dimanche 31 juillet 2011

Concert “Révolutions Arabes” de Hichem Badrani حفلة موسيقية 'ثورات عربية' لهشام بدراني

Bonne fête de Ramadan ! رمضان مبروك اليكم


حفلة موسيقية 'ثورات عربية'
لهشام بدراني
متحف قرطاج
السبت 30ج ويلية2011
مع
عايدة الورغمي
منجية الصفاقس
نزار بو صيف
أمين سعيد
عبد الستار بوطاري
(تونس)
زيد تيم وسناء موسى من فلسطين ومصطفى محمود من مصر ووائل البدري من ليبيا

Concert “Révolutions Arabes” de Hichem Badrani
Musée de Carthage (Tunis)
Samedi 30 Juillet 2011
Avec
Aida Ouerghemmi
Mongia Sfaxi

Nizar Bou Saif
Amine Said
Abdessatar Bouttara
(Tunisie)
Zaid Tayem et Sanaâ Moussa (Palestine)
Wael El Badri (Libye)
Mustapha Mahmoud (Egypte)
écouter  سماع
2
Sanaâ Moussa سناء موسى

mercredi 27 juillet 2011

Tunisie : «Pensons notre Constitution»: La société civile fait son brainstorming *

La société civile fait son brainstorming *

La date des premières élections libres du 23 octobre prochain approche tambour battant. Et si tous les regards sont orientés vers la profusion de partis politiques qui complique notre vie quotidienne, un autre acteur n’a cessé de se mouvoir parallèlement afin de  baliser le terrain pour une nouvelle Constitution globale et plus conforme aux principes universels de la démocratie conformément à notre identité arabo-musulmane : il s’agit de la société civile qui, depuis la chute de Ben Ali, n’a cessé de se manifester en réintégrant sa place dans le paysage, une place confisquée jadis par l’hégémonique  parti de masse (le RCD dissous). En fait, qui dit Constitution, dit une affaire de tout un peuple et non pas un domaine réservé uniquement aux politiques. C’est dans ce cadre que les trois associations Le Manifeste 20 Mars, l’Association tunisienne pour l’action citoyenne (ATAC) et l’Organisation tunisienne pour la citoyenneté (OTC), en collaboration avec d’autres associations (environ une trentaine, telles que : RAID-ATTAC- CADTM) et  en  la présence d’une pléiade de journalistes, d’intellectuels, d’universitaires et de nombreux citoyens et citoyennes, ont organisé le week-end dernier à Mahdia des assises nationales sur le thème «Pensons notre Constitution». Retour sur un événement atypique et attachant.

Décidément, la société civile ne cesse de nous surprendre par son dynamisme et ses idées créatives. Contrairement aux partis politiques qui mettent en avant leurs différends  avec la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique ou leurs querelles idéologiques, la société civile se distingue par un rôle d’encadrement du peuple à travers l’organisation de rencontres, de meetings et de séminaires dont la finalité n’est autre que de vulgariser au maximum la participation politique chez le citoyen lambda, tout en renforçant sa conscience citoyenne. Et voilà que les 22, 23 et 24 juillet, dans la ville de Mahdia, un débat national sous forme d’assises dont le thème général était: «Pensons notre Constitution» a été organisé à l’initiative d’un collectif d’associations.


Joindre l’utile à l’agréable

Selon les organisateurs de cet événement : «Nos assises ont pour principal objectif d’élaborer un projet des grandes lignes de la Constitution, qui sera vulgavisé et débattu le plus largement possible, pour être proposé, ensuite, sous forme de recommandations à l’opinion publique, aux candidats indépendants et aux futurs membres de la nation à l’Assemblée constituante. Ce texte restera notre référence et l’objet de notre mobilisation pendant toute la période de vie de l’Assemblée constituante [… ]. Conscientes des forces et des lacunes que peuvent présenter les textes qui circulent et soucieuses d’intégrer dans leurs  propositions les résultats des nombreux débats publics organisés dans le pays et où ont été émises des critiques, des demandes d’éclaircissements ou de précisions et des propositions complémentaires, et pour que notre Constitution reflète notre voix, nos associations ont pris l’initiative d’organiser, avec des jeunes et des militants indépendants, des assises nationales sur le thème : Pensons notre Constitution».
Durant ces trois jours, plus de 350 participants ont pu joindre l’utile à l’agréable, et ce, à travers un programme riche et varié où les organisateurs ont pu métisser culture (pièces théâtrales, projections de films documentaires et de la musique révolutionnaire en programme off), politique, débats et remue-méninges.
Les participants ont pu aussi assister à plusieurs  interventions d’éminents professeurs universitaires à l’image de  Sadok Belaïd, Ridha Zouari, Youssef Seddik, sans oublier l’artiste militante Raja Ben Ammar et l’intellectuel Gilbert Naccache. Ce dernier s’est distingué à travers le débat sur le rôle de la société civile dans la réalisation des objectifs de la révolution tunisienne.

La démocratie participative en exercice

Mais pour tous les participants, le samedi a été sans aucun doute le jour phare de ces assises, où les organisateurs ont mis en place neuf ateliers autour des thèmes suivants : «Principes généraux de la Constitution», «Charte des libertés et des droits dans la Constitution», «Structures des pouvoirs», «Le pouvoir judiciaire», «Les instruments de contrôle», «Le découpage territorial et le développement régional», «Liberté de la presse et des médias», «Place de la culture et de l’art dans la nouvelle Constitution» et «La souveraineté populaire (socioéconomique)».
Durant 7 heures, les participants à ces ateliers ont pu faire du brainstorming : «un travail de groupe composé d'une dizaine de participants, dont un coordonnateur, choisis de préférence dans plusieurs disciplines. Plusieurs idées ont été exprimées et notées sur un tableau (paper-board) visible par tous. Les séances ont duré entre 3 et 4 heures chacune, ce qui a  permis de faire disparaître toutes les inhibitions, pour garder une vivacité d'esprit plus grande. Des pauses ont été aménagées entre chaque réunion pour laisser reposer les idées émises pour mieux les réexaminer par la suite. Un véritable apprentissage de la démocratie participative.
La Presse a pu assister aux séances de remue-méninges de l’atelier numéro 3 : «Structures des pouvoirs», animé par l’universitaire et l’un des organisateurs de cet événement Jaouhar Ben Mbarek. Durant deux séances de quatre heures, les membres de cet atelier ont pu passer à la loupe les différentes structures des pouvoirs qui doivent être mentionnées dans la prochaine Constitution. Selon Jaouhar Ben Mbarek‑: «Les pouvoirs ont souvent une architecture bien définie. Avec un pouvoir central et un pouvoir régional, avec un équilibre et une interaction entre eux». Suite aux débats, les participants se sont mis d’accord pour donner plus d’importance au pouvoir régional en accordant plus d’autonomie aux régions. Ainsi, on ne parle plus de gouvernorats mais plutôt de conseils régionaux ou de provinces (qui peuvent englober 3 ou 4 de nos actuels gouvernorats selon un nouveau découpage territorial qui prendra en considération le déséquilibre régional actuel). Les membres des conseils régionaux doivent être élus au suffrage universel selon des listes nominatives. D’autre part, les fonctions de délégué et de omda (les représentants de l’Etat dans les zones rurales) devraient être remplacées par des conseils locaux, également élus.


Les participants penchent pour un régime républicain parlementaire et bicaméral : une Assemblée nationale composée de parlementaires qui auront comme mission de légiférer et où chaque parlementaire devrait défendre les problèmes de la nation et non de sa région. Quant aux problèmes de développement régional, ils seront traités à la deuxième chambre, «l’assemblée nationale des régions», qui sera composée des présidents des conseils régionaux et de trois membres de chaque conseil régional qui seront élus par les membres des conseils régionaux avec la présence impérative dans ce trio d’un président d’un conseil local de la région.
Enfin, toujours selon Jaouhar Ben Mbarek : «Le projet final de la Constitution fruit de ces assisses va être publié sur notre site ‘‘notreconstitution.org’’, où les internautes pourront aussi publier leurs commentaires et donner leur avis. Et par la suite, la deuxième version qui sera la synthèse entre les propositions de la première version (celle des assises) et celles émises par les  internautes, sera mise en ligne le 24 octobre prochain (J+1 des élections). Et pourra inspirer la Constituante dans ses travaux. Rappelons que cet événement est le fruit d’un travail d’un mois et demi  réalisé par des jeunes bénévoles et volontaires». Et comme l’a bien dit Gilbert Naccache, homme politique et écrivain tunisien : «L’essentiel dans ces rencontres, ce ne sont pas les textes qui en ressortent, mais plutôt la communion qui prend place entre les citoyens et le métissage d’idées qui en résultent».

Assurément, on ne peut que saluer cette initiative qui ne peut que renforcer le principe de la démocratie participative sous nos cieux, tout en offrant aux citoyennes et aux citoyens tunisiens la possibilité de contribuer à l’élaboration du projet de Constitution de leur pays et à l’édification de l’Etat de droit qui commence par une Constitution consensuelle et qui dure dans le temps: la pierre angulaire de l’Etat de droit.

* Brainstorming : remue-méninges ou tempête d’idées, c’est une technique de résolution créative de problème sous la direction d'un animateur dans le cadre d’une réunion informelle de collecte d’idées.

Ils ont déclaré :

Sophie Bessis
(Historienne et universitaire franco-tunisienne)‑:
" Je pense qu’une Constitution doit être faite pour durer longtemps. Elle ne doit pas être une Constitution de conjoncture, au contraire, elle doit être à l’image de l’évolution de la société tunisienne. C'est-à-dire la société tunisienne qui s’est exprimée haut et fort pour abattre la dictature. Ainsi, la nouvelle Constitution doit garantir les libertés de conscience, d’opinion, d’expression, etc. Une Constitution pour une Tunisie sur le chemin de la modernité.  Car un des principes de la Constitution est la liberté et tout ce qu’elle implique. La Constitution doit aussi garantir l’égalité entre les individus, un droit fondamental de tous les citoyens quelle que soit leur appartenance. La Constitution doit aussi poser les fondements de la justice entre les sexes. En plus de la liberté et de l’égalité, dans une Constitution d’une société moderne, il ne faut pas qu’il y ait une référence à une norme totalitaire».

Milenda Sfar

(Membre du bureau régional de Mahdia et de   la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique) :

«Je pense que la Constitution de demain devrait s’habiller des principes que chaque citoyen aimerait voir s’ancrer dans la société. Des principes qui respectent les différences de sexe, de culture, de conception des choses et de croyance. Tellement nous avons faim d’identification, je souhaite que la prochaine Constitution nous donne le choix de nous identifier à notre guise. A la limite, aujourd’hui, le Tunisien caresse le rêve d’avoir une Constitution qui épouse ses aspirations à une vie meilleure. Quant à l’Assemblée constituante, elle doit jouer un rôle important dans la transition démocratique. Tout d’abord, elle va mettre sur les rails la deuxième République. Cette Constituante va préparer le terrain pour une Tunisie libre dans ses choix et du choix de ses partenaires».

Pr Sadok Belaïd
(Ancien doyen, professeur émérite, faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis):

«Pendant quatre mois, j’ai rédigé un projet de Constitution qui est accessible sur mon site ‘‘sadok-belaid.com’’». En effet, toutes les constitutions  sont axées sur trois chapitres. Le premier tourne autour des principes fondamentaux de la société, C'est-à-dire les valeurs sociales et politiques que la Constitution proclame et veut réaliser. Il s’agit de principes, d’origine occidentale, adoptés par de nombreux pays et ça fait partie du patrimoine universel. Ainsi, les droits de l’Homme et la dignité, la notion de démocratie et la participation du citoyen dans la décision politique représentent le sel et le poivre qui ont inspiré la révolution tunisienne. A mon avis, pour respecter ces principes, la nouvelle Constitution doit comporter une valeur obligatoire : instaurer l’Etat de droit dans le sens strict du terme. Ensuite, on doit élaborer un programme pour réaliser la justice sociale : le peuple a été échaudé à plusieurs reprises. C’est pour cela qu’il faut puiser dans nos sources et notre riche histoire pour sortir avec un texte global et consensuel. D’autre part, on doit inclure le principe de la transparence dans notre nouvelle Constitution, pour accomplir un pas de géant vers le progrès. Il faut toujours se rappeler qu’en 1959, la Tunisie comptait 2,7 millions d’habitants contre presque 11 millions actuellement. Ainsi tout a changé et notre économie a évolué avec le temps. A l’époque, il n’y avait pas de tourisme et de services, toutes ces choses font que l’ancienne structure des pouvoirs (centralisés dans la capitale, Tunis) est devenue anachronique et dépassée par les événements.  Ainsi, il faut donner plus d’autonomie aux régions dans certains volets (culture, éducation, santé par exemple). Il faut donc penser à un nouveau découpage territorial garantissant un équilibre dans le développement entre les régions, et ce, à travers une mutation des avantages socioéconomiques du littoral vers les régions de l’intérieur. Mais ces actions doivent être régies par une politique progressiste  dans le cadre d’une solidarité nationale interrégionale. Enfin, il faut rétablir la justice et l’équilibre dans tout le pays».

Propos recueillis par A.A.H.
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mercredi 20 juillet 2011

“Cette révolution est la seule au monde dans laquelle on a tué le père” : Gilbert Naccache, révolutionnaire tunisien جيلبار نقاش، ثوري تونسي : هذه الثورة التونسية هي الثورة الوحيدة في العالم التي قتل فيها الأب

“ Je ne renie absolument rien de mon itinéraire” 
Fausto Giudice : Nous sommes à Tunis, le 30 avril 2011, à la veille du premier Mai. Cette interview est une première collaboration entre Thawrah TV, une télévision révolutionnaire en ligne qui est train de se créer, Tlaxcala, le réseau international de traducteurs, Rebelión, le site web de la gauche hispanique, et Radio Fréquence Paris Plurielle, qui émet en région parisienne. Si nous avons tenu à t’interviewer, Gilbert, c’est parce que, que cela te plaise ou non…
Gilbert Naccache : Je suis beau…
FG : … tu es beau, mais surtout tu es l’un des plus anciens militants révolutionnaires tunisiens encore de notre monde, puisque tu es né en 1939. Tu as commencé par être militant du Parti communiste tunisien dans les années cinquante, puis, après un passage, à en croire tes mémoires, pas très réussi, par le trotskysme et la Quatrième Internationale, tu as abouti au groupe Perspectives tunisiennes et à la prison de Borj El Roumi en 1968, et tu as donc passé pratiquement une bonne dizaine d’années dans les geôles de Bourguiba, le Combattant suprême.
GN : D’abord je me félicite de cette collaboration entre ces organes de presse et je crois que cette solidarité qu’elle exprime est une excellente chose et une nouvelle preuve de l’ouverture de la révolution tunisienne vers l’extérieur. Cette révolution n’est pas un mouvement nationaliste, traditionaliste, conservateur, c’est un mouvement qui est dans le monde actuel, qui s’est emparé de tous les instruments de communication modernes et qui, à ce titre, ne peut plus accepter les valeurs du passé. Et c’est pour moi une excellente nouvelle.

Pour ce qui concerne mon itinéraire, je ne renie absolument rien de cet itinéraire, c’est-à-dire qu’en ce qui me concerne tout était très réussi. Je suis passé d’un mouvement à l’autre, d’un ensemble de certitudes à un autre ensemble de certitudes, puis à un certain nombre de doutes raisonnables et finalement, je crois, à une pensée critique, à travers ce qui existait de mieux à l’époque où je l’ai fait. Je dois dire que, autant les passages par l’univers traditionnel communiste et trotskyste étaient des passages de formation théorique, autant le passage à Perspectives a été un bain dans l’action et dans la coordination de la théorie avec la pratique des jeunes et c’est peut-être pour ça qu’aujourd’hui, je suis capable d’être du côté de la révolution et non pas du côté des donneurs de leçons, parce que j’ai vécu l’expérience de la jeunesse révoltée et j’ai participé avec elle à sa révolte, bien que n’étant déjà plus très jeune à cette époque-là.
Donc, mon itinéraire me fait coller à la révolution…viscéralement et je dois dire que si je peux apporter quelque chose à la révolution, elle m’a apporté bien plus que tout ce que je pourrais lui apporter. Par conséquent, je ne peux pas refuser quoi que ce soit, y compris des interviews avec des questionneurs à l’intelligence discutable.
FG : Ah haha ha ! Il est sympa !!! …Il est vraiment sympa, il insulte les  camarades qui l’interviewent !!! Depuis que je suis revenu en Tunisie, pour la première fois depuis la prise de pouvoir de Ben Ali en 1987, j’ai revu tous les vieux camarades de Perspectives et puis les jeunes révolutionnaires et ce que je constatais avec les camarades, c’était que, finalement, ce groupe Perspectives n’a pas du tout connu l’évolution qu’ont connu les groupes équivalents en Europe, les groupes gauchistes, dont la plupart des militants connus ont, depuis belle lurette, largement trahi leurs idéaux de jeunesse pour devenir, comme ont dit en Afrique, des « Grands Quelqu’uns », des ministres, des défenseurs de l’OTAN, des militaristes, des néolibéraux etc. Et je constate que, dans les militants historiques de Perspectives, il n’y a eu pratiquement aucun traître, à quelques rares exceptions près. Et une autre caractéristique qui me frappe, c’est que j’ai l’impression qu’il y a eu une transmission de votre génération jusqu’à la génération des 20-25 ans d’aujourd’hui, qui sont la force principale de la révolution, en passant par gens d’âge intermédiaire. Qu’est-ce que tu penses de cette appréciation ? Est-ce qu’elle est correcte ?
GN : Je ne sais pas. Pour ce qui est de la trahison, je dois dire que oui. Je l’ai d’ailleurs dit à plusieurs occasions : ce qu’il y a d’extraordinaire dans Perspectives, c’est que l’élan qui nous animait, qui nous poussait, était un élan sincère. Aucun de nous ne faisait le moindre calcul et je ne peux pas m’empêcher de penser à (Michel) Foucault qui, lorsqu’on l’interrogeait sur Mai 68, répondait : « Moi, j’ai assisté à Mars 68 à Tunis et je ne peux pas m’extasier devant Mai 68, devant les fils à papa qui se révoltent contre leurs pères quand j’ai vu des jeunes aller au massacre, foncer, non pas contre leurs pères, non pas pour des formes d’affirmation de soi, mais animés par un idéal véritable et prêts à mourir pour ça ». Alors effectivement, notre génération est une génération de gens désintéressés, de gens motivés, qui voulaient participer à l’édification de la Tunisie et qui en ont été empêchés par Bourguiba. Nous n’avions pas compris à l’époque ce qu’était le régime Bourguiba, nous n’avions pas compris la dynamique du système du parti unique et nous avons certainement beaucoup erré, mais il y a des choses sur lesquelles tous ces gens-là ont toujours été unanimes, c’est que la liberté ne se partage pas, ne se négocie pas.
Alors, il y en a quelques-uns d’entre nous qui ont négocié leur liberté. On les a retrouvés ministres de Ben Ali ou…mais très très peu…
FG : …ou ambassadeurs auprès de l’UNESCO…
GN : …Non, ministres de Ben Ali, mais c’est le cas de très peu d’entre eux, un ou deux, et c’est le cas même de gens qui ont justifié ce qu’on peut appeler trahison - mais qu’ils présentaient comme une recherche d’efficacité - par une conception qui n’était pas claire, qui n’était pas précise, mais qui était implicite, du rapport du pouvoir. On peut changer les choses, disaient-ils, pensaient-ils, en prenant le pouvoir et en influençant la direction. Ce n’était pas forcément une position traîtresse, c’était une position erronée et un peu paternelle, dans la droite ligne des mouvements du régime Bourguiba et de tous les mouvements révolutionnaires de l’époque, donc, même à eux, je ne fais pas trop de reproches.
FG : C’était finalement une variante de l’entrisme ?
GN : Oui, c’était une recherche d’efficacité. Il y a des choses qui ont accompagné ce chemin, et qui sont moins belles, c’est quand il s’est agi de défendre la répression de Ben Ali contre les islamistes et qu’il y a eu une certaine confusion entre les principes et la politique quotidienne – c’est beaucoup plus discutable, mais je dois dire que tous ces gens qui ont participé à Perspectives sont resté des gens à principes, qui ont essayé d’appliquer leurs principes dans ce qu’il ont fait. Bons ou mauvais, leurs principes étaient d’essayer de changer la situation et en cela, je dois reconnaître que nous avons un chemin très différent de l’extrême-gauche française ou même européenne, mais c’est surtout parce que nous, nous n’avions pas le choix. Les gens de l’extrême-gauche européenne avaient en face d’eux une société civile très forte, des structures très fortes qui ont pu les récupérer, qui ont pu leur offrir des perspectives individuelles ou même collectives – par les bureaux d’études auxquels ils ont pu participer – qui les ont fait participer à la reconstruction de la société d’après Mai 68. Peut-être que si le régime de Bourguiba ou le régime de Ben Ali nous avait fait participer en tant qu’intellectuels à la construction, ou à la reconstruction, du régime, peut-être que nous aurions eu le même sort. Mais notre chance, intellectuellement bien sûr, c’est que nous avons vécu dans un régime répressif et qui s’est toujours méfié de toute parole différente. Par conséquent, il ne nous a pas laissé le loisir de trahir véritablement. Donc, nous n’avons aucun mérite à n’avoir pas trahi.
FG : Finalement, le résultat de cette exclusion, c’est l’urbanisme chaotique d’une ville comme Tunis, c’est l’état catastrophique de l’enseignement et de l’éducation, qui d’après out ce que me disent et me montrent les gens, produit des analphabètes diplômés bilingues. Peut-être que si cette génération soixante-huitarde avait été aux affaires, ça se serait passé un peu différemment. Peut-être…
GN : Peut-être. Ou peut-être aussi qu’après un passage dans les lieux de réflexion et de conception, ces gens seraient passés dans les lieux de corruption et peut-être qu’ils auraient été comme les autres. Non, on ne refait pas l’histoire. Il reste que les anciens de Perspectives, avec tous les congés qu’ils ont pris de la révolution, sont restés en gros au moins des gens très progressistes et très ouverts, et désireux de comprendre et de participer à ce qui se passe. Ceci dit, je ne suis pas d’accord avec la plupart d’entre eux dans les détails mais je ne peux pas dire qu’ils aient franchi une barrière quelconque. Aucun n’a participé de façon réelle aux 23 ans de Ben Ali, aucun n’a soutenu vraiment Bourguiba, donc je suis très fier d’avoir fait partie d’une organisation qui n’a pas peut-être pas réussi à prendre le pouvoir et à transformer la société mais qui a transformé ses membres. Je reviens à ta question : ce n’est pas un hasard si nos idées, sous des formes diverses, transformées, atténuées ou autrement, ont traversé le temps. Nous avons été une génération qui a du, à un moment donné, regrouper à peu près tous ceux qui pensaient, dans l’Université, c’est-à-dire que sur cinq années, nous avons du entraîner avec nous peut-être plusieurs milliers de gens. Et ce qui est remarquable, c’est que ces milliers de gens qui n’étaient pas formellement membres de l’organisation, sont des gens qui ont transmis à leurs enfants des valeurs, qui ont transmis un regard, un élan. Ce qui fait que quand mon livre* est sorti, par exemple, ils se sont tous précipités dessus, les uns retrouvant les élans de leur jeunesse, les autres y trouvant un peu ce que leurs parents ont été , ce que leurs parents ont fait. Et aujourd’hui encore, je suis très ému et très frappé par le fait que mon livre - qui était au fond quoi ? Un témoignage sur un itinéraire, sur un moment -, ce livre a encore un écho extrêmement puissant. Donc ça prouve qu’il parle non seulement aux gens concernés, aux gens du passé disons, mais il parle aussi à la jeunesse, il leur parle d’avenir.
Ça prouve que Perspectives, ce n’était pas un mouvement ancré dans le passé : par ses multiples ouvertures, il offrait et il offre encore des possibilités de rêver. Parce que la révolution, c’est d’abord le rêve.
FG : Moi, je suis très frappé par ce que j’ai l’impression que ta génération, qui est une génération de grands-pères, est au diapason de la génération des enfants et des petits-enfants qui ont fait cette révolution de décembre 2010-janvier 2011. Finalement, est-ce que ne trouves pas que cette révolution tunisienne, qui est vraiment en cours, qui est loin d’être d’achevée, elle est très soixante-huitarde ?
GN : Je dirais même plus : cette révolution tunisienne est la seule au monde dans laquelle on a tué le père. Cette société civile bizarre, apparemment analphabète, inconsciente, inorganisée, a fait ce que les gens de Mai 68 en France n’ont pas réussi à faire, a fait ce que nos générations n’ont même pas envisagé réellement de faire, elle a tué son père. Maintenant, elle accepte d’avoir des beaux-pères, c’est-à-dire des gens qui veillent sur elle, qui éventuellement subviennent à leurs besoins, mais qui n’ont aucune autorité, à qui ils disent : “Ah non ! Tu n’es pas mon père !” Et ceci est très important : tu parlais de Mai 68. Mai 68, pendant un certain temps, ils ont dit ça et puis, à un moment, la magie a disparu et Sauvageot et Cohn-Bendit ont mené l’assaut contre l’Hôtel de Ville et ils sont passés d’une révolte incontrôlable qui n'offrait aucune porte d'entrée à la répression, à une tentative de coup de force qui n’avait plus rien d'original et que le pouvoir en France savait affronter …
FG : …bien cadrable…
GN : Donc, de Gaulle est passé de l’errance la plus folle, entre Massu et ses conseillers – il n’arrivait plus à trouver quoi que ce soit – au retour des traditions. Ici, rien de tel : on ne peut pas mater cette révolution tunisienne parce qu’on ne sait pas comment la prendre. Ils sont descendus à la Kasbah, étaient à la porte du Premier ministre, il suffisait de pousser la porte, c’était simple : Ils poussent la porte, ils disent ”Dégage“ aux gens et ils s’installent à leur place. Ils ne l’ont pas fait. Ils ont dit : “Nous ne voulons pas du pouvoir” mais ils ont dit : “Nous voulons contrôler le pouvoir”. Et on leur a dit : “Mais qui vous êtes, vous ?” et on a amené les flics pour les déloger. Ils sont venus et ils ont dit : “Vous à Tunis, vous croyez que pouvez décider sans nous. Mais non : vous ne pouvez pas faire des choses que nous n’approuvons pas. Et nous resterons là jusqu’à ce que vous le fassiez. ” Et ils sont restés là jusqu’à ce que le gouvernement décide d’appeler à une assemblée constituante. Bien sûr, le gouvernement provisoire a essayé de manœuvrer, il a essayé de dresser une partie de la population contre l’autre, mais ça n’a pas réussi. La révolution tunisienne a gagné étape par étape, jusqu’à la décision de réaliser la Constituante. Mais ça n’est pas fini. La contre-révolution organisée, plus ou moins soutenue par les autorités officielles provisoires, parce que la contre-révolution, c’est-à-dire le RCD, est en grande partie liée au PSD**, que certains des financiers du pouvoir actuel sont des gens qui étaient liés à l’aspect le plus corrompu du régime Bourguiba ou du régime Ben Ali de ses débuts, donc ce pouvoir est sensible à ce genre de pressions et il fait tout pour bloquer, pour ramener la révolution à une simple transition, c’est-à-dire une transition entre Ben Ali le méchant et Jegham ou Morjane ou n’importe qui d’autre le gentil***. Mais la révolution ne s’arrêtera pas, elle trouvera le moyen, elle s’emparera de la Constitution pour transformer les structures de l’État, pour imposer une autre forme de l’État et, de toute façon, elle a été capable, à un moment bref dans le passé, de réunir toutes les classes de la société contre le régime de parti unique, elle sera certainement capable de le refaire dans l’avenir et d’aller de l’avant.
Ça mettra le temps que ça mettra, mais à mon avis, ça mettra peu de temps, parce que, en face, on a des morts-vivants et le symbole de ces morts-vivants est terrible : on a affaire à un président de la République à titre provisoire qui est malade, à un Premier ministre qui est presque nonagénaire et qui dirige au nom d’une révolution faite par des jeunes de moins de 25 ans. Ce n’est pas possible que ça dure longtemps, ne serait-ce que par les progrès de la maladie et les conséquences inéluctables de l’âge. On ne peut pas penser que des vieillards déjà à moitié dans la tombe puissent diriger des jeunes qui ont tout l’avenir devant eux.
Pour revenir à ta question, à l’étonnement que des gens de ma génération puissent être à l’unisson de leurs enfants ou de leurs petits-enfants, ça rejoint peut-être la première question, c’est-à-dire que les gens de ma génération dont tu parles, sont des gens à principes et quand on a des principes, on peut se tromper, on peut hésiter, mais on des guides, on a la boussole et nos principes étaient de toute façon des principes de refus de l’autorité absolue, arbitraire. Et sur ce point au moins, la révolution a rejoint Perspectives : sur le fait que nous ne voulions pas admettre que le Père de la Nation nous dicte ce qu’il fallait, ce qui était bien pour notre bien, nous rejoignons la révolution, nous rejoignons ces jeunes qui disent : “Dégage !” à qui veut leur donner des leçons. Pas de leçons, pas d’intimidation. Nous croyons – enfin, moi je le pense et je crois que mes camarades le pensent aussi – que notre rôle est plus qu’un rôle de direction politique que nous sommes obligés de jouer plus ou moins dans certaines limites, que c’est beaucoup plus que ça, un rôle de transmission, un rôle de passeurs. Nous sommes des passeurs.
Nous avons une expérience, nous avons eu une activité, nous avons réfléchi, nous sommes venus après des générations de militants, dans un climat qui n’a rien à voir avec celui d’aujourd’hui, donc nous avons une responsabilité : c’est de dire aux gens, aux jeunes, voilà ce qui s’est passé, voilà comment c’était, voilà comment on est passés de la Tunisie des Ben Ghedahem****, c’est-à-dire des tribus qui se révoltaient contre le Bey, au colonialisme, au Protectorat, à la lutte contre le colonialisme, à la confiscation de cette lutte par un parti qui est devenu un parti unique et qui, à côté de réalisations très importantes qu’il a faites - parce qu’il en avait besoin pour construire sa propre domination -, a peu à peu tiré la Tunisie vers le néant, et vous les jeunes, qui avez refusé ce néant, vous êtes en réalité dans la pleine continuité de toutes luttes qui ont été menées contre toutes ces injustices que le peuple tunisien a subi, peut-être depuis Elyssa****, on n’en sait rien.
FG : Donc, si je comprends bien, on a un mouvement révolutionnaire dans lequel sont investies de grandes masses de jeunes, qui est polycentrique, créatif, simultané, qui fonctionne en réseau et à côté,   un pied dedans, un pied de hors, une espèce de conseil de sages qui éclaire ce mouvement, sans pouvoir, et sans même vouloir, le diriger. Ça, c’est des caractéristiques réellement postmodernes de la révolution. Comment est-ce que tout ça va pouvoir se traduire en termes d’institutionnalisation ? Est-ce que tu penses que la Tunisie va pouvoir créer l’équivalent pour cette région arabo-berbéro-méditerranéenne de ce que sont en train de faire les Boliviens ou les Equatoriens, avec leur État plurinational, avec leurs  Constitutions où ils intègrent des concepts indiens comme le “bien-vivre” ?
GN : La chance de la Tunisie, c’est d’avoir été un pays depuis très, très longtemps urbanisé. Nous sommes des citadins. Dans ce pays, être citadin, c’est d’abord accepter d’avoir des voisins, donc forcément trouver un terrain d’entente, un terrain de coexistence. Le citadin est un homme qui négocie, qui négocie son mode de vie, qui négocie ses relations et qui, par conséquent, est porté à plus de réflexion que celui qui n’est pas citadin et réagit par impulsions. Ça, c’est la première chance. La seconde chance, qui découle peut-être de la première, c’est que c’est un peuple cultivé, de très longue date -ce n’est pas d’aujourd’hui que ça date – et qui a tout naturellement produit des dirigeants qui ont été dans le sens du développement de la culture, ou du moins de l’éducation . Le résultat c’est que, tandis que, dans des conditions relativement semblables, les Algériens se précipitent avec des pierres et des cocktails Molotov contre des forces de sécurité infiniment supérieures et finissent par abandonner, les Tunisiens, pratiquement les mains vides, ont tenu, parce que, en plus de la révolte, il y avait la conscience du caractère inacceptable de la situation…
FG : C’est la force de l’esprit…
GN : Exactement, c’est la force de l’esprit et d’un esprit qui avait un aliment. Tu as parlé tout à l’heure d’une éducation boiteuse, de jeunes diplômés qui sont souvent peu alphabétisés. C’est possible, mais il faudrait comparer la situation actuelle à celle dont nous avons hérité à l’indépendance. A l’indépendance, nous avions une élite extrêmement cultivée –Collège Sadiki, universités françaises etc. – et une masse énorme complètement analphabète, complètement écartée de la modernité. Aujourd’hui, nous avons une jeunesse qui est globalement alphabétisée, peut-être pas beaucoup, mais dont l’élite est numériquement, à peu près cent fois supérieure, à ce qu’elle était avant l’indépendance, ce qui fait que nous faisons de l’exportation de cerveaux, dans des conditions assez inégales, puisque nous formons des cerveaux, nous formons des gens pendant des dizaines d’années et que nous les vendons au prix du marché en Europe. Normalement, on devrait se faire payer la formation aussi. Un jeune ingénieur en informatique qui va travailler en France a coûté à peu près cinquante fois son salaire annuel avant de partir. Donc, il faudrait qu’on en ait quelques retours. Le problème de la société tunisienne, précisément, c’est qu’elle n’est pas capable de donner à tous ces gens qui sont formés un espoir quelconque de réussir dans leur pays. Là aussi, c’est impardonnable : un régime qui ne donne pas d’espoir à la jeunesse ne peut pas durer.
Donc, la révolution a été d’abord, essentiellement, un sursaut idéologique. Ça a été un sursaut de conscience contre ce qui empêchait les consciences d’exister. Et ensuite, parallèlement, elle a été un ensemble de revendications, de travail, de dignité, d’égalité, mais avant tout, elle était le refus – bien sûr implicite, inconscient, inexprimé – de cette situation où la majorité des jeunes étaient formés et où la société ne faisait que les rejeter. Et ça, ça n’est pas possible. On peut rejeter des gens sans aucune formation – Pompidou disait : « Il est très difficile de diriger un peuple cultivé » - mais on ne peut pas rejeter des gens qui ont de la culture, si minime soit-elle, et Ben Ali en est la preuve.
Notes
*Qu'as-tu fait de ta jeunesse ?  Itinéraire d'un opposant au régime de Bourguiba (1954-1979) suivi de Récits de prison, Éditions Les Mots passants, Tunis et du Cerf, Paris, 2009 ; Les mots passants vient de rééditer Cristal, récit de Gilbert Naccache (première édition 1982). De Gilbert Naccache, on peut aussi lire Le Ciel est par-dessus le toit, Nouvelles, contes et poèmes de prison et d'ailleurs, éd. du Cerf 2005. A paraître à l’automne 2011 chez Les Mots passants : Vers la démocratie.

**PSD : Parti socialiste destourien, nom du parti unique au pouvoir en Tunisie de 1964 à 1988, date à laquelle il fut rebaptisé RCD par Ben Ali.

***Mohamed Jegham et Kamel Morjane : politiciens du RCD de Ben Ali. Jegham, qui fut ministre de l’Intérieur et de la Défense de Ben Ali, fut un instant pressenti comme son successeur. Après la chute de Ben Ali il a créé avec Ahmed Friaâ le parti El Watan. Kamel Mojane, juriste et fonctionnaire international, a été le dernier ministre des Affaires étrangères de Ben Ali, maintenu à ce poste par Mohamed Ghannouchi, jusqu’à sa démission le 27 janvier 2011. Il a aussi créé un parti, L’Initiative.

**** Ali Ben Ghedahem : dirigeant de la grande révolte de 1864 contre le Bey. Arrivé avec son armée aux portes de Tunis, il fut exécuté traîtreusement alors qu'il était venu négocier avec le Bey.

***** Elyssa : fondatrice phénicienne de Carthage selon la mythologie grecque, elle était appelée Didon par les Romains.
Photos Fausto Giudice, Tlaxcala

lundi 4 juillet 2011

Le mariage à la grecque de Netanyahou

par Barak Ravid ברק רביד ? Haaretz, 1/7/2011. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Netanyahou a investi au cours des 18 derniers mois dans les relations avec la Grèce. Il a gagné son pari : la Grèce vient de bloquer dans ses ports les bateaux de la Flottille pour Gaza.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou apparaît généralement comme trop “sûr de lui de dominateur”. Mais cette fois-ci, son arrogance semble quelque peu justifiée. Son investissement personnel dans les relations avec le  Premier ministre grec Georges Papandréou, au cours des 18 derniers mois, durant lesquels il a multiplié les liens diplomatiques avec ce pays européen plongé dans la crise, semble avoir porté le coup de grâce à la Flottille pour Gaza.
 
Dans un discours prononcé jeudi soir lors de la remise de diplômes de l'École des pilotes des forces aériennes israéliennes, Netanyahou a évoqué les efforts diplomatiques déployés pour empêcher la Flottille de Gaza de prendre la mer. Le seul dirigeant dont Netanyahou a mentionné le nom dans son discours a été celui du Grec Georges Papandréou.
 
La veille, le Premier ministre israélien s'était entretenu avec son homologue grec, le suppliant d'émettre un ordre pour interdire aux bateaux d'appareiller de Grèce vers la Bande de Gaza.

Contrairement à d’autres occasions dans le passé, Papandréou a répondu positivement, et un haut responsable israélien impliqué dans les pourparlers entre le Premier ministre grec et Netanyahou a déclaré qu'Israël savait dès jeudi après-midi que la Grèce prévoyait de bloquer le départ des bateaux depuis ses ports.
 
L’idylle entre Netanyahou et Papandréou a commencé en février 2010, lorsque les deux hommes se sont rencontrés par hasard au restaurant Pouchkine à Moscou. Netanyahou a profité de cette occasion pour discuter avec le Premier ministre grec de la position extrémiste de la Turquie  contre Israël et ils sont vite devenus amis.

Les deux dirigeants israélien et grec se sont parlé, depuis leur rencontre à Moscou, au moins une fois par semaine.

La Flottille turque pour Gaza de mai 2010 a provoqué de vives inquiétudes dans les rangs des services de renseignement et de l’armée en Grèce, qui ont commencé à faire pression sur le gouvernement pour qu'il renforce ses liens diplomatiques avec Israël. Papandréou s’est laissé facilement convaincre.
 
En juillet 2010, il est arrivé à Jérusalem, la première visite officielle d'un Premier ministre grec en Israël en 30 ans. Quelques semaines plus tard, Netanyahou s’est rendu à Athènes, et il a passé une journée entière avec Papandréou et d'autres responsables grecs sur une île voisine de la capitale.
Ile de Poros, 17 août 2010: Papandréou offrant une petite croisière à Netanyahou à bord d'une des trois vedettes  lance-missiles achetées par la Grèce à Israël six ans auparavant. Ces dames étaient aussi de la partie.

Des diplomates israéliens peuvent attester que l'amitié florissante entre les deux pays au cours des 18 derniers mois a été rien moins que spectaculaire. Les échanges de renseignements se sont intensifiés, les forces aériennes israélienne et grecque ont mené une série d’exercices communs et Netanyahou a demandé l'aide de Papandréou pour faire passer plusieurs messages au Président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas.
 
Une bonne partie des discussions entre Netanyahou et Papandréou au cours des derniers mois, ont tourné autour de la grave crise financière que la Grèce subit actuellement. Netanyahou a récemment décidé de venir en aide à son nouvel ami lors d'une réunion de ministres des Affaires étrangères et de dirigeants européens, les suppliant de fournir une aide financière à la Grèce.

“Netanyahou est devenu le lobbyiste de la Grèce auprès de l'Union européenne”, dit un diplomate israélien.
 
Ces dernières semaines, lorsque les efforts pour empêcher le départ imminent de la Flottille pro-palestinienne pour Gaza ont atteint leur paroxysme, Netanyahou a récolté les fruits de son investissement dans les liens Israël-Grèce et son pari sur ce pays européen a payé.

Il a pu créer une alternative viable aux relations avec la Turquie sous plusieurs aspects, montrant à Erdogan qu'Israël n'hésitera pas à se rapprocher de son pire ennemi en Occident.

Et à l’heure de vérité, la Grèce s’est exécutée et a ordonné le blocage de tous les départs de ses ports vers Gaza. La décision de la Grèce, avec l'annonce de la Fondation d'aide humanitaire turque IHH qu'elle n'enverrait pas le Mavi Marmara, et la déclaration du Président de Chypre interdisant aux bateaux d'appareiller pour Gaza ont scellé le sort de la Flottille presque définitivement.
 
“Les organisateurs de la Flottille n'ont pas tenu compte du fait que la Grèce de juillet 2011 n'est pas celle de mai 2010”, dit un haut responsable israélien qui a travaillé intensivement, ces derniers mois, à  empêcher la mission de la Flottille pour Gaza d'avoir lieu.

“Aujourd'hui, c’est une autre Grèce à laquelle Israël a à faire”, ajoute-t-il. “Les organisateurs de la Flottille ne l'ont pas compris, et aujourd'hui ils en paient le prix”.

samedi 2 juillet 2011

La justice aux USA : Selon que vous serez puissant ou misérable

par Abby Zimet, Common Dreams, 24/6/201. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Les médias français se sont hypocritement émus à l'unanimité du "traitement inhumain" accordé par la justice US à DSK. Voici un exemple autrement parlant de la justice de classe au pays de l'Oncle Sam.

1er cas : Paul Allen, 55 ans, d'Oakton en Virginie, condamné à 40 mois de prison pour la plus grande escroquerie aux prêts hypothécaires de l'histoire US - il a arnaqué plus de 3 milliards de dollars. Les procureurs, qui avaient réclamé six ans de prison, se sont dits satisfaits du verdict.
 
2ème cas : Roy Brown, 54 ans, de Shreveport en Louisiane, était un SDF affamé. Il s'est présenté à la banque Capital One et a dit à la caissière, en tenant une main sous sa veste : "Ceci est un hold-up". La caissière lui a tendu trois liasses de billets. Il les lui a rendues, ne gardant qu'un billet de 100 dollars. Le lendemain, ayant mauvaise conscience, il s'est rendu à la police, à laquelle il a expliqué :"J'avais besoin d'argent pour payer mon séjour au centre de désintoxication et j'avais faim. Mais ma mère ne m'a pas élevé comme ça". Le juge du tribunal de Caddo, devant lequel il a plaidé coupable, l'a condamné à 15 ans de prison.
 
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Jean de la Fontaine
Les Animaux malades de la peste

"Vendu"

 

vendredi 1 juillet 2011

Répression au Caire

29/6/2011
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Plus de 1000 personnes ont été blessées mercredi 29 juin lorsque les forces de sécurité ont riposté aux manifestants sur la place Tahrir au Caire avec des jets de gaz lacrymogènes et des tirs de balles en caoutchouc. La répression a commencé dans la nuit de mardi à mercredi après que la police avait frappé et arrêté des membres des familles de personnes tuées durant le soulèvement de 18 jours qui avait renversé Hosni Moubarak, lors d’une commémoration des martyrs de la révolution. Dimanche dernier, des membres des familles avaient déclenché une manifestation de colère et jeté des pierres sur des véhicules de police après qu’une juge du Caire avait reporté à nouveau le procès de l’ancien ministre de l’Intérieur Habib Al Adly et six de ses subordonnés.
Al Adly, l’une des figures les plus détestées de l’ère Moubarak, a occupé son poste pendant 14 ans avant d’être forcé de le quitter dès les premiers jours de la révolte du 25 Janvier. Sous sa direction, le ministère de l’Intérieur avait agi commeune gigantesque milice hors-la-loi, espionnant, kidnappant, menaçant, humiliant et torturant des citoyens égyptiens. La Sécurité d’Etat employait au moins 100 000 personnes et entretenait un vaste réseau d’informateurs, dans le seul but de maintenir le régime en place.
En mai, Al Adly a été condamné à 12 ans de prison et à une amende d’environ 15 millions de livres (1,7 million €, 2,5 millions $) pour blanchiment d’argent et détournements de fonds. Il doit maintenant répondre à l’accusation d’avoir donné l’ordre de tuer des manifestants pour al démocratie en janvier dernier. S’il est reconnu coupable, il pourrait être condamné à mort. Moubarak lui-même doit répondre des mêmes accusations le 3 août prochain.
Plus de 845 personnes ont été tuées pendant la révolution égyptienne, d’après les chiffres officiels et plus de 6 000 ont été blessées. Mais beaucoup de gens estiment que le nombre de morts et blessés réel est beaucoup plus élevé. Lundi dernier, la liste des morts s’est allongée avec la mort de Mahmoud Khaled, un protestataire de 24 ans, des suites de blessures infligées le 28 janvier. Il avait été dans le coma depuis 5 mois après avoir reçu dans l’œil une balle tirée par la police, puis avoir été écrasé par une voiture dans le centre du Caire durant les manifestations de masse du « Jour de colère ».
Depuis la semaine dernière, des douzaines de membres de familles de telles victimes tiennent un sit-in permanent devant le siège de la radio-télévision d’Etat. « Ils n’arrêtent pas de reporter et de reporter. Nous attendons depuis cinq mois que soit rendue une justice quelconque », dit Naima (qui a refusé de diore son nom), qui tient un portrait de son fils de 19 ans, Adel, victime d’un tir mortel le 28 janvier. « Je ne veux ni travail ni argent. Je veux la justice et que les responsables rendent des comptes ».
Le juge chargé de cette affaire, Adel Abdessalam Gomaa, a repoussé le procès dimanche sans fournir d’explication. C’est la deuxième fois que le procès d’El Adly et de ses subordonnés a été reporté. En mai, le juge Gomaa avait ordonné un premier report après que des bagarres avaient éclaté dans la salle d’audience. La police avait pris position en rangs serrés devant la cage des sept inculpés, empêchant qu’on les voie, ce qui avait provoqué le protestations des avocats des parties civiles, qui se sont affrontés aux militaires et policiers qui gardaient le tribunal.
Les défenseurs des droits humains ont aussi critiqué l’exclusion du public – y compris les victimes et leurs familles – de la salle d’audience durant le procès. De telles circonstances militent en faveur de l’argument selon lequel le juge Gomaa n’a pas la justice en tête. « Les critiques allèguent que Gomaa avait des liens avec l’ancien régime », écrivait le journal Al Masry Al Youm le 26 juin. « Durant sa carrière, il a émis des sentences contre des opposants à Moubarak comme l’avocat égypto-usaméricain des droits humains Saadeddine Ibrahim et l’opposant libéral Ayman Nour ». Le 30 juin, la Cour d’Appel doit décider si Gomaa doit continuer à présider le procès d’El Adly.
Ironie du calendrier, le report du procès d’El Adly a eu lieu à l’occasion de la Journée internationale de soutien aux victimes de la torture. Des dizaines de personnes ont afflué au siège du syndicat des journalistes au centre du Caire dimanche soir pour écouter le témoignages de personnes torturées par la police et la sécurité d’Etat agissant sous les ordres d’El Adly.
« Je ne pense pas qu’ils ont fait le lien, sinon ils n’auraient pas fixé la date du procès ce jour-là », dit Aïda Seif El Daoula, une militant des droits humains qui anime le Centre El Nedim de réhabilitation des victimes de la violence. « Ce procès est une farce, avec des reports en chaîne. C’est la même chose qu’avant, sous Moubarak : il n’y a pas de justice ». El Daoula montre des photos d’anciens caciques du régime, soulignant qu’il n’a été demandé de comptes pour leur responsabilité dans la torture à aucun des hauts responsables du régime Moubarak, à commencer par l’ex-chef des services de renseignement Omar Souleymane (lequel a joué un rôle clé dans le programme US de transferts extraordinaires au cours duquel la CIA a kidnappé des suspects de terrorisme aux quatre coins du monde et les a envoyés en Egypte pour y être interrogés et torturés).
Avec le report du procès El Adly, tous les yeux se tournent désormais vers un autre dossier judiciaire important : le procès des deux policiers inculpés pour la mort de Khaled Saïd, peut-être la victime de brutalités policières la plus célèbre d’Egypte. Saïd, un homme d’affaires de 28 ans, avait été battu à mort par deux policiers en civil devant un cybercafé d’Alexandrie. Après que la police avait dans un premier temps tenté de maquiller sa mort, des photos de son visage gravement défiguré avaient commencé à circuler sur la Toile, suscitant des protestations et ouvrant la voie à la révolution du 25 Janvier. Alors que l’administration Obama n’avait pas fait de déclaration condamnant le meurtre de Saïd à l’époque, le président Obama a reçu sa sœur Zahra à la Maison blanche la semaine dernière et à publié un communiqué saluant le sacrifice de dizaines de citoyens dans toute la région.
La dernière audience du procès, en septembre 2010, avait été entachée par la présence massive de policiers brandissant des bâtons et criant des insultes contre Khaled Saïd et sa famille. Le procès reprend le 30 juin, mais on ne s’attend pas à une manifestation similaire de culot policier, vu que la police a perdu son vernis de pouvoir et d’impunité après avoir été forcée à faire une retraite massive face au soulèvement de masse de janvier. On attend un verdict dans le procès de l’affaire Khaled Saïd pour jeudi. Les Egyptiens attendent de voir si justice sera rendue.

NdT : le verdict a été repoussé au mois de septembre

Vidéo de Mostafa Sheshtawy, montrant clairement la collusion entre les policiers en tenue de combat et les baltaguiyas (repris de justice utilisés comme supplétifs et provocateurs) le 29 juin