mardi 21 août 2012

Allemagne : une modification de la Constitution qui ne dit pas son nom-Le juge Gaier fait de la résistance


par German-Foreign-Policy.com, 20/8/2102. Traduit par  Michèle Mialane, édité par  Fausto Giudice, Tlaxcala

Un Juge de la Cour constitutionnelle critique vivement la sentence qu’a rendue l’instance judiciaire suprême allemande relativement à l’engagement de la Bundeswehr à l’intérieur du pays. La décision du Tribunal constitutionnel fédéral d’autoriser l’emploi d’armes de guerre en cas de catastrophes naturelles ou d’accidents graves y compris sur le territoire de la République fédérale n’est « pas acceptable » selon le juriste Reinhard Gaier.

Reinhard Gaier
Comme il ne peut être désormais exclu que les forces armées deviennent « un instrument de politique intérieure », le Tribunal a enfreint un « principe fondamental » de la « chose publique » allemande. À terme les effets seront ceux d’une « modification de la constitution ». Selon ce juriste, cette décision du Tribunal constitutionnel fédéral met directement en question le principe de la Loi fondamentale (Constitution) qui « rejette le militarisme allemand, cause de la mort de millions de personnes au cours de deux guerres mondiales ».
Abandon de principes fondamentaux
Vendredi dernier, le Tribunal constitutionnel fédéral a publié sa sentence définitive relative à l’autorisation et aux limites des engagements de la Bundeswehr sur le territoire national. Le point de départ en était la « loi sur la sécurité aérienne » qui autorise les forces armées à abattre des avions transportant des passagers, s’ils étaient susceptibles de servir d’arme pour un attentat analogue à celui du 11 septembre. Le passage en question avait certes été annulé par les juges; mais la nouvelle sentence autorise la Bundeswehr à faire usage d’armes de guerre en cas de catastrophes naturelles et « d’accidents particulièrement graves ». Un seul juge constitutionnel sur quinza a déclaré qu’il n’approuvait pas cette décision: selon Reinhard Gaier, on assiste à « l’abandon de principes fondamentaux » (1)
Rejet du militarisme allemand
Selon ce juriste, cette décision de la plus haute instance judiciaire allemande enfreint le principe en vertu duquel « les forces armées ne doivent jamais être utilisées comme instrument de politique intérieure ». Avant de s’expliquer plus en détail, il rappelle à ses collègues qu’initialement la nouvelle Constitution allemande ne prévoyait pas de forces armées: « La Loi Fondamentale rejette le militarisme allemand, cause d’inimaginables horreurs et de la mort de millions de personnes au cours de deux guerres mondiales. En 1949 la Constitution de République fédérale allemande n’instituait pas d’armée; le retour de la Défense nationale en Allemagne en 1956 mérite parfaitement le nom de ‘tournant dans l’évolution de la République fédérale’ » .
Stricte séparation
Gaier compte au nombre des « conséquences constitutionnelles obligatoires » de « l’histoire particulière» de l’Allemagne la « séparation entre l’armée et la police ». C’est cette dernière et elle seule qui est compétente pour « assurer la sécurité intérieure », déclare le juriste : « Sa fonction est de parer aux dangers et la police doit disposer uniquement des armes adaptées et nécessaires pour y parvenir; en revanche les unités de combat et les forces armées visent à anéantir un adversaire, ce qui nécessite un armement spécifiquement militaire. Il faut une séparation stricte des deux tâches. » Celui qui enfreint ce principe « méconnaît le code génétique de ce pays » écrit Gaier. Certes le législateur a déjà « défini les présupposés pour l’intervention les forces armées dans la protection civile contre les catastrophes », mais ceux-ci « n’autorisent que des mesures de type policier et non des interventions de type militaire ».
La décision du tribunal annulle la disposition constitutionnelle de non-intervention de l'armée dans les affaires intérieures. Dessin d'Erl 
Une grande marge de manœuvre
Ce qui déplaît particulièrement au juge, c’est l’autorisation donnée par le Tribunal à la Bundeswehr d’intervenir sur le territoire national avec des armes de guerre pour parer à un évènement « d’une ampleur catastrophique » et « susceptible presque à coup sûr d’être imminent», et qui pourrait « en outre résulter de la volonté d’un tiers ». Le Tribunal constitutionnel fédéral « enrichit certes ainsi les modalités d’application du droit de nouvelles notions, qui manquent cependant de clarté et peuvent avoir des conséquences imprévisibles », écrit Gaier dans son « avis minoritaire » : « Nous avons affaire à des catégories tout à fait imprécises, qui échappent à peu près à tout contrôle juridique effectif, et laissent dans la pratique quotidienne une grande placeà des estimations subjectives, des interprétations toutes personnelles et des pronostics peu sûrs, pour ne pas dire hâtifs. » Et notamment en ce qui concerne l’intervention de forces armées sur le territoire national une telle façon de procéder n’est tout simplement « pas acceptable. »
La Constitution, une sacrée planche à percer ! Sur la perceuse, les noms des deux hommes qui ont déclenché l'affaire en 2007 : les politiciens démocrates-chrétiens Jung et Schäuble. Dessin de Stuttmann
À l’ombre des armes
Les formulations choisies par le Tribunal constitutionnel fédéral font entrevoir à Gaier le danger concret d’une utilisation de « l’intervention des forces armées sur le territoire national (...) dans le but d’intimider la population par leur simple présence , par exemple lors de manifestations ». Il pose une question rhétorique: « Comment par exemple empêcher, dans le cas de grandes manifestations antigouvernementales, comme il y en a eu entre autres en juin 2007 à l’occasion du sommet du G8 à Heiligendamm, que l’on puisse craindre que l’agressivité de quelques groupes isolés ne soit « susceptible presque à coup sûr d’entraîner de manière imminente» des violences considérables causant des «dommages catastrophiques » et donc recourir à l’intervention d’unités armées de la Bundeswehr? De toute évidence Gaier songe aux métaphores que nous ont apprises les dictatures militaires : « Il est difficile à la liberté d’opinion de prospérer à l’ombre d’un arsenal militaire.»
En-dehors de son domaine de compétences
En ultime instance la décision relative à l’engagement des forces armées sur le territoire national revient à « modifier la Constitution », estime le Juge Gaier, et à permettre précisément « ce qu’il a été impossible au gouvernement fédéral d’imposer il y a trois ans contre un partenaire de coalition et en dépit du vote au Bundesrat*. » Donc l’instance judiciaire suprême en Allemagne a clairement outrepassé ses compétences, note Gaier : En matière de législation « ce n’est ni la tâche ni du ressort du Tribunal constitutionnel fédéral d’apporter des corrections.»
Si les juges constitutionnels votent contre le Mécanisme européen de stabilité et le Pacte budgétaire, nous serons devant l'imminence d'une situation exceptionnelle de dimensions catastrophiques !  Bien fait pour eux! 
Dessin de 
Stuttmann
Troubles internes
Cette modification indirecte apportée, selon Gaier, à la Constitution, vient d’accorder à la Bundeswehr une légitimation de ses préparatifs, commencés depuis assez longtemps déjà, en vue d’opérations de guerre sur le territoire national. Tout récemment les forces armées allemandes ont mis sur pied des « unités de sécurisation et de soutien » pour « la protection d’installations » et la répression de « troubles internes. » Parallèlement des manœuvres d’entraînement à l’affrontement armé avec des combattants ennemis sur le « front intérieur » sont en cours : voir german-foreign-policy.com (2).
* Conseil fédéral de 69 membres représentant les Länder et nommés par leurs gouvernements. Equivalent d’un sénat [NdE]

(1) Sources et sources suivantes : Tribunal constitutionnel fédéral, 2 PBvU 1/11, 03.07.2012
(2) voir: Innerer NotstandBürgerkriegsmanöver etTerritoriale Reserve 

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