samedi 21 février 2015

Malcolm X avait raison sur les USA

par Chris Hedges, Truthdig, 1/2/2015.Traduit par  Nicolas Casaux, édité par  Fausto Giudice
Original: Malcolm X Was Right About US-America

NEW-YORK  — Malcolm X, contrairement à Martin Luther King, ne pensait pas que l’Amérique ait une conscience. Pour lui, il n’y avait pas de grande contradiction entre les nobles idéaux de la nation — une imposture à ses yeux — et l’échec à rendre justice aux noirs. Il avait compris, peut-être mieux que King, les mécanismes inhérents à l’empire. Il n’espérait pas des dirigeants de l’empire qu’ils se reconnectent à la bonté en eux afin de construire un pays débarrassé de l’injustice et de l’exploitation. Il expliquait que depuis l’arrivée du premier bateau d’esclaves jusqu’à l’apparition de notre vaste archipel de prisons et de nos sordides colonies intérieures, où les pauvres sont piégés et maltraités, l’empire US était inexorablement hostile à ceux que Frantz Fanon appelait les « damnés de la terre ». Cela, et Malcolm en était conscient, ne changerait pas tant que l’empire ne serait pas détruit.
« Il est impossible que le capitalisme survive, premièrement parce que le système capitaliste a un besoin perpétuel de sang à sucer », disait Malcolm. « Le capitalisme était un aigle, c’est maintenant un vautour. Il était assez puissant pour sucer le sang de n’importe qui, des forts comme des faibles. Mais aujourd’hui il est devenu plus couard, comme le vautour, et il ne peut plus sucer que le sang des faibles. À mesure que les nations du monde se libèrent, le capitalisme a moins de victimes potentielles à sucer, et il s’affaiblit. Ce n’est qu’une question de temps avant l’effondrement complet. »
http://tlaxcala-int.org/upload/gal_9779.jpg
King obtint une victoire légale à travers le mouvement des droits civiques, comme le montre le nouveau film « Selma ». Mais il échoua à faire naitre la justice économique, et à détourner l’appétit vorace de la machine de guerre qu’il savait pertinemment responsable des abus de l’empire sur les opprimés à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Et 50 ans après l’assassinat de Malcolm X à l’Audubon Ballroom de Harlem par des tueurs à gages de la Nation de L’Islam, il apparait clairement que c'était lui, et pas Martin Luther King, qui avait raison. Il savait quelle nation nous sommes. Les humains peuvent se racheter. Pas les empires. Notre refus de regarder en face la vérité sur l’empire, de nous attaquer à la multitude de ses crimes et de ses atrocités, a fait naître le cauchemar que Malcolm avait prédit. Et à mesure que l’ère numérique et la société post-lettrée implantent une amnésie historique terrifiante, ces crimes sont effacés aussi vite qu’ils sont commis.
 

jeudi 19 février 2015

American Sniper : Tuer des Bougnoules pour Jésus

par Chris Hedges, Truthdig, 25/1/2015
Traduit par Nicolas Casaux, Le Partage, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

chris_hedges Christopher Lynn Hedges (né le 18 septembre 1956 à Saint-Johnsbury, au Vermont) est un journaliste et auteur US. Récipiendaire d’un prix Pulitzer, Chris Hedges fut correspondant de guerre pour le New York Times pendant 15 ans. Reconnu pour ses articles d’analyse sociale et politique de la situation US, ses écrits paraissent maintenant dans la presse indépendante, dont Harper’s, The New York Review of Books, Mother Jones et The Nation. Il a également enseigné aux universités Columbia et Princeton. Il publie une chronique chaque lundi pour le site Truthdig.com. 
American Sniper célèbre le plus répugnant des aspects de la société US - la culture du flingue, l'adoration aveugle de l'armée, la croyance que l'on a un droit inné en tant que nation "chrétienne" à exterminer les "races inférieures" de la Terre, une hypermasculinité grotesque qui bannit toute compassion et pitié, un déni des faits qui dérangent et des vérités historiques, et un dénigrement de la pensée critique et de l'expression artistique. Beaucoup d'Américains, surtout les blancs prisonniers d'une économie au point mort et d'un système politique dysfonctionnel, sont galvanisés par le supposé renouveau moral et le contrôle militarisé rigide que ce film célèbre. Ces passions, si elles se réalisent, feront disparaitre le peu qu'il reste de notre société ouverte désormais anémique.
Le film s'ouvre sur un père et son fils chassant le daim. Le garçon tire sur l'animal, lâche son fusil et court vers sa proie.
"Reviens ici", hurle son père. "On ne laisse jamais son fusil par terre".

"C'était un sacré tir, fils", dit le père. "Tu as un don. Tu feras un excellent chasseur un jour."

La caméra montre ensuite l'intérieur d'une église où une congrégation de chrétiens blancs — les noirs apparaissent aussi peu dans ce film que dans ceux de Woody Allen — écoutent un sermon à propos du plan de Dieu pour les chrétiens d'Amérique. Le personnage correspondant au titre du film, basé sur Chris Kyle, qui deviendra le sniper le plus meurtrier de l'histoire de l'armée US, va, c'est ce que laisse entendre le sermon, être appelé par Dieu à utiliser son "don" afin de tuer les méchants. La scène suivante nous montre la famille Kyle dans la salle à manger alors que le père entonne avec l'accent texan: "Il y a trois types de gens dans ce monde: les moutons, les loups, et les chiens de berger. Certains préfèrent penser que le mal n'existe pas dans le monde. Et si un jour ils étaient directement menacés, ils ne sauraient pas comment se protéger. Ce sont les moutons. Et puis tu as les prédateurs".
"Ce n'est pas de la propagande quand c'est l'Amérique qui le fait". A gauche, un film de propagande nazie, "La fierté de la nation", utilisé par Quentin Tarantino dans "Inglorious Bastards"
Lire la suite

mercredi 18 février 2015

La raison délirante de l’Europe, un nouveau fascisme mou ?

par Laurent de Sutter, Libération, 10 février 2015 
Laurent de Sutter est professeur de théorie du droit,
à la Vrije Universiteit de Bruxelles,
directeur de la collection «Perspectives critiques»
aux Presses universitaires de France et écrivain

Il est temps d’ouvrir les yeux : les autorités qui se trouvent à la tête de l’Europe incarnent un fascisme nouveau. Ce fascisme, ce n’est plus celui, manifeste et assumé, qui a fait du XXsiècle l’un des grands siècles de la laideur politique ; il s’agit plutôt d’un fascisme mou et retors, dissimulant ses intentions mauvaises derrière un langage qui se voudrait de raison. Mais la raison que manifestent tous ceux qui, aujourd’hui, se trouvent forcés de discuter avec le Premier ministre grec, Aléxis Tsípras, est en réalité une raison délirante. Elle l’est sur plusieurs plans.
Vladimir Kazanevsky, Ukraine

jeudi 5 février 2015

Le gouvernement Tsipras, le pain, les roses et nous (les femmes)

par Annamaria Rivera, MicroMega, 3/2/2015
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 
"Vous ne pouvez pas démanteler la maison du maître avec les outils du maître". Je sais, la citation de l'écrivaine féministe africaine-américaine Audre Lorde est galvaudée. Néanmoins, la mettre en exergue peut être efficace pour énoncer d'emblée les points noirs qui, à mon sens, rendent moins brillante et lisse la victoire de Syriza, si extraordinaire soit-elle.
Du côté de la gauche, le seul fait d'émettre des doutes ou simplement un trouble, même après juré fidélité à la cause grecque, vous range déjà dans les rangs de l'ennemi. À tout le moins, vous vous retrouvez à figurer parmi ceux qui ne savent pas faire la distinction entre le principal et le secondaire, comme une radical chic qui ne voit pas les masses affamées par la Troïka et disserte sur des "détails" comme le patriarcat, le racisme, l'antisémitisme, l'homophobie ... Et il ne sert à rien que vous ayez écrit plus d'une fois - par exemple, lorsque le gouvernement Monti venait de s'installer - contre les politiques d'austérité de ces exécuteurs compassés des ordres de la Banque centrale européenne, alors que certains de ceux qui, aujourd'hui, sont "avec Tsipras", avouent avoir été des fans de Mario Monti. Le climat ressemble un peu à celui, pas si lointain,  où le fait de manifester un doute quelconque sur le «modèle socialiste» cubain vous valait d'être rangé dans le camp de l'impérialisme US. Soyons claire : il ne s'agit pas de remettre en cause le tournant prodigieux marqué par la victoire de Syriza par rapport aux politiques européennes de rigueur, d'austérité et de catastrophe sociale. Ni de nier l'importance du fait d'avoir violé le tabou de l'inévitabilité et dans quelle mesure cette victoire peut encourager, en  chaîne, d'autres soulèvements contre les diktats de la Troïka.

mardi 3 février 2015

Lettre ouverte d'un musulman français à Imran Hussein
En réponse à son appel à l’ « émigration » lancé à notre communauté

par Sayed7asan, 3/2/2015
Cette lettre ouverte est la réponse d’un musulman français à l’appel à l’émigration lancé par « Cheikh » Imran Hussein aux musulmans de France suite à l’attaque contre Charlie Hebdo. Une première version lui en a été adressée à titre privé le 25 janvier, en anglais, et n’a pas reçu de suite notable – sinon une dérobade condescendante et un renvoi à un nouvel appel plus tonitruant encore de folie furieuse, qui n’a heureusement pas été relayé. Elle est maintenant publiée en tant que lettre ouverte, dans une version enrichie et structurée afin d’en faciliter la lecture et la compréhension, mais elle garde la même teneur que la lettre qui fut adressée à Imran Hussein via courriel. Ce n’est pas tant pour obtenir une réponse de sa part que nous publions cette lettre – car il n’est manifestement pas dans une démarche d’ouverture et de dialogue mais de prédication fanatique et forcenée – qu’à destination des publics français.
Imran Hussein est parfois présenté comme un savant de l’Islam spécialiste de « l’eschatologie », et portant un regard éclairé sur l’actualité internationale qu’il analyse au regard des sources théologiques. Sans récuser l’intérêt que peuvent présenter certaines de ses analyses, quiconque a des connaissances islamiques un tant soit peu sérieuses peut affirmer avec certitude que sa légitimité, son autorité et le sérieux de ses travaux d’exégèse et de ses analyses théologiques sont nuls et contredisent bien des enseignements fondamentaux de l’Islam. Cette lettre ouverte sera une première esquisse, un premier jalon dans un effort visant à le démontrer à tous ceux qui n’en sont pas convaincus en écoutant ses divagations. Elle sera suivie par d’autres écrits et documents plus ciblés et plus synthétiques, et par la traduction d’un récent discours religieux de Sayed Hassan Nasrallah consacré à l’eschatologie islamique authentique dans son rapport à l’actualité internationale et à la fin des temps. Sayed Hassan Nasrallah y dénonçait notamment, en s’appuyant sur des preuves qui font l’unanimité des écoles de l’Islam et de toute personne rationnelle, les dangers représentés par les prédicateurs qui prétendent connaître l’avenir, dont Imran Hussein est un parfait exemple (pour les arabophones, voir dès à présent ici et ici). 
Cet appel à la hijra, ou « émigration », lancé aux musulmans français du fait de leur situation en France et de ce que les événements actuels peuvent laisser présager d’après lui, est absolument insensé, scandaleux et irresponsable, et même franchement grotesque – et c’est une évidence, que l’on se base sur des critères rationnels, moraux ou religieux –, au point qu’un tel individu ne devrait pas même recevoir la moindre considération, et encore moins motiver un long effort de réponse qui consistera nécessairement en un égrenage fastidieux de truismes. Mais le contexte étant ce qu’il est, Imran Hussein étant considéré par d’aucuns comme une autorité, et son premier appel ayant malheureusement été relayé par plusieurs sites d’information alternatifs sans les avertissements et caveat nécessaires (par légèreté, imprudence ou ignorance, voire, on a parfois pu le craindre, dans un agenda politique de couleur brun – bleu marine), ce qui lui a permis de dépasser les 150 000 vues (toutes sources confondues), sans qu’il ait suscité de réponse formelle et publique à notre connaissance, cette démarche peut ne pas être inutile.
Pour conclure, je précise que je ne prétends pas m’exprimer au nom de tous les musulmans de France : j’ai moi-même trop souffert d’entendre des voix dépourvues de toute légitimité (autoproclamées ou nominées d’en haut et/ou d’en dehors de notre communauté à des fins de contrôle, d’infantilisation et même d’humiliation) s’exprimer en mon nom et proférer des insanités et même des infamies. Je ne prétends pas à l’adhésion de l’ensemble de la communauté musulmane française au fond et à la forme de tous les points avancés ci-dessous, mais je suis convaincu du fait que mon analyse est bien plus conforme au bon sens, au droit moral et positif, aux lois divines, à la réalité de la situation en France et dans le monde et au sentiment de la grande majorité des musulmans français que ne le sont les élucubrations charlatanesques d’Imran Hussein.