vendredi 23 décembre 2011

مصر: الي ثوار الميدان ..وثوار الرأي العام Égypte-Aux révolutionnaires de la Place Tahrir, à ceux qui font la Une des médias : lettre de prison


À tous ceux qui ont scandé le slogan « Liberté, Dignité, Justice » le 25 janvier, jour où les principes révolutionnaires ont été consacrés pour éclairer les peuples du monde dans leur lutte pour les valeurs de justice, de démocratie et des droits humains.

A l’aube du 25 janvier, les premiers rayons de la liberté et de la dignité ont propagé la lumière de la révolution aux quatre coins de l’Égypte, poussant la jeunesse du printemps égyptien envahir les places.

Ce jour-là, je n’étais pas au Caire mais à Hurghada, où je réside avec ma femme. La première image télévisée que j’ai vue m’a incité et inspiré. Je me suis précipité dehors pour respirer le parfum de la liberté. Ma famille habite Le Caire, au croisement des rues Al Falaky et Mohamed Mahmoud. J'ai communiqué avec mes parents et ma sœur pour avoir des nouvelles jusqu’à ce que je puisse venir les rejoindre.

J’ai fait ma valise et je me suis donc rendu au Caire. En chemin, j’ai senti que toute l’Égypte m’accompagnait vers la place Tahrir. Je m’en suis remis à Dieu car le martyre , pour le bien-être de la nation, pour la justice et la liberté, était mon souhait ultime. J’ai intégré les rangs des activistes qui travaillaient comme un essaim d’abeilles. Sur la place Tahrir, les uns assuraient la sécurité, les autres l’hygiène, d’autres encore l’installation des tentes. J’ai retrouvé mes anciens amis de l’Université, ceux de la troupe de théatre et des randonnées. Après de longues discussions, nous avons décidé de fonder un musée commémoratif la révolution en cours, alimenté par les événements quotidiens, avec des banderoles de slogans, des projectiles, des reliques de martyrs, des caricatures. Un journal mural s’est ajouté au musée, annonçant les événements sur la place, faisant 4 mètres de long et protégé de la pluie par du plastique transparent.

À côté de ce journal mural se trouvait une équipe chargée d’informer, d’expliquer les principes fondamentaux de la révolution et de conscientiser. L’équipe s’est étoffée de nouveaux membres. Une tente a été installée pour regrouper le musée, le journal mural, un point d’information et un lieu de réunion.

La tente est devenue un centre d’information perfectionné et un lieu d’hébergement de nouveaux venus sur la place, d’autant plus qu’un espace a été réservé aux femmes, un autre aux familles de martyrs. Nous nous sommes réunis avec des personnalités publiques, dont certaines ont fourni une assistance matérielle – tapis, couvertures, chaises, papier et tout ce qui était requis pour les activités sous la tente.

Moubarak a été renversé et le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) a pris la suite.
 

Après l’attaque sanguinaire des forces de sécurité agissant pour sauver l'ancien régime -attaque qui a fait des milliers de martyrs et de blessés- les événements ont pris une nouvelle tournure. Nous avons inauguré une nouvelle étape à l’enseigne de la lutte politique. Une bataille d’un nouveau genre a commencé. Toutes les forces politiques ont réintégré leurs locaux pour y tenir des réunions afin de se répartir le butin politique. Et ce, sans égard pour les revendications des groupes et des indépendants qui voulaient poursuivre le processus révolutionnaire avec pour seul but de réaliser ses objectifs dans le cadre de l’unification des forces, mouvements et alliances constitués pendant les premiers jours de la révolution.


J’ai ainsi décidé de réunir un certain nombre d’indépendants pour rester sur la place et continuer à réclamer la réalisation des objectifs de la révolution. On avait l'impression d'être sur le Djebel Ouhoud*, car la confrérie des Frères musulmans a largement conspiré contre les indépendants et les forces citoyennes en faisant alliance avec le CSFA . Au point de conduire certains à considérer les FM comme le bras politique du CSFA, notamment après la nomination de l’un de leurs cadres le Dr Tarek El Bechri, personnage emblématique de l’islamisme, comme président de la Commission de révision de la Constitution.


La Confrérie a connu une forte expansion, à croire qu’elle tenait les rênes du pouvoir. Il ne fallait surtout pas qu’une autre force émerge à leurs côtés ni que quiconque d’autre apparaisse comme leader ! Tout dans sa conduite visait à la faire apparaître comme force dirigeante de la révolution, en écartant les vrais protagonistes. Après la démission du gouvernement d’Ahmed Chafik, Essam Sharef, son successeur, est venu place Tahrir, porté en triomphe. Il est monté à la tribune. Les occupants de la place ont émis, depuis la tente, un premier communiqué déclarant notamment : « Malgré notre respect pour la personne d’Essam Sharef, la plupart des présents sur la place ne savent pas qui il est et veulent connaître son programme, sa ligne politique et les prérogatives dont il est investi ». Nous avons donc continué l'occupation.


La veille du 9 mars, la place a été attaquée et les occupants ont été expulsés de la place par la force. Plus d’une centaine de personne ont été arrêtées, dont dix-sept filles. Les familles des détenus ont réinvesti la place, en cherchant le moyen de faire libérer les leurs. Une commission juridique fut créée pour les défendre. Nous avons transféré le centre d'information de la place au café de la Bourse. Nous avons également constitué une équipe chargée de la sensibilisation sur les risques du référendum. Notre but était de démontrer que la légitimité populaire avait renversé la légalité constitutionnelle et qu'une simple révision de la constitution pourrait conduire le pays dans un gouffre.


Le 1er avril, nous avons organisé un tribunal populaire pour juger Moubarak, en présence des familles de martyrs et de quelques personnalités politiques, exceptés des Frères musulmans. Ces derniers ont justifié leur absence par leur mobilisation pour la Journée de l’Orphelin. La date du verdict a été fixée au 8 avril.


Le mardi 5 avril, nous avons eu la surprise d’apprendre que des réunions étaient en train de s’organiser pour refaire le procès, en présence cette fois-ci des Frères musulmans et de leurs partisans au sein de la Ligue de coordination de la révolution. Nous avons été invités au siège du Syndicat des journalistes, où s’est tenue la conférence de presse. Pendant la conférence, nous avons été empêchés de prendre la parole, nous nous sommes donc retirés en signe de protestation.


La volonté des Frères musulmans de dominer, d’exclure les adversaires et de récolter les gains politiques était claire. Des membres de la Ligue de coordination de la révolution ont toutefois essayé , lors d’une réunion à Groppi, de s'accorder avec nous sur les détails du programme de la journée du 8 avril et les lignes générales du nouveau procès ont été tracées. Il fut alors convenu que les familles de martyrs recevraient l’hommage qu’elles méritaient.


Le matin du vendredi 8 avril, ces personnes ont nié tout accord et pris le contrôle de la tribune avec leur service d’ordre, empêchant les familles des martyrs d’y accéder. Après des discussions virulentes, nous sommes parvenus à monter sur la tribune avec quelques familles de martyrs.  Les Frères musulmans, craignant que les choses ne leur échappent, ont alors commencé à répandre des rumeurs et des accusations, notamment que moi et d’autres avions des intérêts personnels, me présentant comme étant un agent d’Ibrahim Kamel, l’homme d’affaires connu pour son appartenance au RND [parti de Moubarak dissous, NdT]. Je n’étais pas au courant de la conspiration qui se tramait. Je pensais qu’il s’agissait de simples rumeurs banales destinées à semer la discorde et à m’écarter de la scène, malgré le fait que j'étais sincère, conformément à mes convictions et à ma morale. D’ailleurs personne n’a cru à ce qu’ils racontaient.


Épuisé par les querelles, je me suis réfugié sous la tribune et me suis endormi. Soudain quelqu’un m’a réveillé et j’ai été surpris d’apprendre que Safouat El Hijazi avait été éjecté de la tribune. Je me suis précipité sur la tribune pour voir ce qui s’y passait. Quelques officiers de l’armée criaient des slogans en faveur d’un État laïc. J’ai crié avec eux. Je ne les connaissais pas mais j’ai été interpellé par un officier porté sur des épaules qui tentait de monter à la tribune. J'ai alors tendu la main pour l’aider.


Ses collègues ont demandé notre aide pour protéger leur vie. Des jeunes les ont alors entouré pour les protéger des infiltrés pouvant provoquer des violences sur la place. Ma mission du jour a pris fin avec cela.


Une fois revenu chez moi, j’ai reçu un appel de Chadi El Ghazali Harb qui m’a informé qu’un officier de la police militaire avait été agressé et qu’il avait trouvé refuge dans un immeuble après une longue poursuite. Il m’a donc demandé d’aller calmer les esprits. Et je me suis retrouvé de nouveau sur la place.


Sous une grande tente, un groupe d’officiers accompagné du Cheikh Safouat El Hijazi était en train de discuter de la situation. J’ai essayé en vain d’intervenir puis j’ai quitté la tente à leur demande. J’ai alors appris que quelqu’un les avait informés de l’intention de l’armée d'expulser les occupants par la force. Mais ces derniers voulaient poursuivre l'occupation de la place. Quelques instants plus tard, les forces de la police militaire ont envahi la place de toutes parts, tirant des balles et des lacrymogènes. J’ai essayé de courir pour fuir les gaz et les balles : je suis tombé par terre avant d’être conduit par un ami au taxi le plus proche sur l’avenue Ksar El Ayni. Je suis allé passer la nuit chez un ami.


Le lendemain matin, je me suis réveillé et j'ai appris qu’un communiqué du CSFA m’accusait d’avoir été l’instigateur des événements de la journée du 8 et de la nuit du 9 avril. J’ai été surpris par le « témoignage » de Cheikh Safouat El Hijazi, Tarek Zidane et des autres. Je me suis rendu sur la place le 11 avril, où j’ai rencontré Tarek Zidane, qui a nié publiquement avoir tenu des propos contre moi, alors qu’ils ont été enregistrés.


Le lendemain, j'ai tenu une conférence de presse au siège principal du Parti du Ghad. Je me suis ensuite rendu à la justice et j’ai pu prouver l’absence de tout lien entre moi et le RND. J’ai également prouvé que je suis employé par la société de Kamel Abou Ali et non pas Ibrahim Kamel. Le juge militaire m’a acquitté après avoir démenti toutes les rumeurs sur mon compte.


Tous les témoignages contre moi affirmaient que mon appartenance au RND pouvait être déduite de mon apparence et de mon comportement. C’est étonnant, surtout après que Safouat El Hijazi et Tarez Zidane avaient démenti ces accusations dans les médias et affirmé que j’étais un révolutionnaire et non un agent de l’ancien régime. Par ailleurs, nombre de journalistes, notamment Wael Abrashy et Ibrahim Issa, ont accrédité ces affirmations.


Malgré mon innocence, j’ai comparu à nouveau devant un juge d’instruction, Maher Baybars, qui m’a déféré devant la Cour pénale, quelques heures avant sa nomination comme gouverneur.


Pire encore, il m’a associé un avocat, Oussama Chichtaoui, qui avait déjà assisté à la précédente instruction (militaire) de la même affaire. Je me suis donc retrouvé inculpé une deuxième fois pour les mêmes faits.


On m’égorge après que mon innocence a été prouvée. Mais moi, je suis sûr de ma position et de la justesse de notre point de vue d’indépendants, révélée au monde entier.


Les révolutionnaires auraient dû rester sur la place Tahrir jusqu’à l’achèvement de la révolution. Ils auraient dû préserver cette dernière de sa récupération par des opportunistes.


Salut aux âmes des martyrs, salut aux camarades debout sur le terrain, honte aux traîtres et aux charognards.
* La bataille de Uhud ou de Ohod est une bataille entre les musulmans et le clan mecquois des Quraychites sur le mont Uhud près de Médine en 625. La victoire revint aux traditionalistes mecquois.(NdT)

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