vendredi 27 janvier 2012

Nicolas Sarkozy, ce qu'il regrette

par Arnaud Leparmentier et Vanessa Schneider, Le Monde, 27/1/2012

Nicolas Sarkozy espère le grand pardon. Faire oublier le bling bling, les faux pas et les formules déplacées qui ont écorné son image jusque dans son propre électorat. Toutes ces taches qui marquent le début du quinquennat et l'esprit des Français. La nuit du Fouquet's au soir de son élection, le 6 mai 2007, la croisière sur le yacht de Bolloré, le "casse-toi pov' con" lancé à un quidam au Salon de l'agriculture en 2008, la tentative de nomination de son fils à la tête du quartier d'affaires de la Défense (EPAD) en 2009, autant d'outrances qui le poursuivent encore. Des fautes originelles.

"Normalement, il devrait être réélu dans un fauteuil", estime l'un de ses conseillers. Si seulement il n'y avait pas eu ces fichues deux premières années… Le président, qui se prépare à affronter le candidat autoproclamé "normal" François Hollande, sait qu'il doit prouver qu'il a changé. Son objectif : s'humaniser. Et quoi de mieux pour adoucir son image que de reconnaître ses péchés ? Samedi 21 janvier, lors d'une longue soirée à la résidence du préfet de Guyane, Nicolas Sarkozy s'est essayé à l'exercice du mea culpa devant une quinzaine de journalistes, qui préfigure peut-être ce qu'il fera quand il entrera véritablement en campagne.
LA THÉRAPIE, "C'EST CIVILISÉ"
Entre fausses confidences et regrets sincères, il s'est livré à un exercice de vérité ayant pour seul but de faire passer un message : "Je ne suis pas l'homme que vous croyez." "Ce qui me fascine dans tous les grands personnages de l'histoire, c'est ce qu'ils ont raté. On n'apprend rien de ses succès, a-t-il ainsi confié. J'ai toujours pensé que j'étais le premier responsable de mes erreurs. J'ai toujours assumé. La seule façon d'accepter de prendre de l'âge, c'est d'essayer d'être meilleur. Il faut reconnaître ses erreurs. Il est capital de savoir s'auto-analyser." Mais pas question, pour lui, de se livrer à une réelle thérapie : "Je n'en ai jamais ressenti le besoin, mais si on en a besoin, c'est extrêmement utile. C'est civilisé", ajoute-t-il étrangement.
Au divan, Nicolas Sarkozy préfère les conversations à bâtons rompus avec les journalistes. Ce soir-là, il égrène ses fautes. L'épisode de l'EPAD, que son fils Jean briguait en 2009 ? "Je le regrette. Il a beaucoup souffert. Je n'ai pas vu venir le problème. Cette fonction n'était pas payée, il n'y avait pas de bureau, pas de secrétariat, pas de chauffeur. C'était néanmoins une erreur mais ça aurait été un de mes amis, j'aurais fait la même erreur."
Jean Sarkozy lors de son passage au journal de France 2, le 22 octobre 2009. Le fils cadet du chef de l'Etat a annoncé qu'il renonçait à briguer la présidence de l'EPAD.
Jean Sarkozy lors de son passage au journal de France 2, le 22 octobre 2009. Le fils cadet du chef de l'Etat a annoncé qu'il renonçait à briguer la présidence de l'EPAD.REUTERS/HO
Son voyage tant photographié avec Carla Bruni en Egypte et en Jordanie à la fin de l'année 2007 ? "Pour moi, je partais simplement en Egypte entre le 25 et le 31 décembre, mais cela aussi était une erreur. Quand ils m'ont vu heureux, les Français se sont dit : 'Il nous abandonne. On a élu Bionic et il est heureux'. A Noël, cette année [2011], je ne suis pas parti en vacances car, avec la crise, les Français n'auraient pas compris."
Les mises en orbite de Rachida Dati et Rama Yade avant de les lâcher en milieu de quinquennat ? " Sans doute ai-je fait une erreur de leur donner trop et trop vite. Je protégerai davantage Rachida et Rama si c'était à refaire. Avec Nathalie [Kosciusko-Morizet], j'ai mieux préparé cela. Elle était prête quand elle a eu des responsabilités importantes. Je n'ai pas eu cette prudence pour les autres, j'en porte une responsabilité." En revanche, aucun regret sur l'ouverture pourtant si critiquée dans son camp. "La France est un pays violent, on a besoin de gens différents dans les équipes. Non seulement je recommencerais mais j'irais plus loin, jure-t-il. Le monocolore chiraquien ou socialiste, ce n'est pas ce qu'il faut à la France."
RECHUTES
Ce n'est pas la première fois que le président s'excuse d'être ce qu'il est. Dès le mois de juillet 2009, il avait fait un acte de contrition dans un entretien accordé au Nouvel Observateur. L'hebdomadaire l'interroge sur sa réplique vive à Laurent Joffrin, alors patron de Libération, lors de sa première conférence de presse en janvier 2008 : "Est-ce ce dont je suis le plus fier dans mon début de mandat, certainement pas", avait confessé le président. Avant d'ajouter : "J'ai commis des erreurs. Est-ce que tout ce qui m'est reproché l'est injustement ? Non."
Seul problème, le président a souvent rechuté. Au mois de septembre suivant, il trébuche sur le terrain familial. Il ne comprend pas que l'élection de son fils à la tête de l'EPAD ne passe pas dans l'opinion. "A travers cette polémique, qui est visé ? Ce n'est pas mon fils. C'est moi. Ceux qui ne se sont jamais faits à mon élection et qui n'ont rien à dire sur le fond essaient d'attaquer sur tous les sujets avec une mauvaise foi et une méchanceté qui ne trompera pas les Français", s'enferrait-il dans un entretien au Figaro en octobre 2009.
Un an plus tard, c'est sur le terrain politique que Nicolas Sarkozy s'obstine, après son discours de Grenoble sur les Roms et la déchéance de la nationalité. Il est d'autant plus agressif qu'il est mis en cause sur le terrain des droits de l'homme, et accuse violemment, lors de sa conférence de rentrée à Bruxelles, en septembre 2010, la commissaire européenne aux droits de l'homme, la Luxembourgeoise Viviane Reding. Il faut attendre le remaniement ministériel de novembre et le lâchage de l'électorat catholique pour qu'il consente, du bout des lèvres : "J'ai renoncé à l'identité nationale comme mots parce que cela suscite des malentendus", explique-t-il à la télévision le 16 novembre 2010. Et d'ajouter : "Mais sur le fond, je ne renonce pas." Ces contritions pouvaient paraître trop tardives ou partielles pour être sincères.
"HYPER-INTIME"
Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy hésite à franchir le pas. Doit-il se contenter de ces petites confidences distillées aux journalistes ou adresser directement ses regrets aux Français ? Il pourrait en dire quelques mots lors de son interview télévisée, dimanche 29 janvier. Une sorte de teasing avant un propos écrit : une lettre aux Français, un livre, un support électronique. Sur ce sujet, il n'a pas tranché. "Je ne sais pas si je vais le faire, disait-il le 21 janvier. Il faudrait le faire de façon extrêmement précise, ça nécessiterait un gros travail personnel. C'est de l'hyper-intime". "La maladie du moment, c'est l'image. Rien ne passe par l'image, dit celui qui en a tant usé. L'écrit, c'est personnel. Pour l'instant, je ne prends pas de notes, je n'ai pas de journal. Mais, si je devais dire des choses, je le ferais pleinement."
Son entourage est divisé sur la question. Faut-il un mea culpa uniquement sur le terrain intime ou doit-il être élargi à des choix politiques qui ont pu blesser ? "Il y a un débat entre nous, reconnaît son ami Brice Hortefeux. L'acte de contrition sur les choix politiques, c'est prendre le risque d'ouvrir la boîte de Pandore. Certains sont pour le droit d'inventaire. Mais d'autres, dont je fais partie, pensent qu'il faut fendre l'armure sur le plan personnel, surtout sur le début du quinquennat." Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, est en faveur du droit d'inventaire. Appelant à l'"humilité", un mot dans toutes les bouches à droite, il a concédé, le 19 janvier sur Europe 1, qu'"il y a eu des échecs", citant le débat sur l'identité nationale.
"ERREURS ANECDOTIQUES", DIT JUPPÉ
Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, est très réservé. "Il y a tellement d'adversaires qui nous critiquent que ce n'est pas la peine d'en rajouter, dit-il. Chirac était d'avis de ne jamais reconnaître ses erreurs. Dans le feu du combat, ce n'est pas le moment." Il admet tout de même que "quelques erreurs ont été commises, mais elles sont anecdotiques par rapport à tout ce qui a été fait".
L'enjeu est de ne pas retomber dans l'impudeur privée, alors que les Français veulent que le président reste dans la majesté du chef de l'Etat. "Il ne faut ni quelque chose de voyeur, ni quelque chose qui élude les sujets", considère un dirigeant de l'UMP. Au Nouvel Observateur, M. Sarkozy avait donné, par allusion, l'explication de la nuit du Fouquet's, voulue par Cécilia qui lui échappait. "Cela correspondait à une époque de ma vie personnelle qui n'était pas facile et où j'avais à me battre sur plusieurs fronts", avait-il dit, avant de reconnaître : "J'ai eu tort." L'ancien ministre socialiste Claude Allègre l'a dit franchement dans son livre paru en janvier, Sarko ou le Complexe de Zorro (Plon, 292 pages, 20 euros) : "Si cet homme s'est parfois égaré, c'est par amour pour cette femme. Son départ l'a déstabilisé. Mais est-ce une faute pour un homme, même président, d'aimer une femme ?" Nicolas Sarkozy doit-il l'écrire ou le laisser dire ?

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