vendredi 26 décembre 2014

Shema


Voi che vivete sicuri
Nelle vostre tiepide case,
Voi che trovate tornando a sera
Il cibo caldo e visi amici:

Considerate se questo è un uomo,
Che lavora nel fango
Che non conosce pace
Che lotta per mezzo pane
Che muore per un sì o per un no.
Considerate se questa è una donna,
Senza capelli e senza nome
Senza più forza di ricordare
Vuoti gli occhi e freddo il grembo
Come una rana d'inverno.

Meditate che questo è stato:
Vi comando queste parole.
Scolpitele nel vostro cuore
Stando in casa andando per via,
Coricandovi alzandovi:
Ripetetele ai vostri figli.
O vi si sfaccia la casa,
La malattia vi impedisca,
I vostri nati torcano il viso da voi.

Primo Levi
10 gennaio 1946

       Vous qui vivez en toute quiétude
       Bien au chaud dans vos maisons
       Vous qui trouvez le soir en rentrant
       La table mise et des visages amis

       Considérez si c'est un homme
       Que celui qui peine dans la boue,
       Qui ne connait pas de repos,
       Qui se bat pour un quignon de pain,
       Qui meurt pour un oui pour un non.
       Considérez si c'est une femme
       Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
       Et jusqu'à la force de se souvenir,
       Les yeux vides et le sein froid
       Comme une grenouille en hiver.

       N'oubliez pas que cela fut,
       Non, ne l'oubliez pas:
       Gravez ces mots dans votre cœur.
       Pensez-y chez vous, dans la rue,
       En vous couchant, en vous levant;
       Répétez-les à vos enfants.
       Ou que votre maison s'écroule;
       Que la maladie vous accable,
       Que vos enfants se détournent de vous.
Primo Levi
10 janvier 1946



vendredi 19 décembre 2014

Pièces d'échecs : Souvenir des Tupamaros

par   Rolando Gómez, 18/12/2014. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: Piezas de ajedrez: Recuerdo tupamaro

Le sénateur Enrique Erro * est venu dans ma cellule le soir où on lui a annoncé sa prétendue libération (nous avons su plus tard que ce ne était pas le cas, mais seulement un transfert à une prison de Buenos Aires). Il venait réclamer à l'avance ce que je lui avais promis : lui offrir le jeu d'échecs que je fabriquais à la main avec de la mie de pain, et qu'il lui avait tant plu me regarder le faire avec patience et du temps à revendre.
Le jeu n'était pas encore terminé. J'avais commencé par les pions, faciles à faire, qui avaient une tête ronde, une coiffure avec une frange et une jupe à franges supposée leur donner un aspect de pages médiévaux. Mais ceux dont j'étais le plus fier étaient les fous : un casque à pointe, un blason médiéval sur la poitrine, et une lance verticale réalisée en insérant un cure-dent dans la mie avant qu'elle sèche. Les pièces noires étaient colorées avec du café; les blanches avec de la simple salive et un séchage prolongé, ce qui leur avait donné une couleur jaunâtre. Les pièces contenaient des inserts de couleur opposée. Par exemple, le bouclier des fous noirs avait une croix blanche incrustée, le bouclier des fous blancs un cheval noir. À cette époque, j'avais suffisamment de temps pour essayer différents styles et techniques, ce qui me permettait d'écarter ceux qui ne me satisfaisaient pas. Les chevaux avaient un aspect assez réaliste. Le roi blanc, qui était alors le seul que j'avais fait, avait une longue barbe en relief et brandissait une épée couleur café. L'ensemble qui commençait à prendre forme était d'une certaine manière impressionnant. Je n'avais jamais pensé jusqu'alors avoir des qualités d'artisan.

mercredi 17 décembre 2014

De la Bataille d'Ayacucho aux 43 d'Ayotzinapa

par José Steinsleger, 10/12/2014. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original:
De Ayacucho a los 43 de Ayotzinapa

Les astérisques renvoient à des notes du traducteur

Deux Amériques: celle du «Nord convulsif et brutal»* qui regarde celle du Sud avec un intérêt méprisant et avide, et celle qui, il y a 190 ans, a mis fin au pouvoir espagnol dans les plaines d'Ayacucho (Pérou, 9 décembre 1824). À laquelle le Mexique se rattache-t-il ?



9 décembre 1824 : La glorieuse bataille d'Ayacucho gagnée par l'armée patriotique sous le commandement du général Antonio José Sucre a assuré l'indépendance de l'Amérique du Sud
Deux Bolivar: celui qui, face à l'énorme défi de son projet politique, estimait qu'il avait "labouré la mer" mais a néanmoins continué à dire : "Nous ne pouvons vivre que de l'union". Quel est le «nous» qui convient au Mexique?

Deux Mexique: la "nation américaine" de Hidalgo et Morelos et celui, néoporfiriste*, qui nie et occulte les «faits» de son histoire, en les réduisant à de simples «événements» sujets à «interprétation». Et pour lesquels il n'y a donc pas une vérité unique, destructrice et brutale.

mardi 16 décembre 2014

La bataille pour le Mexique


par John M. Ackerman, 15/12/2014. Traduit par  Fausto Giudice, TlaxcalaOriginal: La batalla por México

À la mémoire de Vicente Leñero, Anayeli Bautista*et Erika Kassandra,
graines de la seconde révolution mexicaine

Le mouvement qui a émergé suite à la disparition et au massacre des étudiants d'Ayotzinapa a d'énormes implications mondiales et historiques. La bataille pour les ressources naturelles, la culture millénaire et le système politique mexicains constitue une épreuve de force à la fois pour l'oligarchie mondiale et son appareil répressif et pour la mobilisation citoyenne mondiale pour la paix, l'environnement et la justice. Il est de la responsabilité de tous les Mexicains à l'intérieur et à l'extérieur du pays, ainsi que des citoyens concernés à travers le monde de mettre leur grain de sable pour assurer que la crise actuelle ne débouche pas sur une renaissance du fascisme mondial et, au contraire, ouvre la voie à la libération humaine.

"1808-1936 :de nouveau pour l'indépendance de l'Espagne", affiche de l'artiste espagnol Renau (1907-1982)
Le Mexique joue aujourd'hui un rôle similaire à celui de l'Espagne pendant la guerre civile de 1936-1939. Le résultat tragique de ce conflit a ouvert la voie au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Cinq mois seulement après que le général Francisco Franco eut proclamé sa victoire sur les forces républicaines en 1939, réalisée avec le soutien de l'Allemagne nazie, Adolf Hitler envahit la Pologne. Par la suite le nombre de personnes exterminées chaque jour dans les "camps de concentration" du Troisième Reich devait se multiplier exponentiellement.

dimanche 14 décembre 2014

Mexique: l'ombre de l'armée sur Ayotzinapa

par Fabrizio Lorusso, 11/12/2014. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: México: La sombra del ejército sobre Ayotzinapa 


Dès début octobre, les groupes de guérilla dans l'État de Guerrero, d'abord l'Armée Populaire Révolutionnaire (EPR) puis l'Armée révolutionnaire du peuple insurgé les (ERPI), ont émis plus de 10 communiqués impliquant l'armée mexicaine dans la disparition des 43 normaliens à Iguala.
Leurs déclarations sont passées presque inaperçues, bien que de nombreuses déclarations de parents et de membres de l'Union des peuples et des organisations de l'État de Guerrero (UPOEG), dont font partie plusieurs parents des étudiants disparus, se soient orientées vers la même hypothèse, qui est plutôt une accusation.

Le message signalait que parmi les responsables de la disparition des 43 normaliens, il avait deux officiers du 27ème Bataillon d'infanterie : le lieutenant Barbosa et le capitaine Crespo, impliqués dans l'organisation.

mardi 9 décembre 2014

Mexique: ce sont tous des Abarca*

par John M. Ackerman, 8/12/2014. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: México: Todos son Abarca

À la mémoire de Vicente Leñero ** et Alexander Mora***,
exemples de dignité rebelle et graines de révolution

L'effervescence sociale et de la solidarité internationale suscitées par le massacre  d'Iguala ont déjà dépassé en puissance les événements à la fois de 1968 et de 1994 au Mexique. Ni le mouvement étudiant historique des années soixante ni le soulèvement indigène des  années quatre-vingt-dix  grands n'avaient réussi en aussi peu de temps à provoquer un si fort basculement de la conscience et de l'autonomisation sociale. Les nouveaux temps de maturation citoyenne,  de communication numérique et d'effondrement impérial ont facilité l'émergence d'un mouvement national dont la flamme pourra difficilement être éteinte à  court terme.
http://tlaxcala-int.org/upload/gal_9630.jpg
"Aujourd'hui est un jour nuageux et triste, mais ce crime d'État ne restera pas impuni. Si ces meurtriers pensent que nous allons pleurer la mort de nos garçons, ils se trompent. A partir d'aujourd'hui, nous désavouons le gouvernement assassin d'Enrique Peña Nieto. Que le Président nous écoute bien : les jours de vacances pourront venir pour ceux qui ne ressentent pas la douleur, mais il n'y aura pas de repos pour le gouvernement  peñiste S'il n'y aura pas de Noël pour nous, il n'y en aura pas non plus pour le gouvernement. Nous savons que la mort  d'Alexander servira à faire fleurir la  révolution".

mardi 2 décembre 2014

Le Plan Juncker dans une Europe orwellienne


par Luigi Pandolfi. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Démêler un écheveau comme celui de la gestion européenne de la crise est devenu toujours plus difficile. Et l'exercice consistant à la raconter est devenu encore plus difficile. Je m'explique.
La mise en place de la nouvelle Commission n'a rien changé à l'approche par les sommets européenne du thème de l'austérité. Aucun des nouveaux commissaires n'a jusqu'ici soufflé mot sur la nécessité de revoir les protocoles rigides du pacte budgétaire en vigueur, et encore moins d'examiner l'hypothèse - à ce jour la plus sérieuse – d'une restructuration de la dette. En revanche, on a droit à un flot de paroles sur la croissance, l'investissement et l'emploi, un véritable déluge. On a l'impression d'être plongés dans un scénario orwellien, où une forme très sophistiquée de novlangue masque systématiquement, scientifiquement, de formules inappropriées des choix (et des non-choix) qui vont dans la direction opposée à celle officiellement déclarée.

De Draghi à Juncker, en passant par les comparses qui peuplent la scène politique nationale dans les pays membres, on n'en finit plus de gloser sur le caractère intenable de «la rigueur comme fin en soi», sur la nécessité de «relancer l'économie», de «créer de nouveaux emplois », alors que, dans la pratique, on reste retranchés, et subordonnés, dans la défense à outrance de l'actuelle gouvernance communautaire, dont l'essence fondamentale et indécrottable réside justement dans la rigueur et la surveillance pointilleuse des budgets publics.