ville qui s’est réveillée, la ville qui demande à cette Europe si fatiguée de se réinventer. Au moins depuis Machiavel on ne croit plus au hasard. Le conservateur James Cameron impute les troubles à Londres à la « perte de valeurs » et non pas à la disparition des fondements égalitaires de la démocratie. Il reprend, bien qu’avec moins d’intelligence, l’argument de Daniel Bell dans Les contradictions culturelles du capitalisme (1976), une œuvre écrite pour apporter son grain de sable à la lutte entre la crise de légitimité qui expliquait la gauche et la demande de gouvernabilité et réarmement moral-chrétien de la droite. Cette lutte va initier l’un des principaux débats à l’intérieur des démocraties européennes. Et l’une des principales batailles intellectuelles sera livrée à Madrid. Du côté du Vatican – et du national-catholicisme espagnol – elle essaiera de lancer la Reconquête religieuse depuis la capitale du royaume. Face à ces forces le 15-M continuera à réclamer une démocratie digne de ce nom, incompatible avec le règne obscur qui découle de la conception obscurantiste, autoritaire et réactionnaire du Vatican. La droite sait sur quoi elle doit miser. La charge policière du 17 août à la Puerta del Sol nous fait penser que le gouvernement du PSOE continue à marcher de travers. Si la social-démocratie, qui a perdu le nord depuis qu’elle a assumé la troisième voie, perd aussi le drapeau de la laïcité, que lui reste-t-il encore à perdre?
Continuons à réclamer la réinvention de presque tout.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire