mercredi 30 avril 2014

Égypte : 683 manifestants pro-Morsi condamnés à mort/Le Mouvement des jeunes du 6 avril interdit

 683 manifestants pro-Morsi condamnés à mort
Le tribunal d'al-Minya, en Moyenne-Égypte, a requis la peine de mort, lundi 28 avril, contre 683 partisans du président déchu, Mohamed Morsi, pour des actes de violence et le meurtre de policiers. Ces peines doivent désormais être approuvées par le mufti égyptien, une étape considérée comme une formalité. Ces personnes, jugées dans les plus grands procès de masse de l'histoire récente selon l'Organisation des Nations unies, étaient accusées d'avoir participé à des manifestations violentes à al-Minya, le 14 août 2013, le jour même où quelque 700 partisans du président tombaient sous les balles de policiers et de soldats au Caire. Selon l'ONG Human Rights Watch, le procès n'a duré que quelques heures, et le tribunal a empêché les avocats de la défense de prendre la parole.
Sur les 683 condamnés, une cinquantaine seulement sont en détention -les autres ayant été libérés sous caution, en fuite ou déjà morts. Parmi les détenus figure Mohammed Badie, guide suprême des Frères musulmans, la confrérie vieille de 85 ans qui avait remporté toutes les élections depuis la chute du président Hosni Moubarak, au début de 2011, avant d'être déclarée « terroriste » en décembre.
Ce verdict a aussitôt été condamné par l'ONU, et l'Union Européenne qui dénoncent une "atteinte au droit international" et "aux droits humains". Les États-Unis, quant à eux, appellent le Caire à annuler ces peines ainsi que les 529 autres prononcées fin mars. Pour la Maison Blanche  « le verdict d'aujourd'hui, comme celui du mois dernier » est « un défi aux règles les plus élémentaires de la justice internationale », fustigeant dans sa déclaration un « précédent dangereux ».


Le Mouvement des jeunes du 6 avril interdit
Le tribunal des référés du Caire a interdit toutes les activités du Mouvement des jeunes du 6 avril, ordonné la saisie de ses biens et la fermeture de ses locaux. Motif : « atteinte à l’image de l’Égypte et intelligence avec l’étranger ».
Crée en mars 2008 en soutien aux grévistes des filatures de Mahalla al-Kubra, ce mouvement avait activement préparé le soulèvement du 25 janvier 2011 contre le président Moubarak et participé aux manifestations contre le Conseil Suprême des Forces Armées.
La condamnation à 3 ans de prison de ses principaux leaders -Ahmed Maher, Mohamed Adel et Ahmed Douma- a aussi été confirmée, le 7 avril dernier, par la cour d'appel du Caire. Ils avaient été arrêtés en décembre dernier, suite à une manifestation devant le Conseil constitutionnel, le 30 novembre 2013, pour demander l'annulation du décret ministériel interdisant les rassemblements de plus de 10 personnes.
Le 6-Avril a publié un communiqué condamnant la décision de justice et affirmant que « le mouvement poursuivra son action comme il l’entend ». Quant à Ahmed Maher, il a envoyé ce commentaire sur les réseaux sociaux : "Aujourd'hui, c'est le Mouvement du 6-Avril et demain ce sera tous les autres... Chaque jours, le régime militaire utilise tous les artifices des régimes répressifs pour se venger de la révolution du 25 janvier !"
Source : Échos d’Égypte, 28 avril 2014 

dimanche 27 avril 2014

Un comité de détenus annonce une grève générale dans les prisons égyptiennes مصر : نداء من وراء القضبان

24 avril 2014-Dans un communiqué diffusé à la presse, un comité de détenus politiques annonce un mouvement de grève générale dans les prisons. Il y dénonce la détention arbitraire de plus de 20 000 personnes et les mauvais traitements qu'elles subissent régulièrement depuis leur arrestation entre le 3 juillet 2013 et le 31 janvier 2014.  Parmi elles, on compte : 1232 médecins, 2574 ingénieurs, 124 professeurs d'université et chercheurs, 5342 étudiants de l'université islamique al-Azhar, 3879 étudiants d'autres universités, 704 femmes et 689 enfants. Selon ce communiqué, 21 personnes sont mortes sous la torture, 618 personnes souffrent de maladies graves et 53 enfants ont les oreillons, sans que des soins appropriés ne leur soient dispensés.
Ces milliers de détenus sont répartis sur tout le territoire égyptien, dans les prisons et camps d'incarcération suivants : Borg el Arab et et  al-Hadara (Alexandrie), Damanhour, Abou-Zaabal (Kalyoubya), Wadi Natroun (désert le Caire-Alexandrie), Tora (le Caire), Gamsa, al-Akrib, al-Fayoum, Assiout, al-Wadi al-Gadid (al-Kharga).
Source : Échos d’Égypte
Lire l'article de Fahmy Howeidy Égypte: un appel de derrière les barreaux

Egipto: un Comité de detenidos anuncia una huelga general en las cárceles
Über 20 000 politische Gefangenen in Ägypten bereiten Generalstreik vor

mardi 22 avril 2014

Les bons, le brut et les truands - Brève mise au point sur la situation actuelle au Venezuela

Par , et , mouvements, 15/4/2014
Après le triomphe apparent du chavisme aux élections municipales du 9 décembre, la guerre politique intermittente qui a ponctué ces 15 années de « Révolution bolivarienne » – elle-même consécutive à une décennie de guerre sociale – occupe à nouveau le devant de la scène : des dizaines de milliers de manifestants et émeutiers réclament depuis bientôt deux mois la « sortie » du président Nicolás Maduro. La marche de Caracas du 12 février, au carrefour des mobilisations étudiantes « contre l'insécurité » initiées à San Cristóbal et des appels à « incendier la rue » lancés par la frange la plus réactionnaire de l'opposition le 23 janvier (date symbolique de la naissance de la démocratie en 1958)ii, a inauguré un cycle d'assassinats et de représailles débouchant sur l'arrestation d'un des leaders et de deux maires de la coalition d’opposition (MUDiii), en sus de l'occupation militaire de deux régions frontalières de la Colombie. Qu'y a-t-il derrière les stéréotypes croisés d'une opposition « fasciste » aux prises avec un pouvoir d'État « castro-communiste » ? Qui sont les manifestants ? Que fait le gouvernement ? Sur fond de crise économique et de violences politiques et sociales qui semblent combler des chroniqueurs pressés d'enterrer une énième « révolution ratée », et alors que se profile une médiation internationale (avec l'UNASUR et le Vatican), voici un panorama de la situation en trois temps, en contre-points des principaux poncifs circulant de part et d'autre.

« Un coup d'État se trame » vs. « le chavisme assassine des manifestants pacifiques »

L’opposition vénézuélienne est hétérogène et divisée sur la stratégie à suivre, en présence d'un mouvement dispersé et centrifuge. D’un côté, le dirigeant du parti Voluntad Popular Leopoldo López, la députée de Caracas María Corina Machado et le maire du Grand Caracas Antonio Ledezma sont devenues les figures politiques les plus médiatisées des protestations, en invoquant d'emblée « la sortie » de Maduro. De l'autre, le candidat unique de la MUD aux présidentielles d’octobre 2012 et avril 2013, Henrique Capriles Radonsky, a répété que croire que Nicolás Maduro pouvait quitter la présidence sous la seule pression des manifestants était « une grande erreur » et que tout changement institutionnel devait passer par la voie électorale. Or la Constitution imposerait d’attendre 2016 pour un potentiel référendum révocatoire, dans l’hypothèse où l’opposition réunirait les signatures d’un cinquième des électeurs inscrits.

La tentation de l'affrontement demeurant latente, les velléités insurrectionnelles de cette opposition ne doivent pas être minorées mais appréciées à leur juste valeur. La violence des actions de rue – les guarimbas, des barricades dans des quartiers essentiellement résidentiels et aisés, tenus par des maires d’opposition –, menées à la fois en marge et en lieu et place des manifestations, fait clairement écho aux postures guerrières des « faucons », aux États-Unis ou en Colombie (autour de l’ex-président Álvaro Uribe). S'il s'en désolidarise, Capriles, affaibli par la défaite de la MUD aux municipales, a également refusé l'invitation à la Conférence pour la Paix, convoquée par Maduro pour enrayer la spirale de la violence, et réclame la libération inconditionnelle de ses homologues, mais aussi d'Iván Simonovis, ex-commissaire impliqué dans le coup d'État (avorté) contre Chávez d'avril 2002iv. Lire la suite

Portugal, 25 avril 1974: Voyage au coeur d'une révolution

Un documentaire de Elsa Cornevin et Anne Fleury 
 La Fabrique de l'Histoire  du lundi au vendredi de 9h06 à 10h
La nuit du 25 avril 1974, des capitaines appartenant au Mouvement des Forces Armées renversent le pouvoir en place et mettent fin à 48 ans de dictature au Portugal.
L’opération a été minutieusement préparée.  La chanson Grandôla, vila Morena de Zeca Afonso, transmise sur les ondes de Radio Renascença à minuit vingt, sert de signal au lancement de la révolution.
Les capitaines espèrent que le renversement du régime se déroulera pacifiquement, sans effusion de sang. Le peuple descend dans la rue et soutient les militaires au fur et à mesure de leurs opérations.
En 24 heures, les places fortes de la dictature tombent une à une.
Les œillets rouges, en vente alors dans les rues de la capitale,  se passent de mains en mains et deviennent le symbole de la révolution... Le symbole de la liberté.
Le coup d’état militaire au Portugal prend de surprise le monde entier.
Baptisés « Capitaines d’avril », les capitaines du Mouvement des Forces Armées entrent dans l’histoire.
Ils sont à peine âgés de trente ans et ont perdu des milliers d’hommes dans les guerres coloniales en Angola, en Guinée-Bissau et au Mozambique. Ils sont portés par des aspirations profondes, celles d’instaurer la démocratie au Portugal et d’en finir avec les guerres coloniales.
Mais qui sont ces capitaines ? Pourquoi décident-ils de renverser le régime la nuit du 25 avril ? Comment leur action militaire s’est-elle transformée en révolution ?
40 ans après, ce documentaire propose une immersion dans le Portugal à la veille de la révolution et croise les paroles des acteurs qui ont fait le 25 avril.
Avec la participation de : Otelo Saraiva de Carvalho, José Manuel Costa Neves, Manuel Martins Guerreiro, José Piteira Santos, Carlos Machado Santos, Aprigio Ramalho, Carlos Beato (pour le Mouvement des Forces Armées) et d’Adelino Gomes (journaliste ayant couvert le 25 avril 1974).
écouter aussi

Histoire du Portugal 1/4 

Grand témoin : Luis Miguel Cintra, comédien 
détail ›

Prochaines diffusions

dimanche 20 avril 2014

Mourir au temps du choléra

En 1967 ou 68 est arrivé dans la maison de mes grands-parents un roman avec tant de personnages, portant tous des noms si bizarres que, pour le lire, il fallait noter sur un bout de papier qui était le fils de qui, le frère de qui et le mari de qui. En plus, l'usage coutumier consistant à attribuer les noms de leurs ancêtres aux descendants rendait les choses encore plus compliquées.
- Je te le recommande. C'est d'un type qui est journaliste à El Espectador.
 
C'est avec ces mots que mon grand-père passa le roman à sa belle-sœur, qui ouvrit la première page en début de soirée et ferma la dernière page le lendemain matin. Lire la suite

Le Colonel Aureliano Buendía et son compère Gerineldo Márquez, par Itamar Lilienthal

La solitude de l'Amérique latine-Discours de réception du prix Nobel de Littérature, décembre 1982

par Gabriel García Márquez (1927-2014)
Original: La soledad de América Latina
Discurso de aceptación del Premio Nobel 1982

Traductions disponibles : English  Italiano   

 
Le 8 décembre 1982, Gabriel García Márquez monte à la tribune de l'Académie suédoise recevoir son prix Nobel de littérature. L'auteur de Cent ans de solitude y livre un discours poignant sur son continent, dévasté par la colonisation puis déchiré par les dictatures, mais prêt à se relever. 


Antonio Pigafetta, un navigateur florentin qui a accompagné Magellan lors du premier voyage autour du monde, a écrit lors de son passage par notre Amérique du Sud une chronique rigoureuse qui paraît cependant être une aventure de l’imagination. Il raconte qu’il a vu des cochons avec le nombril sur les hanches, des oiseaux sans griffe, dont les femelles couvaient dans le dos des mâles, et d’autres oiseaux, semblables à des pélicans sans langue au bec pareil à des cuillères. Il raconte qu’il a vu une créature animale avec une tête et des oreilles de mule, un corps de chameau, des pattes de cerf et un hennissement de cheval. Il raconte qu'ils ont mis le premier en Patagonie en face d’un miroir, et que ce géant exalté a perdu l’usage de la raison, effrayé par sa propre image.
Ce livre bref et fascinant, qui contient les germes de nos romans d’aujourd’hui, est peut-être le témoignage le plus stupéfiant de notre perception de cette époque. Les Chroniques des Indes nous en a laissés d’autres tout aussi fascinants. L’Eldorado, notre pays tant désiré et illusoire, a été dessiné sur de nombreuses cartes pendant de longues années, changeant de lieu et de forme selon l’imagination des cartographes. À la recherche de la fontaine de jouvence, le mythique Alvar Núñez Cabeza de Vaca a exploré le nord du Mexique durant huit années dans une expédition illusoire, dont les membres se sont dévorés entre eux, et dont cinq seulement, sur les 600 qui étaient partis, sont revenus. L’un des nombreux mystères qui n’ont jamais été élucidés, est celui des 11.000 mules chargées de cent livres d’or chacune, qui, un jour, sont sorties de Cuzco pour payer le sauvetage d’Atahualpa et qui ne sont jamais arrivées à destination. Plus tard, au temps des colonies, des poules, élevées dans les plaines alluviales, se vendaient à Carthagène. Dans leur gésier se trouvaient des pépites d’or. Cette soif de l’or des fondateurs nous a poursuivis jusqu’il y a peu. Au siècle passé encore, la mission allemande chargée d’étudier la construction d’un chemin de fer interocéanique dans l’isthme de Panama, a conclu que le projet était viable à condition que les rails ne fussent pas faits en fer, qui était un métal peu abondant dans la région, mais d'or.
 
Notre libération de la domination espagnole ne nous a pas mis à l’abri de la démence. Le général Antonio López de Santana, trois fois dictateur du Mexique, a donné des funérailles magnifiques à sa jambe droite, qu’il avait perdue dans ladite Guerres des pâtisseries. Le général Gabriel García Morena a gouverné l’Équateur durant 16 ans en monarque absolu. Son cadavre a été veillé, vêtu de son uniforme et de ses médailles de gala, assis dans le fauteuil présidentiel. Le général Maximiliano Hernández Martínez, le despote théosophe du Salvador qui a fait exterminer 30.000 paysans dans un massacre barbare, avait inventé un pendule pour vérifier si les aliments étaient empoisonnés, et a fait couvrir d’un papier rouge l’éclairage public pour combattre une épidémie de scarlatine. La statue du général Francisco Morazán, érigée sur la place principale de Tegucigalpa, est en fait celle du maréchal Ney, achetée dans un entrepôt de sculptures d'occasion à Paris.
 
Il y a onze ans, le Chilien Pablo Neruda, l’un des plus grands poètes de notre temps, a illuminé cette assemblée de sa parole. Depuis, les Européens de bonne volonté – et parfois de mauvaise – ont été frappés, avec une plus grande force encore, par les nouvelles fantomatiques de l’Amérique latine, ce royaume sans frontière d’hommes hantés et de femmes historiques, dont l’entêtement sans fin se confond avec la légende.
 
Nous n’avons pas eu de moment de repos. Un président prométhéen, retranché dans son palais en flammes, est mort en combattant seul une armée entière. Deux accidents suspects d’avions, toujours non élucidés, ont fauché la vie d’un autre président au grand cœur et celle d’un militaire démocrate qui avait restauré la dignité de son peuple. Cinq guerres et 17 coups d’États ont eu lieu. Un dictateur diabolique a émergé et mène, au nom de Dieu, le premier génocide contemporain de l'Amérique latine. Pendant ce temps, 20 millions d’enfants latino-américains meurent avant d’atteindre l’âge de deux ans, ce qui est plus que tous ceux nés en Europe depuis 1970. Le nombre d’enfants manquant à cause de la répression approche les 120.000 disparus. C’est comme si aujourd’hui on ne savait pas où étaient passés tous les habitants de la ville d’Uppsala. De nombreuses femmes enceintes ont été arrêtées et ont accouché dans des prisons argentines. On ignore encore le destin et l’identité de ces enfants, qui ont été donnés en adoption clandestine ou enfermés dans des orphelinats par les autorités militaires. Parce qu’ils ont voulu changer les choses, presque 200.000 hommes et femmes ont péri sur tout le continent, et plus de 100.000 ont perdu la vie dans trois malheureux petits pays d’Amérique centrale : le Nicaragua, le Salvador et le Guatemala. Si c’était aux États-Unis, le chiffre proportionnel serait d’1,6 millions de morts violentes en quatre ans.
 
Un million de personnes ont fui le Chili, un pays aux traditions pourtant hospitalières, soit 12% de sa population. L’Uruguay, minuscule nation de 2,5 millions d’habitants, qui se considérait comme le pays le plus civilisé du continent, a perdu un citoyen sur cinq dans l’exil. Depuis 1979, la guerre civile au Salvador a provoqué le départ de presque un réfugié toutes les 20 minutes. Le pays qu’on pourrait reproduire avec tous les exilés et émigrés forcés d’Amérique Latine aurait une population plus nombreuse que la Norvège. J’ose penser que c’est cette réalité extraordinaire – et pas seulement dans son expression littéraire – qui, cette année, a mérité l’attention de l’Académie suédoise des Lettres. Une réalité qui n’est pas celle du papier, mais qui vit avec nous et détermine chaque instant de nos innombrables morts quotidiennes, et qui nourrit une source de création insatiable, pleine de douleur et de beauté, de laquelle ce Colombien errant et nostalgique n’est qu’un bénéficaire de plus parmi d’autres, distingué par la chance. Poètes et mendiants, musiciens et prophètes, guerriers et racailles, toutes les créatures de cette réalité effrénée ont eu très peu à demander à l’imagination, parce que le plus grand défi fut pour nous l’insuffisance des moyens conventionnels pour rendre notre vie crédible. C’est cela, mes amis, le nœud de notre solitude. 
 
Si ces difficultés, dont nous partageons l’essence, nous engourdissent, il est compréhensible que les talents rationnels de ce côté du monde, exaltés par la contemplation de leurs propres cultures, sont restés sans méthode valable pour nous définir. Il est naturel qu’ils insistent pour nous définir avec les mêmes critères qu'ils utilisent pour eux-mêmes, omettant que les épreuves de la vie ne sont pas égales pour tous, et que la recherche de l’identité propre est aussi ardue et sanglante pour nous qu’elle le fut pour eux. L’interprétation de notre réalité avec des schémas qui ne sont pas les nôtres contribue seulement à nous rendre de plus en plus méconnus, de moins en moins libres, de plus en plus solitaires. Peut-être l’Europe vénérable serait plus compréhensive si elle essayait de nous voir à travers son propre passé. Si elle se rappelait que Londres a eu besoin de 300 ans pour construire sa première muraille et de 300 autres années pour avoir un évêque ; que Rome s’est débattue dans les ténèbres de l’incertitude pendant 20 siècles avant qu’un roi étrusque ne l’implantât dans l’histoire ; que ces Suisses pacifiques d’aujourd’hui, qui nous régalent de leurs fromages doux et de leurs montres apathiques, ont ensanglanté l’Europe avec leurs mercenaires, pas plus tard qu'au XVIe siècle. Même à l’apogée de la Renaissance, 12.000 lansquenets à la solde des armées impériales pillèrent et dévastèrent Rome, et passèrent au fil de l’épée 8000 de ses habitants.
 
Je ne cherche pas à incarner les illusions de Tonio Kröger, dont les rêves d’union entre un Nord chaste et un Sud passionné exaltaient Thomas Mann il y a 53 ans dans ce même lieu. Mais je crois que les Européens à l’esprit éclairé, qui luttent, ici aussi, pour une grande patrie plus humaine et plus juste, pourraient mieux nous aider s’ils reconsidéraient à fond leur manière de nous voir. La solidarité avec nos rêves ne nous fera pas nous sentir moins seuls tant qu'elle ne se concrétisera pas dans des actes de soutien légitime aux peuples qui assument l’illusion d’avoir une vie à eux dans la répartition du monde.
 
L’Amérique latine ne veut et n’a pas de raison d’être un fou sans volonté propre. Il n’est pas, non plus, chimérique de penser que sa quête d’indépendance et d’originalité devrait devenir une aspiration occidentale. Cependant, les progrès de la navigation, qui ont réduit tant de distances entre nos Amériques et l’Europe, semblent, en revanche, avoir augmenté notre distance culturelle. Pourquoi l’originalité qu’on nous admet sans réserve dans la littérature nous est refusée avec toute sorte de suspicions dans nos si difficiles tentatives de changement social ? Pourquoi penser que la justice sociale, que les Européens progressistes essaient d’imposer dans leurs pays, ne pourrait-il pas être aussi un objectif latino-américain, avec des méthodes distinctes dans des conditions différentes ?
 
Non : la violence et la douleur démesurées de notre histoire sont le résultat d’injustices séculières et d’amertumes innombrables, et non un complot ourdi à 3000 lieues de notre maison. Mais nombre de dirigeants et penseurs européens l’ont cru, avec l’infantilisme des anciens qui ont oublié les folies fructueuses de leur jeunesse, qu'il était impossible de trouver une autre destiné que de vivre à la merci des deux maîtres du monde. Telle est, mes amis, l’ampleur de notre solitude.
 
En dépit de tout ceci, face à l’oppression, au pillage et à l’abandon, notre réponse est la vie. Ni les déluges ni les pestes, ni les famines ni les cataclysmes, ni même les guerres éternelles à travers les siècles et les siècles n’ont réussi à réduire l’avantage tenace de la vie sur la mort. Un avantage qui grandit et s’accélère : chaque année il y a 74 millions de naissances de plus que de décès, un nombre suffisant de nouvelles vies pour multiplier, chaque année, sept fois la population de New York. La majorité de ces naissances ont lieu dans des pays avec moins de ressources, et parmi ceux-ci, bien sûr, ceux d’Amérique latine. En revanche, les pays les plus prospères ont réussi à accumuler assez de pouvoir de destruction pour anéantir cent fois non seulement tous les êtres humains qui ont existé jusqu’à aujourd’hui, mais la totalité des êtres vivants qui sont passés par cette planète de malheur.
 
Un jour comme celui-ci, mon maître William Faulkner a dit dans ce lieu : « Je me refuse à accepter la fin de l’Homme. » Je ne me sentirais pas digne d’occuper cette place qui était la sienne si je n’avais pas pleinement conscience que la tragédie colossale, qu’il se refusait à voir il y a 32 ans, est, pour la première fois depuis les origines de l’humanité, bien plus d’une hypothèse scientifique.
 
Devant cette réalité saisissante qui a dû paraître une utopie durant tout le temps humain, nous, les inventeurs de fables qui croyons tout, nous sentons le droit de croire qu’il n’est pas encore trop tard pour entreprendre la création de l’utopie contraire. Une utopie nouvelle et triomphante de la vie, où personne ne peut décider pour les autres de leur façon de mourir ; où l’amour prouve que la vérité et le bonheur sont possibles ; et où les races condamnées à cent ans de solitude ont, enfin et pour toujours, une deuxième chance sur terre.
 

Gabriel Garcia Marquez-Gabo : il a vécu pour la raconter

par Carlos Jiménez, 18/4/2014. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Si la seule mention du nom de Borges évoque irrésistiblement l'image d'une bibliothèque infinie, celle de  García Márquez évoque celle d'une vie incommensurable.
Lui n'aurait jamais dit ce que Borges avait dit de lui-même :"La vie et la mort ont manqué à ma vie" [et il poursuivait :"De cette indigence, mon amour laborieux pour ces bagatelles", dans le prologue à Discussion, 1932, NdT]. Car s'il y eut quelque chose de superflu dans la vie débordante et protéiforme de Gabo, ce fut bien la mort, qu'il désavoua dans une interview, parce qu'elle nous prive de qu'il avait de plus cher : la vie. Une vie qui, dans son cas, fut vécue avec une rare intensité depuis qu'à peine adolescent, sa précoce vocation littéraire ne l'enferma jamais dans une bibliothèque ni l'écarta de la rue, des amis, des femmes ou de la nuit.

Mais me voilà pris en flagrant délit de mensonge.

Lui-même a raconté que, quand il préparait son bac dans un internat du glacial clochemerle de  Zipaquirá, dans les environs de Bogotá, presque sans amis ni compagnie, il s'enfermait dans la bibliothèque pour lire des livres de poésie, avec le même zèle qui allait accompagner désormais tous ses engagements. On le comprend : pour un gars de la Côte comme lui, né et grandi au bord de la mer Caraïbe et donc habitué à ses gens remuants et chahuteurs et à ses chaleurs tout aussi extrêmes que ses tempêtes, cette ville collet monté et silencieuse, perdue dans les hauteurs vertigineuses des Andes et habitée par des hommes taciturnes et des femmes effacées aux silhouettes rendues floues par la brume et le crachin, lui semblait être une version de l'enfer plus convaincante et vraisemblable que ses représentations flamboyantes offertes par les ténébreux retables des églises coloniales.
Ses meilleurs biographes – comme Dasso Saldívar ou son frère Eligio García – rapportent que, jusqu'au jour béni où le premier tirage de Cent ans de solitude eut été épuise en un temps record à Buenos Aires, sa carrière littéraire s'était confondue avec celle d'un indomptable chien fou d'écrivain poussé à errer d'un lieu à l'autre aussi bien par sa vocation impétueuse que par ses vicissitudes, celles de sa famille et de son pays, tel une feuille morte portée par la bourrasque. Ainsi il alla d'Aracataca à Zipaquirá, de Zipaquirá à Bogotá et de là à Cartagena, à Montería puis à Barranquilla et de nouveau à Bogotá, pour de là aller pour la première fois à Paris, d'où il revint à Bogotá,  juste pour préparer le voyage vers Mexico, qui en fin de compte devint sa résidence définitive.  Il ne cessa jamais, dans aucune de ces stations, de cultiver et de faire croître sa vocation littéraire : La hojarasca (Des feuilles dans la bourrasque), El coronel no tiene quien le escriba (Pas de lettre pour le colonel) et Cent ans de solitude sont là pour le prouver. Mais cela ne l'empêcha jamais de vivre sa vie avec une passion sans fissures, allant de pair avec le sobre fatalisme qui habite tant de ses meilleures pages.
Le succès de Cent ans de solitude le rendit célèbre et le conduisit à Barcelone, lui permettant de déployer plus largement et plus librement sa vocation politique. Car il faut ici le rappeler, en ce jour où les nécrologies pleuvent de toutes parts : Gabo fut un modèle d'écrivain engagé (en français dans le texte), comme l'avaient été en leur temps Ernst Hemingway, Ilya Ehrenbourg ou André Malraux. Ou, à l'autre extrémité de l'arc politique, Curzio Malaparte ou Louis -Ferdinand Céline. L'emblème de cet engagement est son amitié indéfectible avec Fidel Castro,un leader politique dont García Márquez lui-même a tenté de déchiffrer la dimension historique contradictoire et complexe dans L'Automne du patriarche, son œuvre la plus risquée et difficile, qu'il faudrait d'ailleurs lire parallèlement à La mort de Virgile, d'Hermann Broch, une précieuse réflexion sur les relations entre le poète et l'empereur.

Cette fidélité de García Márquez à Fidel Castro irrite particulièrement les critiques libéraux et dans le meilleur des cas, ils la voient comme une verrue qui défigure une œuvre littéraire d'une qualité absolument indiscutable.  Ce n'est pas pour rien qu'on lui a décerné le prix Nobel de Littérature. Mais ces critiques oublient où rejettent avec dédain un "détail" : Gabriel García Márquez, "un des onze fils du télégraphiste d'Aracataca", dont la première source d'inspiration furent les récits de sa grand-mère, est inscrit dans l'histoire vivante de la Caraïbe, celle qui se transmet oralement de génération en génération et à laquelle se réfèrent de manière récurrente les légendes comme la musique populaires.  Et cette histoire est chargée de toutes les tragédies que cinq siècles de colonialisme et de néocolonialisme ont produit dans la Caraïbe, dont les formes les plus perverses d'esclavage moderne et les dizaines d'invasions et de coups d'État concoctés ou appuyés par les gouvernements de Washington. García Márquez ne pouvait donc que sympathiser avec le radicalisme de la tentative de la révolution cubaine de mettre fin à cette histoire infâme et avec le leader qui, qu'on le veuille ou non, incarne ce radicalisme : Fidel Castro.

En son temps, la France  lui décerna la Légion d'Honneur et lui-même posséda un appartement à Paris. Mais ni cet honneur ni ce privilège ne lui firent oublier cette nuit funeste des années 50 du siècle passé où la gendarmerie française, en représailles pour un attentat terroriste du FLN, donna la chasse à tous les Algériens résidant alors à Paris*. Ils en arrêtèrent et tabassèrent des milliers – et parmi eux, García Márquez, qu'ils prirent pour l'un d'eux a – et en jeta un nombre indéterminé à la Seine. Tout simplement pour qu'ils se noient.
Gabo pardonnait mais n'oubliait pas. Son œuvre journalistique  est immense et aussi éblouissante que le reste de ses écrits. Mais parmi elle, il faut citer les chroniques qu'il consacra à la révolution et à la guerre civile en Angola et à l'audacieuse intervention, qui fut décisive, de Cuba. Leur qualité est au moins comparable aux chroniques sur la Guerre civile espagnole écrites par  Hemingway, Dos Passos, Ehrenbourg, Koestler.... Avec la chronique trépidante de l'aventure risquée de Miguel Littin allant tourner clandestinement un film sur le Chili de Pinochet, elles sont des preuves suffisantes de ce que Gabriel García Márquez fut un formidable écrivain politique et qu'il faut le lire comme tel.
* Le 17 octobre 1961 à Paris. Il y eut entre 200 et 500 morts (officiellement : 2) [NdT]
 

samedi 19 avril 2014

160 ans après : vers une nouvelle guerre de Crimée ?

par Fausto Giudice, écrit le 3 mars/escrito el 3 de marzo de 2014
Roger Fenton, Le Zouave blessé/El Zuavo herido, 1855


à la dérive de périphérie à périphérie
Lettres de Tunis

160 ans après : vers une nouvelle guerre de Crimée ?

Medellín, Colombie, avril 2014

Ma première chronique est consacrée aux événements d'Ukraine, qui focalisent l'attention de l'Europe et du monde méditerranéen depuis plusieurs semaines. Actuellement l'Empire se livre à des opérations de déstabilisation de grande envergure, simultanément au Venezuela et en Ukraine, qui ne peuvent faire oublier qu'il a échoué dans ses plans en Irak, en Afghanistan et en Syrie.



Le coup d'État "soft" qui a destitué le président ukrainien Yanoukovitch le 22 février dernier a mis en route un mécanisme infernal qui risque de déboucher sur une nouvelle guerre dont le premier champ de bataille pourrait être la péninsule de Crimée. Le 27 mars 1854, la France, le Royaume-Uni et l'Empire ottoman déclaraient la guerre à l'Empire russe. Ces "alliés" allaient être rejoints un an plus tard par le Royaume de Sardaigne. L'épisode le plus spectaculaire et le plus sanglant de cette guerre fut le siège par les "alliés" de la ville de Sébastopol tenue par les forces russes. Il dura 332 jours et fit environ 250 000 morts des deux côtés. La guerre de Crimée fut la première guerre "moderne" dans plusieurs sens : elle fut fortement médiatisée, notamment par des photographes anglais "embarqués", et elle vit naître le droit humanitaire de guerre, autrement dit une tentative de rendre la guerre plus "humaine". Le Traité de Paris mettant fin à la guerre est signé le 30 mars 1856 : il déclare la neutralité de la mer Noire, y interdit la navigation aux navires de guerre ainsi que la construction de fortifications et, en même temps proclame le principe de la liberté des détroits. Sont visés en premier lieu le détroit des Dardanelles et celui du Bosphore, qui permettent le passage de la mer Noire vers la Méditerranée. Mais cette liberté ne s'applique qu'aux bateaux civils. La flotte de guerre russe se retrouve ainsi enfermée dans la mer Noire.

La Crimée, occupée et colonisée par l'Empire russe à partir de 1774, est aujourd'hui une république autonome faisant partie de l'Ukraine, où la ville de Sébastopol jouit d'un statut particulier, avec son arsenal et son port militaire loués à la Russie jusqu'en 2042. 60% des habitants sont de langue et de culture russe, 24% de langue ukrainienne et 12% sont des Tatars, turcophones et musulmans. La majorité de la population semble avoir pris position contre la destitution du président Yanoukovitch et être plutôt favorable au maintien de relations étroites avec la Russie, voire à une réincorporation dans la Fédération de Russie. La prise de contrôle par des forces russes et/ou pro-russes des principaux points d'accès à la péninsule et des lieux stratégiques comme l'aéroport de Simferopol a suscité une tempête, de Kiev à Washington, en passant par Varsovie et Bruxelles. Le spectre de l'occupation de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie le 21 août 1968 rôde évidemment dans les esprits.

Sur la place de l'Indépendance à Kiev, les orateurs se succèdent pour appeler les Ukrainiens à se battre pour la "liberté" de la "nation ukrainienne". Mais peu semblent prêts à aller se battre éventuellement contre les forces spéciales de l'armée russe. L'armée ukrainienne est réduite à un squelette amorphe et les nouveaux leaders issus du coup d'État du 22 février ne semblent pas très enthousiastes à l'idée d'une guerre avec la Russie. Le boxeur Vitali Klitchko, du parti UDAR, qui est parrainé et "conseillé" par l'Allemagne et la Pologne, a même proposé de négocier avec Moscou. Et Angela Merkel lui a emboîté le pas, proposant la création d'un "groupe de contact" pour entamer "un dialogue politique" en Ukraine. Proposition aussitôt acceptée par Vladimir Poutine.

 Quant au chef de la marine ukrainienne, l'amiral Denis Berezovski, à peine nommé, il a tout simplement fait allégeance aux autorités de la république autonome de Crimée, autant dire à la Russie, ce pour quoi il a été destitué par Kiev, qui envisage de le juger pour "haute trahison"…

Les Ukrainiens, une fois de plus, payent un prix élevé pour leur situation géographique et leur histoire tragique. Ils se retrouvent au cœur d'une nouvelle Guerre froide ou plutôt d'un simulacre de Guerre froide, car ni les USA ni la Russie n'ont vraiment les moyens de s'y livrer et les Européens, à commencer par les Allemands, les Polonais et les Français ne semblent pas très enthousiastes à l'idée de s'y engouffrer. Les Polonais frémissent déjà à l'idée de devoir accueillir des flots de réfugiés ukrainiens sur leur territoire, ce dont évidemment on se préoccupe peu à Washington.

L'objectif principal de Washington est de casser toute velléité d'autonomie européenne par rapport à sa volonté de "total control" planétaire : contrôle des ressources, des marchés, des sociétés. Donc, pas question de tolérer une once de "gaullisme-adenauerisme" de la part des Français et des Allemands, et encore moins des Polonais ou des Baltes. L'objectif des Européens est beaucoup plus prosaïque : ils sont désormais dépendants du gaz russe, qui assure entre un quart et un tiers de leurs besoins. Et ce gaz transite par l'Ukraine. Si Moscou ferme le robinet, l'Europe de l'Ouest meurt de froid, tout simplement. Et quant à associer l'Ukraine à l'Union européenne, Bruxelles ne se sent pas vraiment prête à injecter les milliards nécessaires pour "mettre à niveau" un pays mis à plat par 20 ans d'indépendance, qui ont été 20 ans de corruption, de casse et de pillage par les nouveaux oligarques.

Il n'y aura donc sans doute pas de nouvelle Guerre de Crimée sur le terrain, mais seulement dans l'espace virtuel. Et la "nation ukrainienne" va continuer pendant longtemps encore à n'exister que dans le monde virtuel et imaginaire de nationalistes en retard d'un siècle et demi. Comme le dit Brecht, "
L’homme veut avoir du pain, oui,/Il veut pouvoir manger tous les jours./Du pain et pas de mots ronflants, /Du pain et pas de discours. ".

L'auteur est journaliste, traducteur, écrivain et éditeur. Il vit à Tunis. Il rêve depuis longtemps au jour où il pourra aller boire un rhum au Parque del Obrero d'Itagüi, à la périphérie de Medellín

Patinando de periferia a periferia
Cartas desde Túnez
160 Años después: ¿hacia una nueva guerra de Crimea?

Medellín, Colombia, Abril de 2014

Mi primera columna está dedicada a los acontecimientos en Ucrania, que centran la atención de Europa y del mundo Mediterráneo desde hace varias semanas. Actualmente el Imperio realiza  operaciones  de desestabilización a gran escala, simultáneamente en Venezuela y en Ucrania, operaciones estas que no puede hacernos olvidar que ha fracasado en sus planes en Irak, Afganistán y Siria.



El golpe de Estado “ soft “ (blando) que depuso al Presidente de Ucrania, Yanoukovitch el 22 de febrero último ha puesto en marcha un mecanismo infernal que podría dar lugar a una nueva guerra cuyo primer campo de batalla podría ser la península de Crimea. El 27 de marzo de 1854, Francia, el Reino Unido y del Imperio Otomano declararon la guerra al imperio ruso. A estos "aliados" se les unirían un año más tarde el Reino de Cerdeña. El episodio más dramático y más sangriento de la guerra fue el asedio de los "aliados" a la ciudad de Sebastopol en poder de las fuerzas rusas. Duró 332 días y causó alrededor de 250 000 muertes en ambos lados. La Guerra de Crimea fue la primera guerra "moderna" en varios sentidos: fue muy publicitada, en particular por los fotógrafos británicos "incrustados", y ella vio nacer el derecho humanitario de la guerra, es decir, un intento de hacer la guerra "humanitaria " El 30 de marzo 1856: se firmó el Tratado de Paris, poniendo fin a la guerra: declara la neutralidad del Mar Negro, que prohíbe la navegación a los buques de guerra, así como la construcción de muros y, al mismo tiempo proclama el principio de la libertad de los estrechos. Se trata en primer lugar de los Dardanelos y el Bósforo, que permite el paso del Mar Negro al Mediterráneo. Pero esta libertad sólo se aplica a los buques civiles. La flota de guerra rusa  por lo tanto se encuentra bloqueada en el Mar Negro.



Crimea, ocupada y colonizada por el imperio ruso en 1774, es hoy  una parte de la República Autónoma de Ucrania, en donde la ciudad de Sebastopol tiene un estatus especial con su arsenal y su puerto militar arrendado a Rusia hasta el 2042. El 60% de los habitantes son de lengua y cultura rusa, el 24% del Ucraniano y el 12% son tártaros, turcos y musulmanes. La mayoría de la población parece haber tomado posición contra la destitución del presidente Yanukovich y ser más bien favorables a mantener lazos estrechos  con Rusia, e incluso una reincorporación en la Federación Rusa. La toma del poder por las fuerzas rusas y / o pro rusas de los principales puntos de acceso  a la península y a los lugares estratégicos como el aeropuerto de Simferopol ha suscitado una tormenta, de Kiev a Washington pasando  por  Varsovia y Bruselas. El espectro de la ocupación de Checoslovaquia por las tropas del Pacto de Varsovia el 21 de agosto 1968esta evidentemente en las  mentes.
En la Plaza de la independencia de Kiev, los oradores  se suceden para llamar a los ucranianos a luchar por la "libertad" de la "nación ucraniana". Pero al parecer son pocos los que están dispuestos a luchar contra las fuerzas especiales del ejército ruso. El ejército ucraniano esta reducido a un esqueleto Amorfo y los nuevos líderes procedentes del golpe de Estado del 22 de febrero no parecen muy entusiasmados con la idea de una guerra con la Federación de Rusia El boxeador Vitali Klitchko, del partido UDAR, que es patrocinado y "aconsejado" por Alemania y Polonia, incluso ha propuesto negociar con Moscú. Y Angela Merkel ha seguido su ejemplo, proponiendo la creación de un "grupo de contacto" para entablar un "diálogo político" en Ucrania. Propuesta aceptada inmediatamente por Vladimir Poutine.

En cuanto al recién nombrado  jefe de la marina ucraniana, Almirante Denis Berezovsky, simplemente  declaró su  lealtad al gobierno  autónomo de Crimea, es decir a favor  de la Federación de Rusia, por  lo que fue destituido por Kiev, que prevé juzgarlo por  "alta traición"…

Los ucranianos, una vez más, pagan un alto precio por su ubicación geográfica y su trágica historia. Se encuentran en el corazón de una nueva guerra fría o más bien de un simulacro de la guerra fría, porque ni Estados Unidos ni Rusia tienen realmente los medios de lanzarse y los europeos, empezando por los alemanes, los poloneses y los franceses no parecen muy entusiasmados con la idea de dar el paso. Los poloneses tiemblan ya ante la idea de tener que acoger a las oleadas de refugiados ucranianos en su territorio, lo que obviamente preocupa poco a Washington.

El principal objetivo de Washington es romper cualquier intento de autonomía europea en relación con su compromiso de "control total" mundial: control de los recursos, los mercados, las empresas. Por lo tanto, no se puede tolerar ni una onza de "Gaullismo-adenauerisme" por parte de los franceses y los alemanes y aún menos de los poloneses o  los baltos.  El objetivo de los europeos es mucho más básico: son ahora dependientes del gas ruso, que garantiza entre un cuarto y un tercio de sus necesidades. Y este gas transita por Ucrania. Si Moscú cierra la válvula, sencillamente la Europa occidental muere de frío. Y en cuanto a asociar a Ucrania a la Unión Europea, Bruselas no se sienten verdaderamente dispuesta a inyectar los millones  necesarios para "actualizar" un país aplastado por 20 años de independencia,  que fueron 20 años de corrupción , de destrucción y de saqueo por los nuevos oligarcas.

No habrá sin duda en el terreno  una nueva Guerra de Crimea, solamente en el espacio virtual. Y la "nación ucraniana" va a seguir durante mucho tiempo a existiendo solamente en el mundo virtual e  imaginario de nacionalistas atrasados en un siglo y medio. Como dice Brecht, "el hombre quiere tener PAN, sí/ desea poder comer todos los días. / PAN y no palabras altisonantes, / PAN y no discursos. ".

El autor es periodista, traductor, escritor y editor. Vive en Túnez. Sueña desde hace mucho tiempo con el  día en que podrá ir a beber ron en el Parque del Obrero de Itagüí

NdT :  Tanto de Gaulle como Adenauer fueron protagonistas de la coexistencia pacífica con la Unión Soviética

Traducido por María Piedad Ossaba