vendredi 13 juillet 2012

L’histoire du détroit d’Ormuz : les choix de l’Iran

par  Soraya Sepahpour-Ulrich ثریا سپاه پور- اولریش. Traduit par  Michèle Mialane, édité par  Fausto Giudice, Tlaxcala 

On connaît le sage propos de George Santayana: « Ceux qui veulent oublier le passé se condamnent à le répéter ». En ne tirant pas les leçons de l’Histoire, les USA et leurs alliés renouvellent leur comportement des années 50 où ils ont imposé à l’Iran un embargo sur son pétrole. L’alliance emmenée par les USA a oublié l’Histoire.                        
L’Iran, non.
 
Lorsque l’Iran décida, sous la direction du nationaliste Mohammad Mossadegh, de nationaliser la l’industrie pétrolière, la Royal Navy instaura un blocus des exportations  de pétrole afin de le contraindre à y renoncer. Pour se venger des velléités nationalistes de l’Iran et le punir de servir ses propres intérêts, les Britanniques lancèrent un blocus mondial du pétrole iranien.
                 
Dans les années 50, l’Iran ne disposait pas d’une puissance militaire lui permettant de s’opposer à l’embargo, et le blocus maritime avait pour objectif de ruiner son économie pour renverser le régime. Les évènements qui s’ensuivirent étaient, selon  un article du New York Times, « destinés à faire comprendre le prix élevé » que doit payer un pays pétrolier du Tiers Monde « quand il perd la tête sous l’effet d’un nationalisme fanatique ». L’Iran apprit alors que la souveraineté et le nationalisme exigent force et décision au niveau politique et militaire.
 
Sans prendre en compte les conséquences des évènements de l’époque, les alliés occidentaux, emmenés par les USA, ont décrété un nouvel embargo contre l’Iran. L’Iran a répliqué par un projet de loi interdisant aux pays qui lui ont infligé des sanctions l’accès à  ses eaux territoriales, c’est à dire au détroit d’Ormuz. Ce projet n’est pas sans fondement et à la différence de ce qui s’est passé lors de l’embargo précédent, il semble que Téhéran ait les meilleures cartes en mains et puisse ne pas être le seul à payer  le prix élevé de l’embargo.
 
Strait of Don Quixote de la Hormuz, par Kaveh Adel
 
La position juridique de l’Iran
La convention de l’ONU de 1982 sur le droit de la mer (CNUDM)) prévoit que les bateaux sans intention belliqueuse peuvent exercer leur « droit de passage innocent », c’est-à-dire naviguer librement et que les États côtiers n’ont pas le droit de les en empêcher. L’Iran a signé mais pas ratifié ce traité, qui n’est pas donc juridiquement contraignant. Mais même si l’on néglige cet aspect, la CNUDM donne aux  États côtiers le droit d’interdire la navigation dans leurs eaux territoriales si celle-ci constitue une menace pour « la paix, l’ordre ou la sécurité » de ces États, car dans ce cas le passage de ces bateaux ne pourrait être considéré comme « innocent ».
Même si l’Iran se contente de décider de retarder le passage des tankers en exerçant son droit de contrôler tous les pétroliers qui empruntent le détroit d’Ormuz, les inspections et le retard qu’elles entraîneront contribueront à une hausse des prix du pétrole. Cette augmentation, qui profitera à l’Iran et aux autres pays producteurs de pétrole, déstabilisera encore plus l’économie européenne, déjà en crise. 
 


"Surveillance des plages", par 
Manos Symeonakis

L’option militaire 
Bien que les États occidentaux, emmenés par les USA, roulent des mécaniques, en envoyant des bateaux de guerre dans le golfe Arabo-persique, les propres jeux guerriers de Washington - le Challenge du Millénium de 2002, coût : 250 millions de dollars -, prouvent bien l’incapacité des USA à venir à bout de l’Iran. Oubliant les leçons de leur propre histoire, les États-Unis d’Amérique, en envoyant davantage de navires de guerre se rapprochent d’un conflit déclaré. Or, contrairement à la crise des missiles de Cuba,  les forces présentes dans le golfe Arabo-persique risquent, face à cette avancée de la marine de guerre  US, de ne pas se réduire à deux leaders à même d’entrer en communication pour éviter que la situation ne leur échappe.  Et de plus les conséquences de ce conflit potentiel ne se limiteraient pas à la région.
 
Si l’on considère que 17 millions de barils - soit 35% de tout le pétrole transporté par voie maritime - transitent chaque jour par le détroit d’Ormuz, des incidents sur cette voie auraient de très graves conséquences pour l’économie mondiale. 1,1 million de barils par jour seulement prennent le chemin des  USA, alors qu’une part importante de ce pétrole est destinée à l’Europe. On peut se demander pourquoi les États-Unis d’Amérique exigent que leurs alliés agissent à contresens de leurs propres intérêts, le boycott des exportations iraniennes les amenant à payer le pétrole plus cher; en outre ils accroissent le risque de voir l’Iran bloquer des cargaisons pétrolières qui leurs sont destinées.
 
Mais là aussi l’histoire nous fournit une réponse claire. Contrairement à l’opinion communément admise, ce sont les USA et non les pays exportateurs de pétrole qui ont utilisé le pétrole comme une arme. Un exemple en est la pression que Washington a exercée sur les Britanniques dans les années 20, pour l’amener à partager ses concessions pétrolières au Moyen-Orient avec des compagnies américaines. Et après la Deuxième guerre mondiale  les États-Unis d’Amérique ont enfreint le Red Line Agreement de 1928* en excluant les Britanniques et les Français du traité.
 
En 1956 les États-Unis d’Amérique ont bien fait comprendre au Royaume-Uni et à la France que les Européens n’auraient plus de pétrole s’ils ne se retiraient pas d’Égypte au plus vite. Les États-Unis d’Amérique n’avaient rien contre le renversement de Nasser, mais le Président Eisenhower déclara: « S’ils avaient fait vite, nous aurions été d’accord. »
 
Il est possible que les dirigeants européens se sentent engagés envers certains groupes de pression, par exemple les lobbys pro-israéliens, comme c’est le cas aux USA. Ou peut-être croient-ils que l’Iran ne les obligera pas à jouer cartes sur table, que le Majlis (parlement iranien) ne ratifiera pas le projet de loi et que le pétrole continuera à couler sans problème. Mais quoi qu’il en soit, ils commettent là un suicide financier qui aura sans doute pour eux de lourdes conséquences avant même que la détermination l’Iran soit ébranlée.
 
Note de Tlaxcala
*L’accord de la ligne rouge fut un accord signé par les partenaires de la compagnie pétrolière turco-irakienne Turkish Petroleum Company (TPC), le 31 juillet 1928. L’objectif de cet accord était de formaliser la structure de l’entreprise TPC et d’introduire une clause qui interdisait que les partenaires recherchent du pétrole pour leur propre compte, dans les grands territoires de l’ancien Empire ottoman.
Cet accord fut à l’origine de la création d’un monopole du pétrole d’immense influence, trois décennies avant la formation de l’OPEP.
La ligne rouge incluait le territoire de l’ancien Empire ottoman au Moyen-Orient, en incluant la péninsule arabe et la Turquie. Le Koweït, était exclu de cette zone, l’objectif étant d’en faire une zone anglaise réservée (wikipedia).
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire