samedi 4 février 2012

Un Toscan à Tunis - Giacomo Fiaschi, le dhimmi* chrétien d’Ennahdha : “Ennahdha, c’est comme la Démocratie chrétienne des années 50”

Il fait l’intermédiaire entre les islamistes tunisiens, Comunione e Liberazione, le Vatican et les industriels italiens
par Andrea de Georgio. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

Giacomo Fiaschi est un sexagénaire toscan qui vit en Tunisie depuis plus de vingt ans. Depuis le mois d’avril dernier il est conseiller politique d’Ennahdha, le parti islamique durement réprimé par le régime Ben Ali et vainqueur des élections pour l’Assemblée constituante du 23 octobre dernier. Conseiller personnel d’Hamadi Jebali, secrétaire général du parti, devenu Premier ministre, Fiaschi est bien plus qu’un simple entremetteur.
 
Son histoire personnelle,  riche en secrets et anecdotes et son pragmatisme font de lui un personnage décidément multifacette. Il quitte dans les années 90 sa ville de Prato pour la Tunisie, où il recherche des opportunités entrepreneuriales. “J’avais des contacts avec quelques entrepreneurs italiens dans le pays et j’ai créé avec ma femme une entreprise de passementerie”.
 
En mars 2011 il rencontre à Tunis Bobo Craxi**, qui lui demande de le mettre en contact avec Ennahdha. Il devient dès lors “l’intermédiaire entre le parti et l’Italie”. Son bureau personnel, contigu de celui de l’Archevêque, se trouve en plein centre de Tunis, à côté de la cathédrale Saint-Vincent de Paul. “Monseigneur Maroun Lahham*** est un vieil ami. La maison dans laquelle je vis est aussi propriété de l’Archidiocèse de Tunis”.
 
Fiaschi se définit comme “catholique apostolique” et contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’a jamais envisagé de se convertir à l’islam. Il est cependant persuadé que la religion musulmane et le christianisme ont de nombreux points communs. “L'Islam que j’ai connu en vivant en Tunisie ressemble beaucoup aux valeurs morales d’un petit village toscan de la seconde moitié du XXème siècle, comme celui où je suis né”.
 
Fiaschi voit aussi des parallélismes entre la Tunisie et l’Italie. “Ennahdha est comme al démocratie chrétienne des années 50, celle de De Gasperi et de Don Sturzo****. Ce n’est pas un mouvement religieux, mais un parti d’inspiration islamique et populaire. Il est modéré et pas idéologique.” Il rejette l’étiquette laïque. “Je préfère utiliser le mot neutre. Le laïcisme occidental n’a rien à voir avec eux.”
 
Fiaschi a été l’artisan de l’invitation du président d’Ennahdha Rachid Ghannouchi et d’Hamadi Jebali au meeting annuel de Comunione e Liberazione***** en août dernier à Rimini. “Ils m’ont demandé de trouver des contacts avec le monde politique italien. J’ai pensé qu’au lieu de faire la tournée des sept églises des divers partis, il valait mieux aller à Rimini.”
 
Fiaschi ne cache pas les rapports directs qu’il entretient avec le Vatican et, surtout, avec Comunione e Liberazione, mais il assure qu’il n’a pas d’intérêts politiques. “Ce pays est vraiment en train de vivre un moment historique. Et moi j’ai la chance de pouvoir y participer de l’intérieur. Avec la fonction que j’occupe, je peux représenter les intérêts des Italiens qui résident ici.” Les intérêts italiens en Tunisie sont avant tout économiques. “L’Italie doit devenir le premier partenaire commercial de la Tunisie, en supplantant la France. Ce sont nos voisins. Et Lampedusa est la synapse malade, le point névralgique d’un rapport de voisinage qui doit être repensé sur des bases différentes de ce qui a été fait jusqu’à présent. Comme le dit Ghannouchi, ce n’est pas nous qui choisissons la géographie, c’est elle qui nous impose des choix.”
 
NdT
 
* Un dhimmi (« allié » ou « protégé » en arabe) est, selon le droit musulman, un non-musulman appartenant aux « gens du livre » (Ahl al-kitâb) et ayant conclu avec les musulmans, un traité de reddition (dhimma) déterminant ses droits et devoirs. Moyennant l'acquittement d'un impôt de capitation (jizya), d'un impôt foncier (kharâj), d'une certaine incapacité juridique et du respect de certaines règles édictées dans un "pacte" conclu avec les autorités, les dhimmis se voient accorder une liberté de culte restreinte, une dispense de certaines obligations que les musulmans sont tenus de faire (comme l'aumône obligatoire, zakât ou servir dans l'armée) ainsi que la garantie de sécurité pour leur personne et pour leurs biens. En échange, certaines contraintes sont imposées, comme l'interdiction de construire de nouveaux lieux de culte ou l'interdiction du prosélytisme. (source : wikipedia)
** Bobo Craxi (né en 1964) a fondé une formation de centre-gauche, Les Socialistes, après avoir été porte-parole et député du Nouveau parti socialiste italien de 2001 à 2006. Sous-secrétaire d’Etat chargé des relations avec l’ONU dans le gouvernement de Romani Prodi de 2006 à 200. Son père Bettino Craxi, secrétaire du Parti socialiste italien, condamné à 27 ans de prison pour financement illicite de parti et corruption, s’était enfui en 1994 en Tunisie, où il est mort en 2000. Sa sœur Stefania est depuis 2001 députée de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, et a été sous-secrétaire d'État aux Affaires étrangères du quatrième gouvernement Berlusconi de 2008 à 2011.
*** Né en Jordanie, Maroun Lahham a été nommé évêque de Tunis en septembre 2005 par Benoît XVI, qui a élevé le diocèse de Tunis au rang d’archidiocèse en mai 2010. Mgr Lahham a été nommé évêque auxiliaire et vicaire du Patriarche latin de Jérusalem à Amman, en Jordanie en janvier 2012.
**** Alcide De Gasperi (1881-1954), fondateur de la Démocratie chrétienne après la deuxième guerre mondiale et président du Conseil de 1945 à 1953. Don Luigi Sturzo (1871-1959), prêtre sicilien et homme politique, participe en 1918 à la fondation du Parti populaire, précurseur de la Démocratie chrétienne. Exilé sous le fascisme à Londres puis à New York, il rentre en Italie en 1946 et participe en coulisses à la mise en place de la Démocratie chrétienne. Nommé sénateur à vie en 1952, son procès en béatification a été ouvert en 2002.
***** Comunione e Liberazione : mouvement catholique fondé en 1954 par Don Luigi Giussani, un prêtre lombard. Présent dans 87 pays, dont la France, avec 100 000 adhérents environ, dont la plupart en Italie. Depuis 1979, C&L organise chaque année à Rimini un festival politico-artistico-religieux baptisé "Meeting pour l'amitié entre les peuples" auquel tout le gratin politique italien se fait un devoir de participer. “Le mécanisme de la secte est devenu aujourd'hui toujours plus un mécanisme qui a emprunté à la politique, d'une part, et à la psychanalyse d'autre part, leurs propres armes. Il y a une manière politique de la religion que nous connaissons bien, un léninisme du groupe des croyants qui de temps en temps renaît en Italie — Communion et libération a été la chose la plus proche d'un groupe trotskiste que le catholicisme ait su inventer — avec sa bonne dose de règles endogamiques, sa propre dose de secrets et de règles connus seulement par les initiés” (Franco La Cecia, Repubblica).
 

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