vendredi 28 septembre 2012

La pitrerie de Bibi en mondovision

Souvenez-vous: c'était le Le 5 février 2003, devant le Conseil de Sécurité de l'ONU. Colin Powell  projetait en mondivision sur grand écran les "preuves" sur l'existence d'armes de destruction massive en Irak. Preuves qui devaient s'avérer être des mensonges. Le bon général, après avoir demandé des explications à la CIA, qui l'aurait manipulé (sic...), a disparu des écrans du monde et sera rapidement oublié.

Comparez maintenant la performance de Powell, qui, au moins, avait de la gueule, avec la grotesque pitrerie de Bibi, qui a confondu l'Assemblée générale des Nations unies, censée représenter l'ensemble de l'espèce humaine, avec une salle de classe d'école maternelle sioniste. Illustration éclatante du mépris qu'ont les sionistes pour l'humanité.

Une telle pitrerie a de quoi rendre sympathique le petit Mahmoud, qui est vraiment d'un autre calibre.




jeudi 27 septembre 2012

Tunisie Transit - Rue Aïn Zaghouan : violée par les flics, intimidée par la justice



Dans la nuit du 3 au 4 septembre, aux alentours de minuit, la victime et son fiancé se trouvent dans leur voiture dans une situation normale et décente, contrairement aux déclarations très controversées du porte-parole du Ministère de l'Intérieur qui avait avancé que la victime et son compagnon étaient dans une situation indécente ou encore
immorale (traduction littérale) au moment des faits dans une rue de Aïn Zaghouan.

C'est alors qu'un véhicule civil s'approche d'eux. Trois hommes en descendent et procèdent directement à l'ouverture des portières de la voiture leur demandant de descendre et déclarant qu'ils font partie du corps policier rattaché au poste de police « Les Jardins de Carthage » situé à Aïn Zaghouan.

Tout de suite après, les policiers menottent le compagnon de la victime et emmènent cette dernière vers leur véhicule. Puis l'un des agents de l'ordre revient vers le fiancé, le fait remonter dans sa voiture et l'éloigne du lieu de l'arrestation en conduisant lui-même.
Entretemps, les deux autres policiers font monter la jeune femme dans leur véhicule et lui demandent ce qu'elle est en mesure de leur offrir. La jeune femme rétorque qu'elle dispose de 40 dinars et qu'elle est prête à leur donner l'argent. Les deux agents se moquent alors d'elle et l'informent qu'elle va leur offrir autre chose. La victime est alors placée sur la banquette arrière. Un agent la rejoint à l'arrière du véhicule tandis que l'autre reste au volant observant son collègue en train de procéder au viol. Ce dernier ordonne à la jeune femme de ne pas crier et de pleurer en silence. Une fois le viol terminé, les deux agents s'échangent les places et c'est au tour du second de procéder au deuxième viol.

Pendant que la victime se fait violer, le troisième agent qui avait éloigné le fiancé de la scène du viol interroge ce dernier. L'agent le menace de lui coller un procès pour adultère s'il ne lui file pas la somme de 300 dinars. Le fiancé de la victime rétorque alors qu'il ne possède pas la somme. L'agent lui propose de le conduire à un distributeur automatique de billets pour retirer l'argent, ce que le jeune homme accepte de faire. Cependant, ce dernier ne parvient pas à retirer la somme. Le policier lui retire alors sa carte d'identité et son permis de conduire et lui demande de ramener l'argent le lendemain pour pouvoir récupérer ses papiers. Il le reconduit ensuite au lieu de l'arrestation où stationne le véhicule des deux autres agents.

Lorsqu'il descend de la voiture, le compagnon de la victime voit que sa fiancée est encore à l'intérieur du véhicule des forces de l'ordre. Il tente alors d'agresser physiquement les deux policiers. Pour l'en empêcher, l'un des agents tente de faire usage de gaz paralysant mais le fiancé parvient à lui arracher le dispositif. A ce moment, les policiers négocient avec lui afin d'échanger le dispositif à gaz contre ses papiers et sa fiancée. Ce qui fut.

Une fois le couple remonté dans leur véhicule, la jeune femme raconte les faits à son compagnon qui décide de l'emmener à la clinique du Lac où elle est auscultée de suite. Le viol est médicalement avéré. La clinique contacte alors la police conformément à la procédure. La victime et son fiancé sont convoqués le 4 septembre 2012 au tribunal de première instance, 3ème étage, siège de la sous-direction de la prévention sociale (police judiciaire) où ils sont confrontés à leurs agresseurs. La victime et son fiancé sont gardés pendant 7 heures. Ils sont humiliés et subissent une forte pression afin de les obliger à abandonner la plainte. La victime, en raison du choc psychologique, décide d'abandonner les poursuites et un procès verbal est rédigé dans ce sens.
Une fois sortis du poste de police, la victime et son compagnon se dirigent directement chez un avocat et portent plainte auprès du Ministère Public.
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vendredi 21 septembre 2012

Les USA et les musulmans : ce que cache l'argument de la "liberté d'expression"

par Esam Al-Amin عصام الامين . Traduit par  Tafsut Aït Baamrane تفسوت أيت باعمران, Tlaxcala

Des milliers de musulmans en colère ont manifesté devant les ambassades et les consulats US en Égypte et en Libye contre un film sorti récemment [une manière de dire : le film a été mis en ligne en juillet dernier, NdT] qui insulte délibérément et falsifie de manière caricaturale la vie du prophète de l'islam. Les protestations se sont rapidement étendues au Yémen, en Tunisie, au Soudan, au Maroc, dans les Territoires palestiniens, en Irak, au Bangladesh, au Pakistan, en Iran et ailleurs. Profitant du chaos devant le consulat US à Benghazi, il semble que des affiliés d'Al Qaïda aient infiltré les manifestants, puis aient attaqué à coups de bombes incendiaires le bâtiment du consulat. Il est clair qu'il n'y avait pas la moindre justification pour de tels actes répréhensibles.
Malheureusement, plusieurs responsables US innocents, dont l'ambassadeur en Libye, sont morts dans les violences insensées qui ont suivi. Les experts estiment que cette violente attaque répondait à l'appel direct du chef d'Al Qaïda, Ayman Al Zawahiri, à venger le meurtre de son adjoint Abou Yahya Al Libi, tué par une attaque de drone US en juin dernier.
Pourtant, au fil des années le monde est fatigué d'assister aux mêmes scènes enflammées, jouées encore et encore. Des Versets sataniques de Salman Rushdie en 1989 et des caricatures danoises en 2005, au Coran brûlé par un pasteur zinzin en Floride en 2010 et à la sortie de ce film très choquant il ya quelques jours.
Selon les rapports les plus crédibles, ce film répugnant a été écrit, produit et réalisé par Nakoula Basseley Nakoula, un extrémiste antimusulman usaméricano-égyptien copte de 55 ans. Nakoula est un criminel condamné en Californie pour fraude bancaire à 21 mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende  de 790 000 $. Selon la presse, ce film à petit budget a été tourné l'année dernière avec 60 acteurs qui ont récemment publié une déclaration affirmant qu'on ne leur avait jamais dit que le film était sur le prophète Mahomet. Ils ont également soutenu que la plupart des dialogues offensants ont été ajoutés à leur insu après le tournage. Projeté en  juin dernier dans un cinéma de Hollywood, le film a fait un bide, passant totalement inaperçu. Le producteur a alors contacté un autre copte extrémiste usaméricano-égyptien, Morris Sadek, 70 ans, qui pendant des décennies a mené une campagne antimusulmane aux USA. Nakoula a demandé pour son aide pour la promotion et la distribution du film.
Selon l'Associated Press Sadek a alors contacté son ami, en, pasteur de Floride Terry Jones, tristement célèbre pour ses appels à brûler publiquement le Coran. Même si Jones a fait la promotion du film sur son site et a annoncé qu'il allait le projeter pour l'anniversaire du 11 septembre, et procéder à un simulacre de procès contre le prophète Mahomet, ses annonces ont attiré très peu  d'attention de la part du public ou des médias. Début septembre moins de 50 personnes avaient effectivement vu le trailer  de 14 minutes du film sur YouTube.
Sadek, qui a une longue liste d'adresses électroniques, dont celles de nombreux médias et journalistes égyptiens, a ensuite commencé à promouvoir la version arabe du trailer sur ses nombreux sites extrémistes et sa page Facebook. Ses efforts suscité l'intérêt de quelques journalistes égyptiens qui, dont donc couvert l'affaire en détail dans les médias locaux égyptiens. Quelques jours plus tard, le la chaîne de télévision satellitaire Al-Naas, pro-salafiste conservatrice,  a appelé à une manifestation devant l'ambassade US au Caire pour le 11 septembre. Apprenant cela, des groupes similaires en Libye ont également appelé à une manifestation de masse le même jour à Benghazi. Pendant ce temps, Al Azhar, haut lieu de l'autorité religieuse dans le monde sunnite, a condamné le film, mais a appelé à une réponse calme et mesurée.
Fait intéressant, le plus grand mouvement islamique dans les deux pays, les Frères musulmans, était absent de la scène en Égypte ainsi qu'en Libye. Mais le lendemain, le groupe a publié une déclaration de condamnation et a appelé à une marche pacifique d'un million de personnes pour le 14 septembre. Ce sur quoi des théologiens et des groupes religieux dans le monde musulman ont fait des déclarations fortes de condamnation et a appelé à de nouvelles manifestations pacifiques. L'Église copte au Caire ainsi que les dirigeants et les organisations coptes en Égypte et aux USA ont fermement condamné le film et a exprimé de graves préoccupations au sujet de ses effets sur les relations islamo-chrétiennes.
Dans l'espoir de verser plus d'huile sur le feu, Nakoula, le producteur du film infâme, a dupé leWashington Post et le Wall Street Journal dans deux entretiens séparés, concoctant une fable selon laquelle il était un USaméricano-israélien juif ayant collecté de l'"argent juif" [sic, NdT] pour produire le film. Mais son objectif d'offenser les sensibilités musulmanes avaient déjà été atteint. Faute de connaissance et de compréhension de ce contexte, les groupes musulmans, les théologiens et leurs disciples ont été facilement entraînés dans cette controverse. Ils ont accusé le gouvernement US de cautionner les attaques brutales contre leurs symboles religieux, notamment en raison de l'ampleur de l'islamophobie dans le pays et des mesures antimusulmanes,  sanctionnées par le gouvernement, qui ont été promues ces dix dernières années.

"Liberté de parole...sous conditions"
Toutefois, les fonctionnaires, chefs religieux et leaders d'opinion musulmans ont besoin de comprendre la nature et les limites des sociétés occidentales laïques et de leurs traditions démocratiques. Mais l'absence de tout dialogue significatif entre la politique et les leaders d'opinion US, d'une part, et les clercs et militants musulmans de l'autre, ainsi que le bagage historique de la politique antimusulmane usaméricaine dans la dernière décennie et la méfiance qui a suivi, rendent extrêmement difficile d'expliquer aux musulmans du monde entier que le gouvernement US non seulement n'a rien à voir avec la production et la promotion de ce film, mais aussi que de tels incidents sont contraires à ses principes et à ses intérêts.
Il y a essentiellement deux raisons principales au manque de confiance et de compréhension entre les deux parties. Tout d'abord, les USA n'impliquent pas sérieusement la communauté musulmane usaméricaine ou les mouvements islamiques dans le monde sur le plan politique ou culturel. Au contraire, ils traitent avec eux, en particulier au niveau national, à partir du prisme étroit de problèmes de sécurité. Ainsi, dans de nombreux cas, la communauté musulmane usaméricaine a été traitée comme quantité négligeable par les hommes politiques ou des institutions de la société civile.
Deuxièmement, de nombreux islamophobes ont pris un tel contrôle de l'espace public et des médias que les nominations ou l'inclusion de toute personnalité musulmane dans les institutions publiques gouvernementales ou autres sont devenus un combat, parfois avec des conséquences coûteuses. Le Parti républicain est devenu le parti associé en principe aux ratonneurs, tandis que pour le Parti démocrate l'inclusion [des musulmans, NdT] n'est restée qu'un vœu pieux vu qu'il a toujours peur d'être attaqué par la droite comme étant favorable à des «terroristes». Pendant ce temps, la communauté musulmane usaméricaine est aliéné et le stéréotype grossier de l'Amérique ennemie de l'islam est cimenté dans les cœurs et les esprits des musulmans à travers le monde.

"Musulmans pour la liberté de parole": T-shirt en vente aux USA
Les musulmans usaméricains sont donc un atout gâché. Probablement plus que la plupart, ils comprennent et apprécient la valeur de la liberté d'expression et du premier amendement [à la Constitution US, NdT] et pourraient jouer un rôle crucial en agissant comme un pont entre l'USAmérique et le reste du monde islamique, à condition qu'ils se sentent véritablement inclus dans le discours politique et d'être traités avec respect.
Après chaque incident de nombreux fonctionnaires et experts US affirment que la réaction  "irrationnelle" de milliers de musulmans à travers le monde "révèle" l'intolérance de leur religion à la liberté de parole et d'expression. Leur argument central a toujours été que l'islam est incompatible avec les valeurs démocratiques,  la liberté de croyance, de parole et d'expression étant au centre de ces valeurs. Leur objectif, bien sûr, est de donner de la crédibilité à la thèse du  «choc des civilisations»  et de maintenir l'islam et les musulmans sur une trajectoire de collision continue avec l'Occident.
Depuis la fin de la guerre froide, cette campagne pour remplacer le communisme par l'islam, et les Soviétiques par les musulmans a été incessante, même si au départ elle n'a pas très bien marché. Malheureusement, les attentats du 11 Septembre, ont fourni la justification, le contexte, et l'impulsion pour les tenants de la théorie du choc, qui ont depuis exercé une influence considérable sur de nombreuses agences gouvernementales et des hauts fonctionnaires quand ils ont adopté des mesures politiques, des stratégies et des tactiques diffusant  cette vision du monde. Une des conséquences de cette politique a été le ciblage de toutes les organisations et militants musulmans (même dans de nombreux cas, de simples individus ordinaires), aux USA et à l'étranger, et de les traiter comme des menaces potentielles, des suspects et ennemis de l'État jusqu'à preuve du contraire.
Sans aucun doute, les musulmans aux quatre coins du monde sont extrêmement sensibles aux représentations délibérément insultantes et offensantes  du prophète et livre saint de l'Islam. Pourtant, depuis des siècles des centaines de livres, d'articles, de discours et d'autres documents ont été produits, qui ont sévèrement critiqué et attaqué la religion, son fondateur, et les textes sacrés sans provoquer de colère, de peur ou de violence. À première vue, ces expressions outrageantes ne sont pas ce que les musulmans trouvent si répréhensible. La plupart des clercs musulmans sont disposés à engager un dialogue ou un débat civilisé sur la validité des grandes croyances, des dogmes, des interprétations islamiques ou des faits historiques.
Mais ce qui a rendu les incidents des deux dernières décennies différents est la nature de ces attaques. Il s'agissait de tentatives délibérées de fabriquer de toutes pièces la vie et l'histoire de la figure majeure de l'islam en caricaturant sa vie et en le dépeignant sous les traits les plus offensants : comme irrationnel, menteur, lâche, fou, sale, tueur, voleur, marchand d'esclaves, coureur de jupons, pédophile, déviant sexuel, tandis que ses femmes étaient dépeintes comme des ignorantes, des prostituées ou des esclaves sexuelles. Difficile de trouver un quelconque aspect positif dans ces productions. Mais ne vous y trompez pas, ces incidents n'ont pas l'intention d'en avoir. Leur seul but était d'aiguillonner et d'inciter à une riposte des musulmans, sachant qu'un nombre important d'entre eux vont se mettre en colère et réagir avec véhémence, parfois même violemment.
Mais pourquoi semble-t-il que la plupart des musulmans se mettent facilement en colère contre ces attaques scandaleuses contre leurs symboles religieux?
Les sociétés laïques occidentales affirment que la plus grande valeur dans leur culture est la préservation et la sécurité de la vie humaine. Elles font valoir que cette doctrine a préséance sur tous les autres aspects de la vie. Alors que dans la culture islamique, la préservation de la vie humaine est certes sacrée, mais est cependant précédée par la sauvegarde de son système de croyance, à commencer par l'honneur de son prophète et de son texte sacré. En d'autres termes, la plupart des musulmans croient que la violence délibérée et la calomnie de leur prophète ou de leur livre saint est la forme suprême de violation de leurs droits humains. Néanmoins, les plus authentiques autorités religieuses islamiques ne cautionnent ni ne justifient aucune forme de violence dans l'expression d'une telle colère ou indignation légitime. Il est clair que dans un monde multiculturel, le maintien de la paix et de l'harmonie entre les communautés et les cultures exige que les gens comprennent et respectent, sans nécessairement l'accepter, le système de valeurs d'autres cultures, tant que celles-ci ne sont pas directement en contradiction avec leurs propres valeurs et principes les plus fondamentaux.
Alors, quand quelqu'un est pleinement conscient du système de valeurs de l'autre et sait quelles questions brûlantes sont susceptibles de générer une vague d'indignation, de tels actes délibérés devraient être désignés comme ce qu'ils sont réellement: la plus haute forme d'incitation à la haine.
Mais comment les USA peuvent-ils concilier la liberté de parole et des expressions artistiques qui incitent à détruire les relations humaines, sans violer leur principe le plus cher?
Une des limites à  la loi constitutionnelle US sur la liberté d'expression telle que protégée par le premier amendement est la doctrine des "appels à la violence" ou "propos incendiaires" ("fighting words"). Dans une affaire célèbre jugée en 1942, la Cour suprême a estimé à l'unanimité que "les propos injurieux ou incendiaires sont ceux qui, par leur énoncé même, infligent des blessures ou tendent à inciter une rupture immédiate de la paix". L'application d'un tel principe peut facilement conduire à l'équilibre nécessaire entre l'inviolabilité du principe de la liberté d'expression et l'exception restreinte où de tels discours provoquent une blessure massive susceptible de briser l'harmonie et la paix au sein de communautés, de cultures et de pays.
Mais qu'en est-il de la pratique de la liberté d'expression en Occident?
Les gouvernements occidentaux et les institutions de la société civile affirment que la liberté de parole, d'expression et d'association est la pierre angulaire du maintien de leur caractère démocratique. Chaque fois que quelqu'un cherche délibérément à enflammer la susceptibilité des musulmans à l'égard de leur prophète ou de leur livre saint, la liberté d'expression est invoquée pour défendre la cause du tumulte et rejeter ses effets comme une réaction irrationnelle. Ceci dit, la violence ne peut en aucun cas être une réponse acceptable à une attaque, si malveillante et épouvantable soit-elle.
Mais sur un plan plus fondamental, l'Occident croit-il vraiment en la liberté d'expression ou ne pratique-t-il pas le deux poids deux mesures quand il s'agit de sensibilités musulmanes? Vérifions.
Dans le secteur privé, lorsqu'il a été demandé à Google a demandé de retirer la vidéo YouTube hautement  inflammatoire, l'entreprise  a immédiatement et de manière correcte rappelé sa politique établie de longue date de soutien à la liberté d'expression, y compris de tout discours méprisé (même si elle a accepté à contrecœur de suspendre sa diffusion en Égypte et en Libye.) Mais comme la Jewish Press  l'a rapporté le 1er août, Google n'a eu aucun problème à supprimer 1 710 vidéos et à fermer les comptes affiliés parce que  "Un nombre important de ces vidéos concernaient la négation de l'Holocauste et la défense de négateurs de l'Holocauste".  Selon le journal, Google "a fermé la compte de l'utilisateur dans les 24 heures" suivant la réception de la plainte déposée par un groupe qui surveille l'antisémitisme en Australie.
En juillet 2011, Facebook a été contraint par les autorités israéliennes à  fermer les comptes de nombreux militants pour la Palestine. Israël s'est plaint que ces militants étaient en train de coordonner leurs plans de voyage en Israël pour y causer des perturbations. En réalité, les militants essayaient de diffuser une déclaration politique forte en ligne. Inutile de dire que le gouvernement israélien aurait pu facilement annuler les visas qu'il aurait délivré à ces militants ou les empêcher d'entrer dans le pays s'ils avaient effectivement entrepris le voyage. Il n'y avait pas d'appel à la violence de la part des militants pour justifier la fermeture de leurs comptes.
Les gens aux USA ne sont peut-être pas au courant de ces incidents où des discours de haine ou mal vus ont été censurés. Mais beaucoup de gens dans le monde musulman sont au courant de ces interventions qui vont à l'encontre des principes énoncés. Is sont en droit de se demander comment, si les étrangers comme le procureur général d'Israël ou un groupe de surveillance australien peuvent obtenir de Google ou Facebook de supprimer des vidéos ou des comptes, on peut affirmer que le président  ou le secrétaire d'État US ne peut pas faire des demandes similaires? Ils rappellent également qu'en 2009, la Secrétaire Clinton est intervenue de tout son poids pour peser sur les dirigeants de Facebook et Twitter au nom des militants du "mouvement vert" en Iran. Ce n'est pas un argument pour préconiser la fermeture de comptes ou le retrait de vidéos, mais simplement pour illustrer l'hypocrisie et le deux poids deux mesures pratiqué par des fonctionnaires et des conglomérats d'entreprises lorsqu'il s'agit de préoccupations de musulmans.
En outre, de nombreux pays européens ont promulgué des lois dans les trois dernières décennies qui criminalisent tout discours ou écrit remettant en cause la version officielle de l'Holocauste. En 1995, le philosophe français Roger Garaudy a publié son livre Les mythes fondateurs de la politique israélienne. Il a alors été accusé de négation de l'Holocauste et, par conséquent, le gouvernement français l'a fait inculper, et peu de temps après, les tribunaux ont interdit toute nouvelle publication de l'ouvrage. En 1998, Garaudy a été reconnu coupable, condamné à une peine de prison avec sursis de plusieurs années et à une amende de 240 000 francs.
En 2005, l'écrivain anglais David Irving a été arrêté en Autriche sur un mandat d'arrêt émis en 1989 pour négation de l'Holocauste. Il a été reconnu coupable de "banaliser, grossièrement minimiser et nier l'Holocauste", et condamné à trois ans d'emprisonnement.
Par ailleurs, le Britannique musulman Ahmed Faraz a été condamné en décembre 2011 à trois ans de prison à Londres après avoir été reconnu coupable de "diffusion d'un certain nombre de livres considérés comme publications terroristes." La publication que Faraz a été reconnu coupable de vendre dans sa librairie était le livre de 1964  Milestones [Ma'alim fi tarîq (Jalons sur la route), NdT], écrit par le défunt auteur égyptien Sayyid Qutb.
Mais le bilan récent du gouvernement US est beaucoup plus alarmant. En fait, depuis le 11 Septembre, des sentences draconiennes ont été prononcées sur des activités traditionnellement considérée comme relevant du premier amendement.
En 2004, deux opérateurs de télévision par satellite, Javed Iqbal (un résident de New York de plus de 25 ans) et Saleh Elahwal, ont été accusés par les procureurs fédéraux de "fournir un soutien matériel à une organisation terroriste étrangère" pour la diffusion à des clients US de la chaîne satellitaire du Hezbollah, Al Manar. Le FBI a également perquisitionné l' entreprise et la maison d' Iqbal "sur des soupçons de détention d' antennes paraboliques". En 2008, Iqbal a été reconnu coupable et condamné à 69 mois de prison.
Dans de nombreuses poursuites pénales après le 11 Septembre,  des musulmans ont été reconnus coupables et condamnés à des peines allant jusqu'à la détention perpétuelle pour avoir exprimé leurs opinions politiques, émis des fatwas (avis religieux), nourri des enfants, fourni du matériel éducatif, traduit des documents, téléchargé des vidéos sur des sites ouèbe ou chanté dans un groupe musical.
Dans un cas impliquant Tarek Mehanna, né aux USA, le professeur de Yale Andrew F. Mars a écrit dans le New York Times :"En tant que politologue spécialiste du droit et de la guerre islamique [sic, NdT], j'ai souvent lu, stocké, partager et traduit des textes et des vidéos de groupes djihadistes . En tant que philosophe politique, je débats sur le problème éthique de la mort donnée. En tant que citoyen, je tiens à exprimer vis-à-vis d' autres citoyens des vues, pensées et émotions sur le fait de tuer. En tant qu'être humain, il m'arrive de ressentir de la joie (j'ai honte de l'admettre) face à la souffrance de certains humains et de la colère face à la souffrance d'autres". Il poursuivait : "Au procès de M. Mehanna, j'ai vu comment ces mêmes actions peuvent constituer crimes fédéraux, parce que la condamnation de M. Mehanna a été basée en grande partie sur ce qu'il a dit, écrit et traduit".
Le Premier Amendement à la Constitution des USA fait partie des dix amendements ratifiés en 1791 et connus collectivement comme la Déclaration des Droits (Bill of Rights). Il stipule : « Le Congrès ne fera aucune loi pour conférer un statut institutionnel à une religion, (aucune loi) qui interdise le libre exercice d'une religion, (aucune loi) qui restreigne la liberté d'expression, ni la liberté de la presse, ni le droit des citoyens de se réunir pacifiquement et d'adresser à l'État des pétitions pour obtenir réparation de torts subis (sans risque de punition ou de représailles) »[Note de Tlaxcala]
Ce que ces exemples et bien d'autres illustrent, c'est que la protection des libertés constitutionnelles de parole, d'expression et d'association est pratiquée de façon sélective aux USA sur la base de jugements politiques. Les responsables US, des intellectuels médiatiques et les faiseurs d'opinion se délectent en invoquant le premier amendement comme un principe inviolable quand  l'Islam ou ses symboles sacrés sont attaqués, pour ensuite trouver des rationalisations et des échappatoires juridiques lorsque des musulmans usaméricains pratiquent la liberté d'expression  de manière jugée répréhensible. Cependant, ce deux poids deux mesures n'échappe pas à la majorité des gens dans le monde musulman et à travers le globe.
Les critères pour juger si une société valorise et respecte la liberté d'expression, c'est quand ses membres les plus vulnérables, ceux qui pourraient être la cible de la majorité, se sentent en sécurité et libres de dire ce qu'ils pensent quand ils veulent sur n'importe quel sujet sans crainte, sans être intimidés et sans subir des répercussions négatives. En d'autres termes, pour savoir si aujourd'hui l'USAmérique honore la liberté d'expression, il faut poser la question à cent activistes musulmans usaméricains pris au hasard pour obtenir la bonne réponse.
En un mot, l'USAmérique n'aura de crédibilité en tant que champion et gardien de la liberté de parole et d'expression que quand les pensées, les discours, les écrits, les fatwas, les traductions, la poésie, et la navigation sur le ouèbe des Mehanna et de leurs semblables ne seront pas criminalisés. Seulement alors, quand ils seront remis en liberté, elle pourra regagner ce titre de gloire.

jeudi 20 septembre 2012

mercredi 19 septembre 2012

Lettre ouverte à Charlie Hebdo : Charb, je vous défie !


par Olfa Riahi, Tunis
Monsieur,
Je me permets de vous écrire aujourd’hui en réaction à l’annonce qui se répand à une vitesse exponentielle sur les médias français mais aussi sur la toile depuis quelques heures ; celle des caricatures de « Mahomet » qui paraîtront dans votre numéro de demain – et j’emploie ici le nom propre français désignant le prophète de l’Islam Mohamed, en me disant que cela vous rendrait peut-être un peu plus sensible à mes propos si je m’exprimais dans le respect de vos traditions écrites et orales, espoirs qui demeurent cependant très modestes.

J’ai eu l’occasion d’échanger avec Charlie Hebdo il y a quelques mois. Je ne me rappelle plus si c’était vous que j’avais eu au bout du fil à l’époque ou s’il s’agissait de l’un de vos collaborateurs – le détail étant tellement insignifiant que je ne m’étais pas sentie contrainte de le retenir. Je me suis tout de même tenue de retenir les circonstances de notre échange. Je venais à l’époque d’enquêter au sujet de deux jeunes Tunisiens qui avaient écopé de sept ans et demi de prison pour avoir publié des caricatures du Prophète sur la toile. L’un d’eux était en cavale en Europe – il a pu depuis obtenir le statut de protection subsidiaire en Roumanie – le deuxième était en prison et y est encore aujourd’hui. Deux jeunes de 28 ans qui ont vu leur vie voler en éclats à cause d’une caricature. Vous m’aviez donc appelée après cette enquête qui avait fait beaucoup de bruit en Tunisie mais aussi dans le monde pour me demander de vous fournir ces fameuses caricatures car je ne les avais pas jointes à mon enquête. J’avais alors refusé de vous les fournir et ai gentiment tenté de vous expliquer pourquoi je ne les avais pas publiées. Je me rends compte aujourd’hui que j’ai perdu mon temps à tenter de vous l’expliquer.
Si je me « permets » de vous écrire aujourd’hui, c’est tout d’abord pour vous montrer comme on peut manifester son mépris sans violence aucune, mais c’est également pour vous prouver qu’il existe dans le monde des arabes, que vous semblez tant chérir, pour répondre à vos provocations dans le respect de vos traditions « droit-de-l’hommistes » et de votre culture de liberté, d’ouverture, et de tolérance – et j’ose espérer que vous n’êtes pas passé à côté de mon sarcasme.
Mais avant de vous défier, car c’est surtout pour vous défier que je vous écris ce soir, j’aimerais souligner un détail qui à mon sens n’est pas des moindres. Le ton que j’ai pris dans mes précédents paragraphes pourrait vous suggérer que je sois musulmane. Détrompez-vous. Nous considérerons vous et moi que je sois déiste et que ma religion ne repose que sur mon expérience individuelle et ma réflexion. J’ose espérer qu’une fois ce détail souligné vous pourrez considérer mes propos comme émanant d’un être humain normalement constitué, sain d’esprit, équilibré, libéré de toute névrose ou démence que lui incomberait quelconque dogme religieux – rassurez-moi, vous n’êtes pas passé à côté de mon sarcasme ?

Il y a de cela à peine une semaine, quelques malades aveuglés par la haine – et qui vous ont malheureusement volé la vedette avec leur navet « L’innocence des Musulmans », vous m’en voyez sincèrement désolée pour vous – mettaient le feu et semaient la mort et la terreur dans une région encore si instable et si fragile, où les mères n’ont pas encore fini de pleurer leurs enfants, martyrs d’un combat acharné contre la tyrannie, et où des jeunes, blessés des soulèvements contre la dictature, perdent encore bras et jambes à cause de leurs plaies non soignées. Dans mon pays, cette Tunisie que vous, amis Français, chérissez tant et depuis si longtemps – on ne va tout de même pas croire à la mauvaise publicité –, dans mon pays, quatre tunisiens sont morts depuis vendredi dernier suite aux protestations qui se voulaient pacifistes aux alentours de l’Ambassade des Etats-Unis. Des protestations qui ont dégénéré sans que l’on puisse comprendre encore aujourd’hui les causes qui ont fait que cela dégénère.
Mais il n’y a pas qu’en Tunisie que cela a dégénéré. Chez nos voisins, quatre américains sont morts, plusieurs gardes libyens aussi – même si les médias n’ont pas jugé important de le souligner. Et malgré le mépris que je voue à la politique américaine, je ne peux qu’être attristée par toutes ces pertes humaines, car moi Monsieur, je suis humaniste. Contrairement à vous et à vos croyances d’illuminé, je réalise toute l’ampleur et toutes les répercussions que peuvent avoir des évènements pareils sur l’avenir de mon pays, de la région mais aussi sur l’avenir du monde.
Les traces des dégâts des protestations des derniers jours n’ont pas encore disparu. Vous les voyez sur vos écrans et à la Une de vos journaux, moi je les vois tous les jours en me rendant à mon travail, car non je n’ai pas votre Chance, celle d’être née en France, Terre de Liberté, d’Egalité et de Fraternité. Cette France si connue par ses lois en faveur de la liberté d’expression. Il m’arrive par moment de m’égarer et d’en oublier la portée et la noblesse mais il me suffit de revoir les derniers spectacles de Dieudonné pour me le rappeler.
D’ailleurs, en parlant de Dieudonné, je ne me rappelle pas avoir été mise au courant d’une quelconque polémique suscitée par votre honorable et si courageux journal lorsque l’artiste – très admiré en terres arabes au cas où vous l’ignoriez – a été condamné pour « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale ou religieuse », vous qui chérissez tant la liberté d’expression. Je me rappelle par contre que sa présence au procès intenté contre vous en 2007 n’avait pas plu à vos journalistes. Pourtant, il y était pour la cause que vous défendez.
Je vous défie Charb, je vous défie de publier à votre « Une » quelconque caricature remettant en question l’holocauste. Appelons-la plutôt «Shoah» par respect aux traditions écrites et orales. Je vous défie Charb et vous demande d’être encore plus courageux et plus illuminé que vous ne l’êtes déjà. Je vous pousse à défier ces lois françaises qui n’ont jamais été contre la liberté d’expression. Je vous implore d’enfreindre le décret n°2003-1164 du 8 décembre 2003, la loi n°2004.204 du 9 mars 2004. Je vous pousse à aller plus loin encore et à publier la caricature sur le net défiant la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004. Montrez-nous et montrez-leur comment se conduisent les nobles chevaliers de l’émancipation et de la lumière. Vous pouvez aussi proposer à Günter Grass d’être votre rédacteur en chef rien que pour un seul numéro. Un prix Nobel comme lui, cela vous fera certainement de la publicité.
Et ne vous méprenez pas Charb, je ne vous demande pas de faire dans le négationnisme, car cela pourrait vous coûter bien cher et je ne vous veux aucun mal. Je vous demande juste d’avancer d’autres thèses et de mettre en exergue d’autres versions de l’Histoire, comme cette version où l’on raconte qu’Hitler se serait fait aider par des juifs pour perpétrer ses crimes contre les juifs mêmes. Parlez au monde de ce pacte signé entre la Fédération Sioniste d’Allemagne et Hitler, six mois après l’arrivée de ce dernier au pouvoir. Parlez-leur de l’accord Haavara. Juste une petite caricature pour le plaisir de vous exprimer librement, Charb.
Ah Charb ! Si seulement vous pouviez savoir ce que cela coûte à l’humanité de compter des êtres vils et infâmes comme vous. Si vous saviez tout le mépris que de nobles âmes vous vouent, et ce ne sont même pas des musulmans rigoristes. Pendant que des jeunes et des moins jeunes se battent et luttent contre la bipolarisation, l’instrumentalisation et les diversions, pendant que des peuples qui ont donné de leur sang et de leurs larmes pour vivre ne serait-ce que le rêve d’un monde meilleur, pendant que des intellectuels marginalisés tentent de faire la lumière sur nos ressources naturelles pillées, pendant que des esprits libres tentent de trouver une alternative économique à un système qui saccage l’humanité, pendant que des penseurs s’exposent à tous les dangers et à tous les dénigrements tentant de répandre la paix et l’apaisement, pendant que les peuples arabes et africains se battent pour un monde vraiment juste et libre, loin des clivages et des clichés, pendant ce temps, des êtres comme vous, Charb, s’amusent à attiser le feu.
Il paraît tout de même que la pyromanie se soigne. Je vous souhaite donc un prompt rétablissement même si mes espoirs demeurent encore une fois modestes.
Avec mon mépris le plus sincère.
Olfa Riahi

lundi 10 septembre 2012

Popu...quoi ?


"L'Europa e' minacciata dai populismi (...)  C'e' il rischio che all'interno dell'Unione Europea, mentre la costruzione dell'Europa si perfeziona, le difficolta' dell'Eurozona facciano emergere una grande, crescente, pericolosa sensibilita' nelle opinioni pubbliche dei vari paesi con tendenze all'antagonismo".
Mario Monti, 9 settembre 2012

“L’Europe est menacée par les populismes (...) Il y a un danger qu’à l’intérieur de l’Union européenne, alors que la construction de l’Europe se perfectionne, les difficultés de l’Eurozone fassent émerger dans les opinions publiques des divers pays une grande sensibilité, croissante et dangereuse, avec des tendances à l’antagonismeˮ.
Mario Monti, 9 septembre 2012

L'antagonisme est une idéologie philosophique moderne selon laquelle une certaine proportion minoritaire de la population ressent toujours le besoin de devoir critiquer la pensée générale ambiante d’une masse précise quitte à ne pas nécessairement exprimer ses propres idées et ce pour le bien collectif. Ces gens sont nommés des antagonistes.ˮ Sic ! (wikipedia)

mercredi 5 septembre 2012

La destruction des biens communs ou Comment la Magna Carta est devenue une Minor Carta

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Portrait au crochet de Noam Chomsky
par Emily et Matt Fitzpatrick

par Noam Chomsky .Traduit par  Najib Aloui نجيب علوي, édité par  Fausto Giudice فاوستو جيوديشي
Original:
 
Destroying the Commons: How the Magna Carta Became a Minor Carta 
Traductions disponibles : Español


 Cet article est une adaptation d’une intervention faite par Noam Chomsky le 19 juin dernier à la célébration du 600ème anniversaire de l’Université de St. Andrews in Fife, en Écosse Vidéo de l'intervention

Quelques générations seulement nous séparent du millénaire de la Magna Carta (1215), un grand évènement dans l’établissement des droits civils et humains. Sera-t-il célébré,  pleuré ou simplement oublié ? La réponse n’est pas sûre.      
Nous avons là un enjeu important et immédiat. De ce que nous ferons ou négligerons de faire en ce moment même  dépendra le genre de monde qui accueillera cet évènement. Et ce n’est pas un monde bien réjouissant qui se profile si les  tendances actuelles se confirment, notamment parce que  la Grande Charte est en train d’être déchiquetée sous nos yeux.
La première édition savante de la Magna Carta a été publiée par l’éminent juriste William Blackstone. Ce ne fut pas une tâche aisée : aucune bonne version du texte  n’était disponible. Comme il l’écrivit, «  le corps de la charte a malheureusement été rongé par les rats », et ces mots résonnent aujourd’hui comme un symbole sinistre, alors qu’on est attelés à achever la tâche laissée inachevée par les rats.
Fac-similé de la Charte de la Forêt
L’édition de Blackstone contenait en fait deux chartes. Elle avait pour titre la Grande Charte et la Charte de la Forêt. La première, la Charte des Libertés, est largement reconnue comme étant la base des droits fondamentaux des peuples de langue anglaise— ou,  comme la décrivit Winston Churchill  en lui donnant une bien plus grande étendue, « la charte de tout homme qui se respecte en tout temps et en tout lieu ».  Churchill faisait spécialement référence à la confirmation de la Charte par le Parlement dans la Pétition des Droits qui implorait le Roi Charles de reconnaître que c’était la loi et non le roi qui était souveraine. Charles donna son consentement pour une brève période mais ne tarda pas à violer son engagement, ouvrant la voie à la meurtrière Guerre Civile.  
Le procès de Sir Henry Vane le Jeune, décapité pour haute trahison le 14 juin 1662
Après une lutte sans merci entre le roi et le parlement, le pouvoir de la monarchie personnifié par le Roi Charles fut restauré. Dans la défaite, la Magna Carta ne fut pas oubliée. Un des dirigeants du Parlement, Henry Vane, fut décapité. Sur l’échafaud, il tenta de lire un discours dénonçant la sentence le condamnant comme une violation de la Magna Carta mais
 sa voix fut étouffée par le son des trompettes, afin d’éviter que ses propos scandaleux soient entendus par
la foule en liesse. Son crime majeur avait été d’avoir rédigé une pétition qui déclarait le peuple “source de tout pouvoir juste” dans la société civile, à l’exclusion du Roi et même de Dieu. Telle fut aussi  la position ardemment défendue par Roger Williams, le fondateur de la première société libre dans ce qui est maintenant l’Etat du Rhode Island. Ses vues hérétiques influencèrent Milton et Locke , quoique William fût allé bien plus loin en fondant la doctrine moderne de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, une conception encore contestée même dans les démocraties libérales.   
Comme cela arrive souvent, un évènement qui ressemblait à une défaite ouvrit de fait la voie à une avancée dans la lutte pour la liberté et les droits. Peu de temps après l’exécution de Vane, le Roi Charles accorda aux plantations du Rhode Island une Charte Royale qui stipulait que  « la forme du gouvernement est démocratique ». Par ailleurs, elle affirmait la liberté de conscience pour les papistes, les athées, les juifs , les Turcs et même les Quakers, l’une des sectes les plus redoutées et réprimées en cette époque de troubles. Ces choses ont de quoi nous étonner quand on considère l’esprit de l’époque.
Quelques années plus tard, la Charte des Libertés fut enrichie par l’Acte d’Habeas Corpus de 1679 dont le titre officiel était “ Un acte pour mieux assurer  la liberté du sujet et prévenir l’emprisonnement outre-mer”. La constitution US, empruntant au droit coutumier anglais, affirme que « l’ordonnance d’habeas corpus ne peut être suspendue » sauf en cas de rébellion ou d’invasion. Dans une décision unanime, la Cour Suprême US affirma que les droits garantis par cet Acte étaient “considérés par les Fondateurs (de la République Américaine) comme le garant suprême de la sauvegarde de la liberté”.  Tous ces mots méritent d’être médités aujourd’hui.
La seconde Charte et les biens communs
Le sens de la charte jumelle, la Charte de la Forêt, n’est pas moins profond. On peut même dire qu’elle a une portée plus actuelle comme l’a montré en profondeur Peter Linebaugh dans son histoire richement documentée de la Magna Carta,et de sa trajectoire plus récente. La Charte de la Forêt portait la revendication essentielle que les commons (les biens communs) soient protégés des pouvoirs extérieurs. Les commons étaient la source de subsistance de la plus grande partie de la population, car ils fournissaient à celle-ci son bois de chauffage, sa nourriture, ses matériaux de construction et tout ce qui était nécessaire à la vie. La forêt n’était pas une contrée sauvage mais un bien qui avait été soigneusement entretenu en commun pendant des générations, offrant  ses richesses à tous et préservé pour les générations futures - une pratique que l’on retrouve aujourd’hui avant tout dans les sociétés traditionnelles, menacées à travers le monde.
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Robin Hood, gravure sur bois, 1508
La Charte de La Forêt imposait des limites à la privatisation. L’esprit qui l’anime est bien exprimé par le mythe de Robin des Bois. A cet égard,  il n’est pas étonnant que la série télévisée des années 50, Les Aventures de Robin des Bois ait été écrite anonymement par des scénaristes de Hollywood  portés sur la liste noire pour leurs convictions de gauche. Mais au 17ème siècle,  la Charte était déjà victime de la montée de l’économie marchande ainsi que  de la moralité et des pratiques capitalistes.  
Avec la levée de la protection des biens communs, ces biens qui étaient une source de subsistance pour tous, gérée et utilisée collectivement, les droits des gens ordinaires furent restreints à ce qui ne pouvait être privatisé, une catégorie de richesses qui ne cesse de se réduire pour tendre vers le néant. En Bolivie, la tentative de privatisation de l’eau a été en dernier ressort tenue en échec par un  soulèvement qui a porté la population indigène au pouvoir pour la première fois dans l’histoire. La Banque mondiale vient de statuer en faveur des poursuites engagées par la compagnie minière multinationale Pacific Rim contre le Salvador qui tente de préserver des terres et les communautés qui y vivent de l’extraction de l’or, une activité minière hautement dévastatrice de l’environnement. Les contraintes environnementales menacent de priver l’entreprise de profits futurs. C’est là un crime qui peut être puni selon le régime des droits des investisseurs, le mal nommé«  libre-échange ». Et nous n’avons là qu’un petit aperçu des luttes menées un peu partout dans le monde, luttes souvent sanglantes comme dans l’Est du Congo, où des millions de gens ont été tués durant ces dernières années afin d’assurer un ample approvisionnement en minerai destiné aux téléphones cellulaires et autres produits [le coltane, NdE] et, bien sûr, pour assurer les gros profits l’accompagnant.
La montée de la moralité et des pratiques capitalistes fut accompagnée d’une révision radicale, non seulement de la façon dont les biens communs sont traités mais aussi de la façon dont ils sont conçus. La conception qui domine actuellement  est bien condensée  dans l’argumentaire célèbre de Garret Hardin qui soutient que « la liberté s’exerçant sur un bien commun  apporte la ruine à tous ». C’est la fameuse « tragédie des biens communs » qui édicte que ce qui n’appartient à personne finit par être détruit par la cupidité des individus.
Sur le plan international, cette conception s’est traduite dans le concept de la terra nullius utilisé pour justifier l’expulsion des populations indigènes dans les sociétés de colonisation de peuplement de la sphère anglophone, voire leur « extermination », terme que les Pères Fondateurs de la République Américaine utilisaient pour décrire ce qu’ils faisaient, parfois avec des remords après coup. Selon cette doctrine très utile, les Amérindiens n’avaient pas de droits de propriété étant donné qu’ils se contentaient d’errer sur cette terre sauvage. Et, bien sûr, ces braves colons durs à la tâche étaient capables de créer de la valeur là où il n’y en avait pas en faisant un usage commercial de  ces contrées perdues.
En fait, les colons étaient bien plus avisés puisqu’il y avait des procédures complexes d’achat et de ratification par la Couronne et le Parlement, plus tard annulées par la force quand les méchantes créatures résistaient à l’extermination. La doctrine de la terra nullius est souvent attribuée à John Locke mais il est permis d’en douter, car John Locke, en tant qu’administrateur colonial savait de quoi il parlait, comme l’ont amplement montré les recherches contemporaines, notamment celle de l’Australien Paul Corcoran. (Notons ici que  c’est en Australie que la doctrine a connu sa mise en œuvre la plus brutale).
Les sombres prévisions de la tragédie des biens communs ne vont pas sans contestation.  Feue Elinor Olstrom a obtenu le Prix Nobel d’Economie pour ses travaux montrant la supériorité de la gestion directe par les usagers des ressources halieutiques, des pâturages, des forêts, des lacs et des nappes aquifères. Mais la doctrine conventionnelle garde sa force si nous acceptons sa prémisse sous-jacente que les êtres humains sont aveuglément conduits par ce que les ouvriers américains, non sans amertume, appelaient à l’aube de la révolution industrielle « Le Nouvel Esprit de l’Epoque : Enrichissez-vous et ne vous souciez de rien d’autre que de Vous- Mêmes ».
Comme les paysans et les ouvriers anglais avant eux, les ouvriers américains dénonçaient ce Nouvel Esprit auquel on les soumettait, le considérant comme avilissant et destructeur, comme une attaque contre leur nature d’hommes et de femmes libres. J’insiste sur les femmes, car parmi les gens qui militèrent et s’exprimèrent le plus fort dans leur dénonciation de la destruction des droits et de la dignité des gens libres par le système industriel capitaliste, il y avait les “filles d’usines”, ces jeunes femmes qui venaient du monde paysan. Elles aussi, comme les autres,  furent contraintes de subir le régime du travail salarié étroitement contrôlé et supervisé, travail qui était considéré à l’époque comme une forme d’esclavage qui ne se distinguait de l’ancien que par son caractère temporaire. Ce point de vue était considéré comme si naturel qu’il devint le slogan officiel du Parti Républicain etla bannière sous laquelle les ouvriers nordistes prirent les armes pendant la Guerre de Sécession.
Endiguer l’aspiration à la démocratie
Cela se passait il y a 150 ans aux USA et auparavant en Angleterre,. D’immenses efforts ont été déployés depuis pour inculquer le Nouvel Esprit de l’Epoque. De grandes industries se dédient à cette tâche : les relations publiques, la publicité et le marketing de façon générale qui, agrégés, constituent une très grosse partie du Produit Intérieur Brut. Elles ont pour finalité ce que le grand économiste Thorstein Veblen appelait la “fabrication des besoins”. Selon les termes des grands dirigeants d’entreprises eux-mêmes, le travail consiste à orienter les gens vers les “ choses superficielles” de la vie comme la “consommation à la mode”. On aura ainsi en guise de vie sociale des atomes séparés les uns des autres, qui n’ont en tête que leurs intérêts individuels et qui sont dispensés de tout effort –trop dangereux- de pensée autonome capable de remettre en cause l’autorité en place.   

L’œuvre de façonnement des opinions, attitudes et perceptions fut désigné sous le terme d’ « ingénierie du  consentement » par un des fondateurs de l’industrie moderne des relations publiques, Edwards Bernays. C’était un « progressiste » respecté, dans la lignée Wilson-Roosevelt-Kennedy. Il y avait aussi, dans la même veine,  son contemporain Walter Lippman, l’intellectuel public le plus en vue de l’Amérique du vingtième siècle, qui célébrait la « manufacture  du consentement » comme un« nouvel art » dans la pratique de la démocratie.
Les deux hommes soutenaient que le public devait être « remis à sa place », marginalisé et contrôlé- dans son propre intérêt, bien sûr. Il était « trop stupide et ignorant » pour qu’il lui soit permis de gérer ses propres affaires. Cette mission devait être confiée à la « minorité intelligente » qui devait elle-même être protégée  « des rugissements  et piétinements du troupeau hébété », des ignorants  malavisés fourrant leur nez  dans ce qui ne les regarde pas - la « racaille »,  pour reprendre un mot qui avait la faveur de  leurs prédécesseurs du dix-septième siècle. Dans cette vision, le rôle de la masse de la population était d’être de simples spectateurs, pas des participants dans le fonctionnement d’une société réellement démocratique.
Et  ces spectateurs ne devaient pas être autorisés à en savoir trop. Le président Obama a mis en place de nouvelles règles destinées à préserver ce principe. Il a, en fait, puni plus de lanceurs d’alerte  ( punished more whistleblowers) que tous ses prédécesseurs réunis, un exploit notable pour une administration  installée sous la promesse de la transparence. Wikileaks n’est que le cas le plus connu un cas traité avec la coopération britannique. 
Parmi les nombreuses questions qui ne regardent pas le  “troupeau hébété”, il y a les affaires étrangères. Quiconque a étudié les documents déclassifiés a probablement découvert que, dans une large mesure, ces documents avaient été classés dans le but de protéger de hauts responsables officiels d’un examen public trop attentif. Au plan interne, il n’est pas considéré comme convenable que la populace entende les conseils donnés par les tribunaux aux grandes entreprises, à savoir qu’elles devaient consacrer, de façon très ostentatoire,  une partie de leurs efforts aux bonnes œuvres afin qu’un public averti ne puisse déceler les énormes profits qu’elles tirent des mamelles de l’Etat nounoucratique. De façon plus générale, le public US ne doit pas savoir que « les politiques de l’Etat sont pour la plupart dégressives et que de ce fait elles étendent et approfondissent  les inégalités sociales, ce qui ne les empêche pas d’être conçues de manière telle qu’elles induisent  « « les gens à croire que l’Etat n’aide que les catégories de pauvres qui  ne le méritent pas,  ouvrant aux politiciens la voie qui leur permet d’enfler et d’exploiter la rhétorique et les valeurs anti- étatiques alors même qu’ils amassent du soutien en faveur de leurs électeurs les mieux nantis ». Ce que je cite là  vient du principal journal de l’establishment, Foreign Affairs, pas d’une quelconque feuille de chou gauchiste.

A la longue et alors que  les sociétés devenaient plus libres, imposant de plus grandes contraintes à l’usage de la violence d’Etat, le besoin de concevoir des méthodes plus élaborées de contrôle des attitudes et opinions ne fit que croître. Il n’est pas étonnant dès lors de constater que l’immense industrie des relations publiques est née dans les sociétés les plus libres, à savoir les USA et la Grande-Bretagne. La première agence moderne de propagande à avoir été mise en place, il y a de cela un siècle,  fut le ministère de l’Information britannique qui se fixait pour mission –en secret-  «  de diriger les pensées de la plus grande partie du monde- en premier lieu, les intellectuels progressistes américains qui devaient être mobilisés aux côtés de la Grande-Bretagne pendant la Première Guerre Mondiale.
Son homologue U.S, la Commission sur l’Information Publique [Commitee on Public Information, aussi appelée Commission Creel, du nom du journaliste qui l’a dirigée, George Creel, NdE], a été instituée par Woodrow Wilson dans le but  d’instiller dans une population pacifiste au départ, une haine violente de tout ce qui était allemand. L’entreprise fut couronnée de succès. La publicité commerciale américaine connut beaucoup d’admirateurs ; parmi eux, Goebbels qui l’adapta à la propagande nazie avec le funeste succès que l’on sait. Les dirigeants bolcheviks aussi s’y essayèrent aussi mais leurs efforts furent maladroits et inefficaces.
Restez calmes et continuez à vaquer à vos affaires” : affiche imprimée à 2 millions d’exemplaires par le ministère britannique de l’information en 1939 en prévision d’une invasion allemande
Dans la gestion des affaires intérieures, une tâche de première importance a toujours été d’empêcher le public “de nous prendre à la gorge” selon les mots de  Ralph Waldo Emerson décrivant l’inquiétude qui hantait les dirigeants politiques au milieu du 19ème siècle alors que la démocratie devenait de plus en plus difficile à réprimer. Plus récemment, le militantisme des années soixante suscita chez les élites des inquiétudes à propos de “l’excès de démocratie”, suivies d’appels à “plus de modération” dans l’exercice de la démocratie.
Une  des grandes préoccupations était d’exercer un meilleur contrôle sur les institutions “chargées de l’endoctrinement de la jeunesse”, c’est-à-dire les écoles, les universités et les églises. Celles-ci étaient considérées comme défaillantes dans cette mission essentielle. Je cite là des réactions provenant de la gauche libérale située le plus à gauche sur l’échiquier politique dominant. Ce sont les internationalistes libéraux qui, plus tard, formèrent le personnel de l’administration Carter et leurs équivalents dans d’autres sociétés industrielles. La droite, bien sûr, était plus virulente. Parmi les nombreuses façons dont s’est manifestée cette volonté de contrôle, il y a eu la forte hausse des frais d’inscription aux  universités, qu’aucun impératif économique n’explique, chose  qui peut aisément être démontrée. Cette astuce arrive pourtant à piéger et à contrôler les jeunes par le biais de la dette qui perdure souvent pour le restant de leur vie, faisant d’eux de meilleures proies de l’endoctrinement.
Les trois-cinquièmes de personnes
Quand on va un peu loin dans l’étude de  ces importantes questions, on constate qu’il y’a un lien étroit entre  la destruction de la Charte de la Forêt, son effacement de la mémoire, et les  efforts incessants visant à restreindre la portée de la Charte des Libertés. Le Nouvel Esprit ne peut pas tolérer la conception pré- capitaliste selon  laquelle la Forêt était patrimoine de la communauté dans son ensemble, pris en charge collectivement, utilisé aussi bien pour les besoins présents que pour les générations futures et protégé de la privatisation, autrement dit,  soustrait à la convoitise de puissances privées qui, sans aucun égard pour les besoins des gens, cherchent à en faire  un simple moyen d’enrichissement. Afin de réaliser ce  dernier but, il est essentiel d’inculquer le Nouvel Esprit et d’empêcher que vienne à l’esprit des gens libres la mauvaise idée d’utiliser la Charte dans un sens qui leur permette de prendre en main leur destin.
Les luttes populaires pour l’avènement d’une société plus libre et plus juste ont toujours rencontré la violence et la répression, de même que des efforts massifs de contrôle des opinions et attitudes, ce qui ne les a pas empêchées dans le long terme de réaliser des succès considérables. Mais le chemin reste encore long et il y’a souvent des régressions. Comme maintenant, précisément.
La partie la plus connue de la Charte des Libertés est l’article 39 qui déclare qu’ “aucun homme libre » ne sera puni de quelque façon que ce soit et « et nous n'agirons pas contre lui et nous ne le poursuivrons pas, sans un jugement légal de ses pairs et conformément à la loi du pays. »
Grâce à de longues années de lutte, ce principe a vu son champ d’application s’élargir. La constitution US stipule que « nul ne sera privé de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière (et) un procès rapide et public » par ses pairs. Le principe de fond est la « présomption d’innocence »-- que les historiens du droit décrivent comme la « graine qui a donné naissance à la liberté anglo-saxonne contemporaine, » en référence à l’article 39 et, avec à l’esprit le Tribunal de Nuremberg, «  ce légalisme typiquement américain : la punition ne peut s’exercer que sur ceux qui ont été reconnus coupables au terme d’un procès régulier assorti d’un ensemble de règles procédurales destinées à protéger l’accusé » - même dans le cas où la culpabilité de celui-ci pour des crimes comptant parmi les plus graves de l’histoire a été établie avec certitude.
Dans l’esprit des fondateurs, bien sûr, le terme de “personne” ne s’appliquait pas à tout le monde. Les natifs américains n’étaient pas des personnes. Leurs droits étaient pratiquement inexistants. Les femmes n’étaient pratiquement pas  des personnes. Les épouses n’étaient supposées exister légalement que sous la « couverture » de l’identité civile  de leurs maris, un statut qui ressemble beaucoup à celui des enfants sous la tutelle de leurs parents. Les principes de Blackstone énonçaient que «  l’être même de la femme,  c’est-à-dire son existence légale, est suspendu pendant son mariage ou, pour le moins, incorporé et intégré à celui de l’époux sous l’aile, la protection et la couverture duquel,  se font tous ses actions.» Ainsi, les femmes sont la propriété de leurs pères ou de leurs époux. Ces principes ont perduré jusqu’à une époque très récente. Avant la décision de la Cour Suprême de 1975, les femmes n’avaient pas le droit de siéger dans les jurys populaires. Elles n’étaient pas considérées comme des « pairs ». Il y’a juste deux semaines, l’opposition républicaine a bloqué le Fairness Paycheck  Act (Loi sur le salaire équitable) garantissant aux femmes un salaire égal  à travail égal. ». On pourrait  encore citer de nombreux exemples.
Les esclaves, bien entendu, n’étaient pas des personnes. Ils étaient, pour être précis, des “trois- cinquièmes d’êtres humains”( three-fifths human) selon la constitution qui visait à offrir à leurs maîtres  une  plus grande force électorale. La défense de l’esclavage n’était pas un petit souci pour les Fondateurs, ce fut en fait l’un des facteurs qui conduisirent à  la Révolution américaine. En 1772, dans  l’affaire Somerset, le juge Lord Mansfield émit une sentence déclarant que l’esclavage était si odieux qu’il ne pouvait être toléré en Angleterre (ce qui ne l’empêcha pas de persister pendant de longues années encore dans les possessions britanniques). Les propriétaires d’esclaves américains sentirent le vent tourner : si les colonies que restaient sous domination britannique, l’esclavage était menacé. Et il faut rappeler que les Etats esclavagistes, dont la Virginie, étaient ceux qui avaient le plus de pouvoir et de poids dans les colonies. On peut ici apprécier la phrase célèbre du Docteur Samuel Johnson  : « Comment se fait-il que les cris les plus forts en faveur de la liberté s’élèvent parmi les meneurs de nègres ?»
Les amendements qui ont suivi la Guerre de Sécession ont étendu la notion de personne aux Africains-Américains, mettant fin à l’esclavage. Au moins en théorie. Après une décennie de relative liberté cependant, une sorte de pacte entre le Nord et le Sud instaura une condition proche de l’esclavage qui criminalisait de fait la vie des Noirs. Un Noir de sexe masculin pouvait, pour s’être tenu debout à un coin de rue,  être arrêté sous l’accusation de vagabondage ou même de tentative de viol s’il avait regardé une femme blanche de façon jugée inconvenante. Une fois en prison, il avait peu de chance d’échapper un jour au système d’  « esclavage sous un autre nom », terme employé par Douglas Blackmon, chef de bureau au Wall Street Journal de l’époque, dans son étude saisissante
Cette nouvelle version de  l’« institution bien de chez nous » (l’esclavage) contribua grandement à jeter les bases de la révolution industrielle américaine. Mise en œuvre dans la sidérurgie, dans les mines ainsi que dans la production agricole avec les fameux chain gangs [équipes de prisonniers enchaînés effectuant des travaux pénibles, NdE], elle fournit  une force de travail parfaite : docile et obéissante, pas encline à la grève et ne demandant même pas à être nourrie par les employeurs comme c’était le cas avec l’esclavage d’antan, un « progrès » par rapport à cette époque peut-on constater. Ce système se maintint jusqu’à la deuxième guerre mondiale, époque où on eut besoin de travailleurs libres.
L’expansion qui suivit la guerre offrit de nombreux emplois. Un Noir pouvait avoir un emploi avec un salaire décent dans une usine automobile syndiquée, acheter une maison et même, peut-être, envoyer ses enfants à l’université. Cela dura environ vingt ans, jusqu’aux années 70 quand l’économie fut radicalement restructurée selon les principes néolibéraux désormais dominants qui imposèrent une financiarisation croissante de l’économie et la délocalisation de la production. La population noire maintenant considérée comme de peu d’utilité a de nouveau été criminalisée.
Jusqu’à la présidence de Ronald Reagan, l’ampleur  de l’incarcération aux USA se situait dans l’éventail statistique des sociétés industrielles. Aujourd’hui, les USA  dépassent de loin les autres. Elle vise principalement  les hommes noirs et de façon croissante  les femmes noires et les hispaniques, principalement pour des crimes où il n’y a pas de victimes et qui tombent sous l’appellation frauduleuse de  « guerres de la drogue ». Pendant ce temps, l’aisance des familles africaines-américaines a été pratiquement effacée par la dernière crise financière causée,  dans une mesure qu’on ne peut négliger par le comportement  criminel des institutions financières alors que les auteurs de ces crimes jouissent non seulement de l’impunité mais sortent de cette crise plus riches que jamais.
Quand on jette un coup sur l’histoire des Africains-Américains depuis l’arrivée des premiers esclaves il y a presque 500 ans, on constate qu’ils n’ont joui pleinement de la qualité de personne que pendant quelques décennies. Un long chemin reste à parcourir avant de réaliser la promesse de la Grande Charte.
Personnes sacrées et procédures légales démantelées
Le quatorzième amendement à la Constitution, adopté après la Guerre de Sécession, accorda lesoits de la personne aux anciens esclaves mais surtout en théorie. Dans le même temps, il créa une nouvelle catégorie de personnes dotée de droits : les sociétés anonymes. En fait, presque tous les actions introduites sous le quatorzième amendement visaient à promouvoir les droits de ces sociétés, ce qui fit qu’en seulement un siècle, les tribunaux ont jugé que ces entités collectives fictives créées et maintenues par le pouvoir d’Etat avaient tous les droits de personnes faites de chair et  de sang. De bien plus grands droits en fait, étant données leur ampleur, leur immortalité et la protection dont elles bénéficient grâce à la responsabilité limitée. Leurs droits dépassent désormais largement ceux des simples humains. En vertu des accords de libre-échange, la Pacific Rim par exemple peut attaquer en justice le Salvador qui  cherche à protéger son environnement. Les individus ne le peuvent pas. La General Motors peut se prévaloir de droits nationaux au Mexique mais imaginez qu’un Mexicain demande des droits nationaux aux USA, une chose tout simplement impensable.
A l’intérieur des USA, des décisions récentes de la Cour Suprême accroissent considérablement la puissance politique déjà énorme des sociétés anonymes et des super-riches, donnant de nouveaux coups aux vestiges chancelants d’une démocratie politique supposée fonctionner.
Pendant ce temps, la Grande Charte est soumise à des attaques plus directes. Rappelons-nous l’Acte d’Habeas Corpus de 1679 qui interdisait « l’emprisonnement outre-mer » et constatons maintenant la procédure cruelle d’emprisonnement « outre-mer »  dans l’intention de soumettre à la torture – qu’un euphémisme désigne maintenant sous le nom de « restitution » (“rendition”) , procédure qu’accomplit Tony Blair quand il « restitua » le dissident libyen Abdelhakim Belhadj - maintenant un dirigeant de la rébellion-  à la merci de Kadhafi. Un autre cas : quand les autorités US déportèrent le citoyen canadien Maher Arar vers sa Syrie natale -pour y être emprisonné et torturé- et ne reconnurent que bien après qu’aucune charge n’avait été retenue contre lui. Il y’a encore beaucoup d’autres cas de déportations, souvent via l’aéroport de Shannon en Irlande, où elles ont été accueillies par de courageuses protestations.
Le concept  de “procédure régulière”(due process), élément essentiel de la Charte des Libertés a subi de la part de l’administration Obama engagée dans sa campagne internationale  d’assassinats, une tel étirement qu’elle le vide de toute sa substance et le rend inopérant.  Le Département de la Justice a expliqué que les garanties constitutionnelles dont l’origine remonte à la Grande Charte avaient été satisfaites par la tenue de  délibérations internes au sein de la seule branche exécutive. Le spécialiste en droit constitutionnel de la Maison Blanche a approuvé, il n’y a plus rien à dire. Le roi Jean Sans Terre aurait vigoureusement hoché de la tête de satisfaction.
L’affaire prit de l’ampleur après que la présidence eut ordonné l’assassinat par drone d’Anouar El Aoulaki, accusé d’incitation au djihad par la parole, l’écrit et autres moyens non-spécifiés. Un gros titre dans le New York Times résuma bien la réaction d’ensemble de l’élite après cet assassinat par drone qui  se fit avec les « dommages collatéraux » habituels. On y lit « L’Occident célèbre la mort d’un religieux.» Il y eut quand même quelques froncements de sourcils, car après tout, on avait affaire à un citoyen US, détail qui ne manqua pas de soulever des questions à propos de l’idée de « procédure régulière » - considérée comme hors de propos quand des non-citoyens sont assassinés au bon –vouloir du chef de l’exécutif. Mais c’est désormais hors de propos pour les citoyens aussi, avec les innovations que l’administration Obama a introduites dans l’idée de « procédure régulière ».
La présomption d’innocence aussi, a subi une nouvelle et utile interprétation. Le New York Times a rapporté: « M. Obama a adopté sans sourciller une méthode controversée  de dénombrement des victimes civiles. Elle compte en effet en tant que combattants, selon plusieurs officiels de l’administration, toutes les personnes de sexe masculin en âge de combattre se trouvant dans une zone de frappe, sauf dans le cas une où enquête posthume du renseignement aura prouvé leur innocence. » Ainsi donc, la détermination de  l’innocence des personnes après leur assassinat respecterait le principe sacré de  la présomption d’innocence.
Il serait presque inconvenant de rappeler ici les Conventions de Genève qui interdisent  « les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés ».
Le cas le plus célèbre d’exécution extrajudiciaire fut celui de Oussama Ben Laden, assassiné après avoir été appréhendé par 79 Navy Seals [membres des forces spoci&éles de la marine de guerre, NdE] alors qu’il était sans défense et accompagné seulement de sa femme. Son corps, selon le rapport, aurait été jeté à la mer  sans autopsie. Quoi qu’on pense de lui, ce n’était qu’un suspect et rien de plus. Même le FBI reconnaît cela.
Les manifestations de joie qui suivirent cet assassinat furent énormes mais quelques voix s’élevèrent pour relever  le mépris affiché à l’égard du principe de présomption d’innocence, mépris aggravé par le fait qu’un procès n’aurait pas du tout été impossible. Ces voix furent accueillies par de sévères condamnations. Parmi celles-ci, il est intéressant de relever celle de Matthew Yglesias, le commentateur libéral de gauche très respecté qui donna l’explication suivante : «  l’une des principales fonctions de l’ordre institutionnel international est précisément de légitimer l’usage par les puissances occidentales de la force militaire meurtrière. ». Il ne nous reste donc plus, d’après cet argument,  qu’à réaliser la « terrible naïveté » qui consiste à seulement  suggérer que les USA mettent en pratique eux-mêmes ce qu’ils exigent des nations les plus faibles, à savoir obéir au droit international.
Seules les objections d’ordre tactique sont admises quand on évoque les agressions, les assassinats, la cyberguerre et autre actions que le Saint État entreprend au bénéfice de l’humanité. Que les victimes habituelles voient les choses différemment prouve seulement leur arriération morale et intellectuelle. Quant aux critiques occidentaux occasionnels, incapables comprendre ces vérités fondamentales, leur étourderie les condamne à être disqualifiés. C’est ce que Yglesias explique- en évoquant parmi d’autres sujets, spécifiquement ma personne et là, j’avoue avec joie ma culpabilité.   
Listes de terroristes de l’exécutif
Le cas le plus saisissant peut-être d’attaque contre les fondements des libertés traditionnelles est celui, peu connu,  de l’affaire  Holder contre Humanitarian Law Project portée devant la Cour suprême par l’administration Obama. L’ONG  Humanitarian Law Project fut condamnée pour avoir fourni de l’ “aide matérielle” au mouvement de guérilla PKK qui combat pour les droits des Kurdes depuis de longues années et qui figure comme “groupe terroriste” dans la liste établie par l’exécutif. En fait  d’“aide matérielleˮ,  il s’agissait  de conseil juridique. La façon dont le texte du jugement est formulé tend à donner à celui-ci un champ d’application plutôt vaste puisque l’ « aide matérielle » inclut les discussions, les demandes de recherche et même les conseils de s’en tenir à l’action non-violente. Encore une fois, il n’y eut que quelques voix isolées pour critiquer mais même celles-ci acceptaient la légitimité de la liste de terroristes d’Etat - des décisions arbitraires de l’exécutif, sans possibilité de recours.    
L’histoire de la liste de terroristes est assez intéressante. En 1988 par exemple, l’administration Reagan déclara  l’ANC de Mandela groupe terroriste parmi les plus notoires, permettant à Reagan de poursuivre son soutien du régime d’apartheid et d’inclure les meurtrières déprédations de ce régime en Afrique du Sud et dans les pays limitrophes, dans sa « guerre contre le terrorisme ». Vingt ans plus tard, Mandela a finalement été retiré de la liste de terroristes et peut se rendre librement aux USA sans avoir besoin d’une dérogation spéciale.
Un autre cas intéressant est celui de Saddam Hussein qui fut retiré de la liste de terroristes afin de permettre à l’administration Reagan lui fournir son soutien dans  l’invasion de l’Iran. Ce soutien se poursuivit bien  après la fin  de la guerre. En 1989, le président Bush invita les ingénieurs nucléaires irakiens aux USA pour leur fournir une formation avancée dans la production d’armements- Une autre information qui doit être tenue loin des yeux des  « ignorants malavisés ».
Un des exemples les plus abjects d’utilisation de la liste de terroristes nous renvoie à la question à des gens torturés en Somalie. Immédiatement après le 11 septembre, les USA fermèrent le réseau caritatif Al Barakat sous l’accusation de financement du terrorisme. Cette prouesse fut chantée comme un des grands succès dans « la guerre contre le terrorisme ». Un an plus tard pourtant, quand Washington abandonna  ses accusations comme sans fondements, l’évènement passa presque inaperçu.
Al Barakat était responsable d’environ la moitié des transferts de fonds vers la Somalie, « plus que ce qu’aucun secteur économique  gagne et dix fois  le montant de l’aide (à la Somalie) », d’après un rapport des Nations Unies. Le réseau gérait aussi des entreprises de premier plan, elles ont toutes été détruites. Le spécialiste universitaire de pointe de « la guerre financière contre la terreur » de Bush, Ibrahim Warde,   conclut que « à part la dévastation qu’elle a causé à l’économie, cette attaque irréfléchie contre une société extrêmement fragile « peut avoir joué une rôle dans …la montée des intégristes islamistes ». Nous avons là une conséquence familière de «  la guerre  contre le terrorisme ».
L’idée même que l’Etat a autorité pour faire de tels jugements est une violation grave de la Charte des Libertés, comme l’est le fait de la considérer comme indiscutable. Si la Charte continue sa tombée en disgrâce comme cela lui est arrivé ces dernières années, l’avenir des droits et libertés s’annonce sombre.
Qui aura le dernier mot?
Un dernier mot à propos de du sort de la Charte de la Forêt. Sa raison d’être était de protéger la source de subsistance de la population-les biens communs- des forces extérieures - au début la royauté ; mais dans les époques qui suivirent et jusqu’à l’époque présente, les entreprises prédatrices agissant de concert avec les pouvoirs publics, n’ont fait qu’accélérer les enclosures [processus de transformation d’une terre commune en terre privée, NdE] et autres formes de privatisation , ce pourquoi elles ont été proprement récompensées. Les dégâts causés sont énormes.  
Il nous suffit d’écouter certaines voix qui se sont exprimées dans les pays du Sud pour comprendre que “ le transfert de biens publics vers la propriété privée, la privatisation de cet environnement naturel qui était le bien commun de la population, est un des moyens qui permettent aux institutions néolibérales d’encore distendre les liens fragiles qui unissaient les nations africaines. La politique aujourd’hui est  devenue une entreprise lucrative où le premier souci est le retour sur l’investissement, pas ce qui peut être fait pour aider à rebâtir  un environnement détruit, une communauté ou  une nation. C’est là un des « effets bénéfiques » des programmes d’ajustements structurels infligés au continent, l’intronisation de la corruption”. Je cite là un passage de ce qu’a écrit le poète et militant nigérian Nnimmo Bassey, président des Amis de la Terre International, dans son exposé dramatique du pillage dévastateur des richesses de l’Afrique  (To Cook a Continent), la toute dernière phase de la torture de l’Afrique par l’Occident.
Une torture qui a toujours été planifiée au plus haut niveau, il faut bien le comprendre. A la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, les USA détenaient sur le monde une puissance  jamais égalée. De ce fait et naturellement, ce pays conçut  des plans élaborés et méthodiques visant à organiser le monde de façon qui réponde à leur desseins. Les planificateurs du département d’Etat dirigés par le distingué diplomate George Kennan assignèrent à chaque région du monde sa « fonction ». Cet homme détermina que les USA n’avaient pas d’intérêt spécial en Afrique et que de ce fait, ce continent devait être remis à l’Europe pour qu’elle l’  « exploite », mot qu’il utilisa pour parler de reconstruction. Un regard rétrospectif permet de se rendre compte qu’un autre type de relations entre l’Europe et l’Afrique était concevable mais rien n’indique qu’il fût jamais envisagé.
Plus récemment, les USA ont reconnu qu’ils devaient eux aussi se joindre au grand jeu de l’exploitation de l’Afrique, comme la Chine qui s’active sans relâche à obtenir le titre de détentrice d’un des pires bilans de destruction de l’environnement et d’oppression des malheureuses victimes.
Sans entrer dans le détail, il est important de pointer le doigt  sur les dangers extrêmes que présente une orientation centrale dans ces obsessions prédatrices qui génèrent tant de calamités à travers le monde : la dépendance à l’égard des énergies fossiles qui fait planer sur nous un désastre d’ampleur planétaire, dans un avenir peut-être pas si lointain. On peut discuter divers aspects de ce problème mais il n’y a pas de doute qu’il est d’une gravité extrême, et que plus nous tardons à l’affronter et plus effroyable sera l’héritage  que nous laisserons aux générations futures. Il y’a quelques efforts pour faire face à cette menace mais ils n’ont malheureusement que peu de poids. La récente Conférence Rio+ 20, qui s’est ouverte avec des ambitions étriquées, s’est close avec des résultats dérisoires.
Pendant ce temps, les centres de pouvoirs, menés par le pays le plus riche et le plus puissant de l’histoire de l’humanité, poussent les choses dans la direction opposée.  Les Républicains du Congrès sont en train de démanteler les quelques mesures de protection de l’environnement initiées par Richard Nixon lequel, sil revenait  sur la scène politique actuelle, serait considéré comme un dangereux gauchiste.  Les grands lobbies industriels  pour leur part, lancent des campagnes de propagande destinées à convaincre le public qu’il n y a pas de raison de s’inquiéter outre mesure- avec un certain succès comme le montrent les sondages.
Les medias coopèrent en passant sous silence les prévisions de plus en plus sombres des agences internationales, y compris celles du Département US de l’Energie. On présente le débat dans un format standard rassurant. On a  les  alarmistes d’un côté et  les sceptiques de l’autre. Les premiers sont en général des scientifiques qualifiés alors que les seconds se distinguent par leur intransigeance. Il reste qu’un très grand nombre d’experts sont écartés du débat,  ceux du Programme sur le changement climatique du Massachussets Institute of Technology par exemple qui critiquent le consensus trop prudent, trop mesuré qui prévaut au sein de la communauté scientifique et qui, d’après eux, est éloigné des vérités beaucoup plus graves se rapportant au changement climatique. Le public, quant à lui, est dans une confusion totale, ce qui n’est pas étonnant.
Dans son discours sur l’Etat de l’Union en janvier dernier, le président Obama exprima son enthousiasme à propos de la radieuse perspective d’un siècle d’autosuffisance  énergétique rendu possible par les nouvelles technologies d’extraction d’hydrocarbures à partir des schistes bitumineux et des sables asphaltiques du Canada  et d’autres sources auparavant inaccessibles. Certains milieux approuvent, comme le Financial Times qui prédit  un siècle d’indépendance énergétique pour les USA, en mentionnant toutefois les effets destructeurs sur l’environnement local de ces nouvelles méthodes. Dans ces prévisions optimistes, on oublie de se demander à quoi ressemblera le monde qui survivra à ces appétits voraces.
Aux premières lignes  dans le combat contre la crise, il y a les communautés autochtones à travers le monde qui ont toujours maintenu en vie l’esprit   de la Charte de la Forêt. La position la plus résolue est celle du seul pays au monde que ces communautés gouvernent, la Bolivie, ce pays qui était, avant Christophe Colomb,  l’un des plus avancés de l’hémisphère occidental et qui est devenu,  du fait des déprédations occidentales, l’un des plus pauvres de l’Amérique du Sud. 

Après l’échec peu glorieux du Sommet de Copenhague sur le changement climatique, la Bolivie a organisé un Sommet des Peuples avec la participation de 35000 personnes venant de 140 pays – pas seulement des représentants de gouvernements mais aussi des militants et des membres d’organisations de la société civile. Ses travaux furent couronnés par une Déclaration Universelle des Droits de la Terre Mère. Nous avons là une revendication essentielle des communautés autochtones à travers le monde. Elle est raillée par des Occidentaux qui aiment la sophistication mais si nous nous montrons insensibles à  son message, ces communautés auront le dernier mot- un mot désespéré.